Publié le 12 Dec 2012 - 00:05
YANN ARTHUS-BERTRAND, JOURNALISTE ÉCOLO ET ARTISTE

 ''Comprendre l’autre est devenu une urgence''

 

Dans le cadre de l’exposition ''7 milliards d’Autres'', présentée par la Bicis, filiale de BNP Paribas partenaire depuis 2003 du journaliste écologiste, et producteur du documentaire ''Home'', Yann Arthus-Bertrand, s’est prêté au jeu de l’interview avec ''EnQuête''. Entretien avec un ''citoyen du monde'' qui fait des confidences sur ce dernier projet ''plus intime'', dont l'expo se tient jusqu’en février prochain, notamment à la Maison de la Culture Douta Seck et au Musée de l'Ifan.

 

 

 

Après ''Home'', vous vous êtes attaqué au projet ''7 milliards d’Autres'' que vous exposez présentement à Dakar. Laquelle de ces deux expériences a été la plus enrichissante pour vous ?

 

On ne peut pas dissocier les deux… Moi, je m’intéresse à la terre, à la planète, et à son futur. Quand je photographiais des paysages, c’était quelque part l’homme et l’empreinte qu’il laisse sur la planète que j’essayais de comprendre. Mon travail était d’expliquer, de faire prendre conscience… Après, sur ''7 milliards d’Autres'', il ne faut pas oublier que l’important, c’est aussi tous ces gens qui ont pris le temps de nous parler et qu’il fallait qu’on prenne le temps d’écouter. Ce n’est pas comme une photo d’un paysage qui, touché ou pas, te fait instantanément voir la beauté du monde. ''7 milliards d’Autres'' est un projet différent, beaucoup plus intime, parce que tout ce que ces gens te disent, c’est toi qui aurais pu le dire : ''Qu’est-ce que c’est que le bonheur ?'' ; ''Qu’est-ce qu’on veut changer dans sa vie ?'' ; ''Qu’est-ce qu’on n’ose pas dire à ses parents ou à ses enfants ?''… Ce sont des questions universelles que l’on peut tous se poser et donc, quelque chose qui nous intéresse tous. [C'est] comme une autre étape dans mon parcours de journaliste pour comprendre le monde. Bien sûr, je n’y comprends pas plus, mais c’est toujours bien d’essayer.

 

Et pourquoi est-ce si important, aujourd’hui, de chercher à comprendre l’autre ?

 

Ne serait-ce que pour savoir pourquoi on va vers quelque chose de si compliqué : on va être bientôt 7 milliards d’êtres humains sur terre et on sait très bien, en ce moment, qu’on est en train d’épuiser les ressources. Les chiffres qu’on entend en ce moment, les rapports des Nations-Unies, de la Banque mondiale, les 4 degrés de plus annoncés pour 2060… Tout cela montre qu’on aura besoin de beaucoup d’empathie, de respect les uns envers les autres, pour survivre. Et malheureusement, c’est ce qu’on ne sait pas très bien faire, même si quelque part on a toujours en nous ces deux côtés. Et le plus intéressant, était de voir à travers les expositions qu’on a fait, notamment au grand Palais de Paris, que les gens restaient en moyenne 3 à 4 fois plus dans nos prémices et, en sortant, me disaient des choses comme : ''J’aime plus les gens maintenant qu’en entrant.'' C’est dire à quel point, aujourd’hui, on a besoin de vivre ensemble, de s’écouter beaucoup plus, d’entendre la parole de l’autre. Ce projet qu’au début j’avais imaginé dans mon hélicoptère, je n’aurais jamais prédit qu’il aboutirait en quelque chose de si fort. Quand tu écoutes ces 25h de vidéo, tu n’es plus le même. Forcément. Parce que tu apprends de ce qu’on te dit sur Dieu, sur le quotidien…

 

La finalité est quelque chose d’assez philosophique, en somme...

 

Oui, évidement. Chercher le sens de la vie et se poser des questions sur soi-même, n’est-ce pas indispensable ? Mais a-t-on le temps de le faire ? On n'est plus dans un monde spirituel mais dans une logique de consommation au quotidien. Les questions qu’on se pose sont ; ''Comment survivre ?'' ; ''Comment gagner plus d’argent ?'' ; ''À quoi je sers dans la vie ?'' ; ''Est-ce que je ne passe pas à côté de choses fondamentales ?''. C’est à ces questions essentielles que ''7 milliards d’Autres'' répond en partie. J’imagine que dans 50 ans, quand je ne serais plus là, ce pourquoi les gens se souviendront de moi est ''7 milliards d’Autres'', beaucoup plus que ''La terre vue du ciel''. Et cela parce que c’est vraiment un projet à part. Mon prochain film, qui s’appelle ''Human'', est justement un mélange des deux, on repart bientôt pour 2 ans de tournage. Ce sera une suite de ''Home'', un entrelacs d’interviews de gens et de clichés pris à travers le globe : la beauté des paroles, de ce que les gens ont à te dire, et la beauté du monde.

