Publié le 2 Apr 2014 - 12:03
TRANSHUMANCE POLITIQUE

Les mises en garde de la société civile 

 

Le panel organisé, hier, sur le ’’changement de mentalité et de rapport avec le pouvoir’’, a servi de tribune à la société civile pour mettre en garde Macky Sall quant aux risques à encourager la transhumance politique.
 
 
L’arrivée de l'ex-ministre d'Etat wadiste Awa Ndiaye à l’Alliance pour la République continue d’indigner des acteurs de la société civile. Venus prendre part  hier au panel organisé par le groupe parlementaire Benno Bokk Yaakaar (BBY) à Terrou bi, ces derniers ont unanimement dénoncé le ‘’phénomène de la transhumance’’.
 
Selon le Pr Malick Ndiaye, ‘’les hommes politiques sont en train de troubler l’ordre de la République» en changeant de camp au gré de leurs intérêts. Le sociologue, ministre-conseiller à la présidence de la République, cite le cas ‘’d’une grande dame de Saint-Louis du Sénégal (NDLR : Awa Ndiaye) «qui a été reçue en audience par le président de la République» alors qu’elle ‘’devait passer devant les tribunaux’’.
 
Ce qui est, aux yeux du Pr Ndiaye, un mauvais signal de la part d'un régime qui aurait dû montrer ‘’la capacité de nos institutions à résoudre les questions qui vexent inutilement la conscience populaire’’. Car, a-t-il ajouté, «vous ne pouvez pas prendre comme modèle à offrir au public des cas qui vont sans doute être examinés devant les tribunaux. C’est trop flagrant !’’ 
«Trahison»
 
Pour l'essayiste Mody Niang, recevoir une telle personne dans son camp relève de ‘’la trahison vis-à-vis du peuple sénégalais’’. ‘’La transhumance est une pratique détestable que le régime actuel est en train malheureusement de perpétuer. Cela jette du sable sur les actes positifs posés par le président Macky Sall’’.
 
Conséquence : le réveil pourrait être  brutal,  à en croire le Pr Ibrahima Thioub. ‘’Les transhumants ne vous amènent pas des militants mais des courtisans. Et ils vous éloignent du peuple’’, souligne l'historien. Analysant le comportement de la  société sénégalaise, le Pr Thioub estime qu’«il y a un divorce entre l’élite et les citoyens (qui) s’est installé dans la durée’’. Le premier veut incarner un mode de vie à l’occidentale, tandis que le second s’estime méprisé.
 
‘’On a vu des gens, une fois nommés ministres, débarquer dans les villages en (voiture) Hummer. C’est aberrant !’’ s'étrangle Ibrahima Thioub. A ce niveau, le Pr Malick Ndiaye fait remarquer que ‘’la société sénégalaise doute’’ puisque ‘’les groupes qui devraient produire de la morale en sont aujourd’hui incapables’’. Le premier groupe concerne ‘’les hommes politiques’’ qui ‘’font peur’’ car ils ont «développé une pathologie exceptionnelle qui s’est traduite par l’accaparement systématique, parfois éhonté, des biens publics».
 
Il en veut pour preuve ‘’le fait de dresser un mur qui empêche les citoyens de voir l’océan’’. Une allusion au projet de construction de l’ambassade de Turquie au Sénégal, sur la corniche ouest. Le deuxième groupe concerne les ‘’religieux’’. Ces derniers sont, selon Malick Ndiaye, ‘’dans une situation très difficile et très contradictoire avec un enrichissement illicite’’ à travers «des banques nationales du Sénégal» qu’ils ont «détruites». 
 
‘’Le changement de comportement ne peut tomber du ciel’’
 
Mais la responsabilité de tout ce vagabondage politico-moral est partagée. «Si beaucoup de chefs religieux se sont retrouvés parmi les fossoyeurs des banques, c’est parce que leur collusion avec le pouvoir politique leur a permis de bénéficier de passe-droits qui ont permis finalement d’étrangler les secteurs les plus importants de notre développement, à savoir les banques.»
 
Et comme si cela ne suffisait pas, Pr Ndiaye constate pour le déplorer l’immixtion des religieux dans la politique. ’’Comment est-on descendu du ciel à la terre de la politique ?’’ se demande-t-il (…) C’est comme si les jeux de la politique, de la force, de l’argent, avaient plus d’attrait que les prairies célestes.’’
 
Intervenant dans le débat, le Pr Abdou Aziz Kébé pense que le «changement de comportement» tant souhaité «ne peut tomber du ciel» mais d’une volonté réelle. Et cela passe par une réappropriation des ‘’marqueurs’’ comme le ‘’ngor’’ (dignité) et le ‘’respect de la légalité’’, tels que enseignés par ‘’nos guides religieux’’. Dans la foulée, Théodore Ndiaye, membre de Présence chrétienne, a pour sa part rappelé les différentes initiatives du Clergé catholique pour l’«éveil des consciences» dans notre pays.
 
Malheureusement, regrette Lamine Diédhiou du Forum civil, «le Sénégal dont nous avions rêvé, n’est point le Sénégal que nous vivons’’. Pour changer la donne, il propose l’harmonisation des nos socles de valeurs, la refondation de nos institutions, la refondation de la République par l’école, la restauration du civisme, et l'instauration d'une nouvelle gouvernance. 
 
«Conseiller de Diouf, Wade, Sall»
 
Moustapha Diakhaté, président du groupe parlementaire BBY, attend du régime auquel il appartient «une véritable rupture dans les habitudes». Pour lui, le Sénégal n’a fait que changer de régime, le 25 mars 2012, mais pas d’homme. «Ceux qui pensent que la politique ne se limite qu’à ce bas-monde se trompent lourdement.
 
Chacun de nous sera responsable de ses actes au jour du jugement dernier», rappelle le patron des députés de la mouvance présidentielle.  Si les panélistes ont tous tiré dans le même sens, Mody Niang n’a pas manqué de titiller le Pr. Malick Ndiaye en l'interpellant de manière allusive. «Comment peut-on être tour à tour conseiller des présidents Abdou Diouf, Abdoulaye Wade et Macky Sall ?» Une «provocation» à laquelle le sociologue Malick Ndiaye, hier conseiller de Diouf et de Wade, aujourd'hui, ministre-conseiller auprès de Sall, n'a pas donné suite.
 
DAOUDA GBAYA
 

 

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