Publié le 14 Sep 2012 - 20:50
VIOL ET MEDIAS

Pour que triomphe la vérité

 

La plupart des faits de viols et autres scandales sexuels sont relatés et relayés par la presse sous forme de faits divers croustillants, au parfum charnel et sensationnel. Les journalistes sont soucieux d’écouler leurs produits pour  continuer d’exister dans  un monde un peu à part.  Le monde de ceux que les hommes et femmes les plus puissants craignent  parfois. On  dit souvent dans les hautes sphères étatiques qu’il vaut mieux les avoir avec soit que contre soit car leur plume acerbe et pertinente n’a pas d’égale quand il s’agit  pour eux de véhiculer l’info, juste et vraie, d’informer et d’éveiller une population, de l’éduquer aussi.

 

Leur monde, celui qui m’a vu naître et dans lequel ont baigné mon enfance et mon adolescence, de près et de loin,  celui des « intouchables », regorge aussi de plumes manipulatrices et perverses qui déforment souvent  l’info tout en manipulant les âmes sensibles et les esprits les plus  faibles. Je voudrais décrire et décrier certaines pratiques dans ce monde qui ne m’est pas totalement inconnu dans  sa face  la plus  lisse et fine, qui regorge de doyens compétents et de jeunes talentueux. Mais aussi dans la face sombre du revers de sa médaille lugubre et rugueux  où certains sont toujours aptes et prêts à disséquer des vies solitaires et des vies de familles entières qu’ils secouent  et qui s’effondrent comme un château de cartes. Des vies publiques, des vies privées, des vies tout court.

 

C’est du monde de ceux qui se croient  puissants et intouchables que je voudrais parler, avec l’espoir que cela me soit permis, tant ils savent s’occuper de la vie d’honnêtes citoyens, ceux-là même qui ont érigé leur plume  de chantage en bazooka et  leur caleçon  en boussole dans ce pays, et qui se protègent entre eux  dès que l’un des leurs est cité  dans un scandale. Et du viol, bien évidemment, puisque c’est de cela qu’il s’agit aussi. L’actualité qui défraie la chronique en ce moment est aussi la mise sous mandat de dépôt d’un célèbre journaliste «people» de la place,  dont la « présumée » victime, une jeune bachelière d’à peine 20 ans, sans doute encore naïve et innocente, qui a fini par succomber aux charmes d’un journaliste sans état d’âme.

 

Il  est dès lors   intéressant de voir comment une certaine presse, plus  en ligne,    essaie de relater les faits, en tentant parfois  tant bien que mal, de  donner  la version des faits de leur collègue pour  rappeler au lecteur que la jeune fille a suivi  ce dernier dans cette chambre de son propre gré, «sans la tirer par les cheveux ni lui avoir fait boire une drogue euphorisante». La plupart des administrateurs  de sites de la presse en ligne qui traitent l’actualité sur notre pays, presque tous des hommes, n’arrivent pas à intégrer où feignent d’oublier que l’intégrité physique de toute personne, où qu’elle soit, y compris celle de cette fille,  est sacrée et doit être respectée. Ils font semblant  d’oublier que sa seule présence dans  la chambre 9 de l’auberge Keur Madamel ne la dépossède  pas pour autant de son enveloppe corporelle. Elle ne la dénude pas non plus pour autant de sa dignité ni  de la confiance qu’une jeune fille peut un jour avoir à l’égard d’un homme  presque parfait qui tente d’incarner le perfection dans les médias,  et qui de  surcroît, peut  être son père.

 

Ils essaient ainsi d’octroyer à leur collègue le beau rôle de ce jeu-interdit,  acte innommable, barbare et sanglant  consistant à déflorer une jeune fille avec une brutalité et une violence rarissime. Tel un guerrier  sur sa proie vaincue lors d’une guerre tribale,  l’homme  aurait assouvi son instinct guidé par cette autre partie de son cerveau reptilien sur lequel il n’a visiblement aucune maîtrise, avant de déposer une gamine  désœuvrée, aux parties génitales ensanglantées, chez elle, avec, sans doute, le fantasme  de répéter son forfait où de s’adonner à une partouze différée avec une autre,  le  même soir. Comme si, même après un acte barbare,  il ne peut  y avoir un semblant de douceur dans ce monde de brutes. Monsieur qui pourtant jeûne tous les lundi et jeudi, avait-il besoin de violenter si sauvagement une gamine vierge pour  s’assurer enfin qu’il est un homme ? Et qu’il a un phallus bien réel ?  Et, de surcroît, dans une société où avouer que l’on est victime d’un viol fait si mâle ?