 

Trouvez-vous le temps de rentrer chez vous ?

 

En ce moment, pas beaucoup…

 

Et cette présente expo à Dakar ?

 

Cette exposition est faite pour les gens de la rue, les gens de Dakar, qui veulent venir voir, s’imprégner des autres… C’est pour cela qu’on a choisi un lieu très public (NDLR, Maison de la culture Douta Seck où a eu lieu l'entretien). D’abord, il y aura un best-of, un mélange d’un peu de tout. Je laisse faire mon équipe, il y a 25 heures de film et on va tout passer.

 

Vous qui avez fait le tour du monde, que pensez-vous du Sénégal ?

 

Partout où je vais, on me pose la question, sauf que j’ai une vision très générale des choses, parce que pour moi, le nationalisme est la plaie de l’humanité. Sénégal, Côte d’Ivoire, Mauritanie... je n’ai rien de particulier à dire sur tel ou tel pays, hormis que je me sens bien en Afrique où il y a une espèce de ''vivre l’instant présent'' qui me fait me sentir à l’aise. J’ai travaillé au Kenya très longtemps, je m’occupe d’un orphelinat à Brazzaville… J’aime beaucoup l’Afrique et même si de par ma langue je suis Français, je me sens quelque part Africain. On est tous des citoyens du monde.

 

Que pensez-vous de la situation écologique du continent ?

 

C’est très compliqué, je ne veux pas dire que l’écologie est une préoccupation d’autres pays plus riches. C’est un vrai problème en Afrique mais, en même temps, pour des gens qui n’ont pas d’emploi et dont le grand combat est tous les jours de manger et nourrir leurs familles à l’aide de seulement une agriculture de subsistance ; j’imagine qu’un papier par terre… Est-ce si important ? Au Sénégal, le plus inquiétant, c’est sûrement la surpêche. Les bateaux industriels qui viennent et qui pêchent sans limite alors qu’on voit bien qu’on est en train de vider la mer, qu’il n'y en reste pas assez pour les pêcheurs artisanaux. Je viens d’ailleurs de faire un film intitulé ''La planète océan'', qui est un témoignage très dur sur la vie de la mer. D’un point de vue écologique national, je crois qu’Aly Haïdar, votre ministre de l’Environnement, est certainement un des écolos qui m’a le plus marqué dans ma vie. Parce qu’il a cette humanité, cette sensibilité que j’aimerais que tous les écolos aient : c’est quelqu’un qui aime les gens. Je pense que d’être écolo, c’est d’aimer la vie et qu’aimer la vie c’est, bien sûr, aimer les arbres mais surtout aimer les gens. Et c’est pour cela que l’écologie politique, cela ne marche pas très bien. L’écologie doit être au cœur de toutes les politiques.

 

Une question insolite : entre vous qui parlez de ''7 milliards d’Autres'' et Marc Zuckerberg (NDLR : fondateur de Facebook) qui a des milliards d’amis par défaut, quel est celui qui touche le plus de vies, qui entre le plus dans l’intimité des gens ?

 

Facebook, c’est passionnant mais ''7 milliards d’Autres'', c’est quelque chose d’un peu différent parce qu’on parle de choses extrêmement importantes : ''Qu’est-ce qu’on veut changer dans sa vie ?'', ''Quel est l’événement le plus dur qui soit arrivé dans la vie d’une personne et qu’en a-t-elle appris ?'' Il faut réfléchir pour répondre à cela. C’est quelque chose de très intime, de compliqué, que tu ne peux pas dire à tout le monde. Quand, par contre, les gens nous le disent en face et que souvent ils se mettent à pleureur parce que c’est difficile pour eux, cela t’apprend toujours quelque chose sur toi. Toujours. Je me souviens que quand on a fait la même exposition au Grand Palais de Paris, il y avait des petites tentes dispersées çà et là et un homme qui est sorti de l’une d’entre elles m’a dit : ''Est-ce que vous vous rendez compte que Dieu se promène au milieu des tentes ?''. Et j’ai adoré cela, parce qu’il avait compris ce que cela voulait dire. Il y avait quelque chose de très spirituel qui nous élevait un petit peu, nous rendait meilleurs. Les gens que l’on interroge devant la caméra nous donnent toujours ce qu’il y a de plus beau en eux, de plus généreux, sans jamais être agressifs ou haineux. C’est une vision positive de ce monde d’aujourd’hui et, avec ce qui se passe en Syrie, en Égypte ou ailleurs, je pense qu’on a besoin de positif, de pouvoir y croire, de regarder le monde sans cynisme et sans scepticisme, en croyant au bon qu’il y a en nous. C’est très utopiste de toute façon, et naïf. Mais est-ce que l’utopie n’est pas une vérité prématurée ? (NLDR, Lamartine, entre autres) Ah ! Je ne sais plus qui a dit ça mais, j’aime cette phrase.

 

 

Par Sophiane BENGELOUN

 

 

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