 

Notre culture, il faut le dire, exclusivement basée sur la virilité et la soi-disant supériorité masculine, décide avant même notre naissance, de la place de la femme et de son rôle,  en érigeant l’homme en empereur de la terre, un rôle qu’ils ne sont pas loin de croire pour peu qu’ils soient connus et peu aisés. On oublie souvent que naître fille, dans la plupart de nos sociétés, est souvent un acte manqué en soi. Si en plus on est violée, et qu’on ose le dire, cela signifie qu’on n'est plus vierge. Si naître fille n’est déjà pas un privilège,  se déclarer violée renvoie alors les filles  au ban de la société où elles se retrouvent  exclues et stigmatisées, exposées à des préjugés d’un monde phallocratique où la femme tient déjà une place absurdement étroite, où tout est contre elle, les normes,  les règles, les lois, ceux qui les font, les décideurs,  parfois les juges… et même la grammaire, où le masculin l’emporte !

 

Si j’écris ces lignes aujourd’hui, c’est avant tout pour  soutenir Aïssatou et louer son courage.  Elle a osé parler, à la place  de beaucoup d’autres victimes. C’est aussi pour encourager  et soutenir ses parents, en particulier la mère, silencieuse depuis le début de cette affaire, et qu’on entendra peut-être jamais. Ceux qui reprochent à cette jeune fille d’avoir osé trouver un homme dans une chambre d’auberge ignorent, ce jour, le pas qu’elle a osé franchir et le courage qu’il lui a fallu pour franchir cette autre porte, qui consiste pour une victime de viol à se confier. Ceux qui  s’en prennent à cette jeune fille, atteinte dans son corps et son âme d’éclaboussures indélébiles, ne savent peut-être  pas que les victimes de viol  et d’autres formes d’abus sexuels, même révélés, où cachés à ceux qu’on aime pour les préserver,  amènent souvent les victimes à développer des stratégies de survie et suspendent le drame sur une sorte de mémoire flottante qui renvoie parfois des images bouleversantes.

 

Ceux qui vous accusent Aïssatou, ne savent pas qu’on ne sort pas indemne  d’un viol. Ils ignorent qu’une femme violée dans sa jeunesse est aussi un corps démantelé et déstructuré qui s’efforce de devenir l’allié inaliénable et insoumis  d’une mémoire ingrate qui refuse d’accéder à la pensée. Quand elle y accède, elle donne alors du répondant à ceux-là qui pensent  la  protéger, depuis toujours, puisqu’ils ignorent tous des faits, tandis qu’elle a passé toute sa  vie  à les  préserver d’un secret dramatique. Parce qu’elle les aime, malgré tout. Il est alors fréquent de les entendre dire « ….Je ne te comprendrai jamais !». Hélas !

 

Vous devriez,  Aïssatou, vous réveiller demain, et franchir du pas la porte du tribunal où vous serez face  à ce monsieur dont vous devriez, malgré tout,  soutenir le regard, car ce n’est pas à vous d’avoir honte. Ce n’est  pas à vous de baisser la tête. Certains parleront de vous avec équité, d’autres avec prudence, tandis que d’autres essaieront de vous diaboliser, parce qu’il s’agit de l’un des leurs. Ils sont liés par le devoir, et les déboires. Parce qu’il ne s’agira pas d’un procès anodin. Il y aura à la barre un homme de presse  avec des relations très bien placées qui seraient intervenues pour étouffer cette affaire. Certains de ses «amis» qui trottent avec lui et qui ont quasiment roulé leur bosse un peu partout, savent déjà que pour une jeune fille, le fait d’avouer qu’elle a entretenu des relations sexuelles avec un homme qui  peut être son père, peut jeter sur elle un discrédit total, d’autant plus que c’est sa parole contre celle d’un adulte pervers  qui  un jour a confondu le langage de l’affection et de la tendresse à celui de la pulsion sexuelle.

 

Certains feront semblant d’ignorer que cette étape de la procédure, qui est aussi le temps de l’ébruitement du secret et de la révélation des faits, n’est pas pour faciliter les choses pour la jeune fille que vous êtes  et qui devra  se prêter aux questions les plus malsaines de la part d’avocats qui feront leur travail en tentant de vous déstabiliser, de vous discréditer pour rendre votre parole douteuse  et obtenir des circonstances atténuantes  afin d’ amoindrir la peine requise contre leur client si jamais les faits sont reconnus. Ils iront fouiner  dans les moindres  détails et traquer l’info  sur votre vie  d’avant et d’après, car rien ne sera plus jamais comme avant. Ils vous traqueront comme si, tout près d’eux, dans leur propre corporation, les  fonds de tiroirs poussiéreux  du quotidien «Le Soleil» ne contenaient aucun dossier macabre de viol et d’avortement sur  mineure de 16 ans, avec, à l’appui,  une prise en charge médicale intégrale de l’Etat sénégalais. Courage Aïssatou !

 

Madame Hélène Della CHAUPIN

 

 

Section: