Publié le 9 Jun 2021 - 21:12
EN VERITE AVEC MESMIN KOULET-VICKOT (REPRESENTANT RESIDENT DU FMI A DAKAR)

‘’Une annulation de la dette des Etats vis-à-vis du Fmi est possible si…’’

 

Le Conseil d’administration du Fonds monétaire international (Fmi) a approuvé, ce lundi, la 3e revue du programme appuyé par l’Instrument de coordination des politiques économiques (ICPE) du Sénégal. Dans la foulée, un financement d’un montant de plus 350 milliards de francs CFA sur 18 mois a été alloué au pays. Dans cette interview accordée au EnQuête, le Représentant résident du Fonds Monétaire International (Fmi) pour le Sénégal et la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (Bceao), Mesmin Koulet-Vickot, pour sa première sortie médiatique, après 7 mois à Dakar, revient sur les détails de ce financement, les récentes actualités économiques, notamment, le débat sur l’annulation de la dette, le niveau d’endettement du Sénégal, et le débat sur l’opération de rétrocession des réserves de change de la Bceao.

 

Le Conseil d’administration du Fmi vient d’approuver la 3e revue du programme appuyé par l’Instrument de coordination des politiques économiques (ICPE) et la requête du gouvernement du Sénégal d’un accord de financement sur 18 mois.  Qu’est-ce que concrètement cela signifie ? Pourquoi un accord de financement ?

Ces décisions du Conseil d’administration du Fmi signifient que les résultats obtenus par le Sénégal par rapport aux objectifs fixés pour fin décembre 2020 ont été jugés globalement satisfaisants et que le programme reste sur la bonne voie. Malgré le contexte difficile, tous les objectifs budgétaires révisés pour fin 2020 portant sur les recettes, les dépenses et leur composition, le déficit et l’endettement ont été atteints, et la plupart des réformes structurelles ont été mises en œuvre. Le Conseil d’administration du Fmi a également pris note de l’engagement du gouvernement à respecter le plafond de la part des marchés publics passés en entente directe.

Comme vous le savez, l’ICPE est un instrument pour les pays n’ayant pas de besoin immédiat ou prévisible de financement du Fmi et voulant transmettre un signal fort quant à la solidité de leur situation macroéconomique et à la qualité de leurs politiques publiques. Après l’approbation de l’Accord l’ICPE, en janvier 2020, le Sénégal, comme le reste du monde, a été secoué par le choc de la pandémie de Covid-19 qui a généré un besoin inattendu de balance des paiements. Cela a conduit le Conseil d’administration du Fmi à approuver, en avril 2020, la requête du gouvernement d’un financement d’urgence de l’ordre de 263 milliards de FCFA, pour soutenir le plan de résilience économique et sociale (PRES) du gouvernement. L’approbation, le lundi 7 juin 2021, d’un nouvel accord de financement de l’ordre de 350 milliards de FCFA répond à des besoins de financement nouveaux et additionnels, de court terme, liés à la persistance de la pandémie de Covid-19 et à la hausse des cours des produits de base importés par le Sénégal. Cet Accord de financement va s’exécuter parallèlement au programme soutenu par l’ICPE dont les objectifs de réforme restent pertinents.

Quelles sont les modalités de ce nouvel accord de financement ? Ce prêt est-il concessionnel ?

Ce nouvel accord de financement est de dix-huit mois. Il donnera lieu à quatre décaissables, dont le premier de près de 100 milliards de FCFA interviendra, dans les prochaines semaines. Les autres décaissements seront effectués à la conclusion de la première revue en décembre de cette année, et des deux autres revues en juin et décembre 2022. Les termes de ce prêt sont, bien entendu, concessionnels.  Plus précisément, le taux d’intérêt est nul (0%) sur un tiers des 350 milliards de FCFA, soit environ 117 milliards, car une partie des ressources prêtées proviennent du fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC). Cette partie du prêt à une maturité de dix ans, dont une période de grâce de cinq ans et demi. Le taux d’intérêt sur les deux tiers des 350 milliards de FCFA, soit environ 233 milliards de FCFA, est de l’ordre de 1,06 % actuellement, car les ressources de cette partie sont tirées du compte des ressources générales du Fmi. L’échéance maximale de remboursement est de cinq ans.

Quelles sont les conditionnalités liées à ce nouvel accord de financement avec le Fmi ?

Le gouvernement a pris des engagements précis qui lui sont propres pour accroître les recettes fiscales, renforcer la gestion des finances publiques, accélérer le développement du secteur privé et préparer un cadre pour une gestion soutenable et transparente du secteur des hydrocarbures. Cet agenda de réformes est en phase avec le Plan d’actions prioritaires ajusté et accéléré (PAP2A) qui vise notamment à accroître la résilience de l’économie. Comme vous le voyez, les réformes qui sont adossées à cet accord de financement sont, dans l’ensemble, identiques à celles de l’ICPE. En effet, bâtir une économie résiliente implique des finances publiques solides, un secteur privé développé et des ressources d’hydrocarbures bien gérées.

L’objectif d’accroître les recettes fiscales ne va-t-il à l’encontre de celui de développer le secteur privé ? Comment réconciliez-vous ces deux objectifs ?

Il n’y a pas de contradiction entre ces deux objectifs. Nous voyons plutôt une complémentarité. Le Sénégal a besoin d’augmenter ses recettes fiscales, afin d’investir dans les infrastructures de développement qui sont nécessaires à l’essor du secteur privé. Le gouvernement l’a compris en adoptant une stratégie de mobilisation de recettes à moyen (SRMT) pour porter le taux de pression fiscale à 20 % du Produit intérieur brut (Pib), en 2023, contre près de 17 % du Pib, actuellement. Pour y parvenir, la priorité est à l’élargissement de l’assiette des impôts existants et non une hausse des taux d’imposition, car moins du quart des contribuables potentiels sont immatriculés à la Direction générale des impôts et seule une petite minorité paie régulièrement l’impôt. La question de mobilisation des recettes fiscales est un axe majeur pour bâtir une économie résiliente. Le Conseil d’administration du Fmi invite le gouvernement à accélérer la mise en œuvre vigoureuse de la SRMT. Le Fmi se tient prêt à apporter son appui technique pour la mise en œuvre de cette stratégie.

Quelle est l’opinion du Fmi sur le projet de loi de finances rectificative qui a été approuvé, la semaine dernière, par le Conseil des ministres ?

Nous notons que le projet de loi de finances rectificative 2021 est en ligne avec les objectifs du programme. Il tient compte de l’environnement économique moins favorable qu’anticipé lors de l’adoption de la loi de finances initiale, du fait de la persistance de la pandémie de Covid-19 et de la hausse des cours des produits de base importés. Il intègre également les priorités nouvelles liées à la campagne de vaccination contre la Covid-19 et le programme de soutien à l’emploi des jeunes et des femmes. Il continue enfin à s’inscrire dans une trajectoire de consolidation budgétaire à moyen terme, grâce notamment à de nouvelles mesures fiscales crédibles pour combler partiellement le manque-à-gagner projeté des recettes, et des économies budgétaires sur certaines lignes de dépenses.

Récemment, le chef de l’Etat a été critiqué pour avoir acheté un avion présidentiel en période de crise. Quelle est l’appréciation du Fmi sur cette question ?

Le gouvernement a indiqué que le contrat d’achat de l’avion présidentiel, classé secret défense, a été passé en 2019, avant la crise de Covid-19 et qu’il a été soumis au contrôle a priori de la Direction centrale des marchés publics (DCMP). Il a également souligné que les paiements, qui représentent au total environ 0,2 % du PIB, ont été effectués en plusieurs fois au travers de crédits budgétaires inscrits dans les lois de finances de 2019, 2020 et dans une très faible partie, en 2021. Il a enfin expliqué que cet achat est justifié par des raisons sécuritaires ; notamment la sécurité du président de la République et financière ; les coûts élevés d’entretien et de maintenance de l’ancien avion et de location. Au Fmi, nous prenons acte de cette clarification.  Je voudrais profiter de l’occasion pour préciser que le dialogue que nous avons avec le gouvernement sur le budget porte, pour l’essentiel, sur ses grands paramètres. Nous ne discutons pas de chaque ligne de dépense, encore moins des dépenses classées ‘’secrets défenses’’, sauf si cette ligne a un impact significatif sur l’équilibre budgétaire

Certains économistes pensent que le Sénégal, comme la plupart des pays de l’UEMOA, est surendetté. Comment jugez-vous la situation d’endettement du pays ?

Selon nos projections, la dette publique totale du Sénégal, y compris les entreprises et entités publiques, passerait de 69 % du Produit intérieur brut (Pib) en 2020 à près de 71 % du Pib en 2021, avant de graduellement baisser à la faveur de la consolidation de la croissance économique. Le service de la dette publique totale absorberait près de 24 % des recettes et dons, dans les prochaines années. Voilà pour les chiffres.  Les résultats de l’analyse de viabilité de dette que nous avons menée montre que la dette du Sénégal demeure viable, c’est-à-dire que le Sénégal a la capacité de continuer à rembourser sa dette. Le risque de surendettement est modéré, avec des marges limitées à court terme pour absorber les chocs. C’est la raison pour laquelle nous recommandons de réduire graduellement le déficit budgétaire, de mobiliser davantage les recettes fiscales et de privilégier les prêts concessionnels.

Pourquoi le Sénégal a-t-il alors procédé à l’émission d’un eurobond qui est à un taux de marché, c’est-à-dire non-concessionnel ?

Comme le ministère des Finances et du budget l’a indiqué dans son communiqué, les fonds levés dans le cadre de l’eurobond sont destinés exclusivement, d’une part au reprofilage de la dette à travers le rachat de près de 70 % de l’eurobond de 2014 (500 millions de dollars à un taux de 6,25 %) libellé en dollars et arrivant à maturité en 2024 et, d’autre part, au financement de la participation du Sénégal dans les projets pétroliers et gaziers via Petrosen. L’eurobond 2021 contribue à améliorer le profil de la dette extérieure du Sénégal, en allongeant la maturité, car étant de 16 ans, en réduisant le risque de refinancement. C’est-à-dire un remboursement du principal d’environ 1,8 % du Pib était attendu en 2024 ; et aussi le risque de change car étant libellé en euro. 

Le Sénégal demande l’annulation de la dette publique des pays africains et récemment la Directrice du Fmi a révélé, lors d’une interview avec France 24, qu’il y a certains pays africains qui sont contre cette annulation. Pourquoi certains pays seraient-ils contre l’annulation de leur dette ?

Certains pays africains ont en effet annoncé qu’ils ne sont donc pas dans l’incapacité de rembourser leur dette. En procédant de la sorte, ils signalent qu’ils ne veulent pas perdre la confiance des investisseurs qui ont acheté les titres de leurs dettes publiques. Ils craignent qu’une annulation de leur dette risquerait de nuire à leur notation financière et d’entamer la confiance des investisseurs.

Le Fmi envisage-t-il réellement d’effacer la dette des pays africains, sachant que jusque-là, il n’a accordé que des moratoires ?

Grâce au fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes, le Fmi s’est joint aux efforts internationaux pour accorder des moratoires du service de la dette à 29 pays à faible revenu éligibles. Une annulation de la dette des Etats vis-à-vis du Fmi est possible, s’il y a des ressources suffisantes dans ce fonds fiduciaire et que les créanciers officiels du pays y participent. Elle dépend aussi de la sévérité de l’impact de la pandémie et du poids de la dette du pays.

Qu’en est-il du Sénégal ?

Le Sénégal a bénéficié en 2020 d’un moratoire sur une partie de sa dette, dans le cadre de l’Initiative de suspension du service de la dette (ISSD) du G-20. Cela a permis de dégager des marges budgétaires de 30 milliards de F CFA pour financer le Plan de résilience économique et sociale (PRES). La prorogation de l’Initiative du G-20 jusqu’à fin 2021 devrait se traduire par une suspension supplémentaire du service de la dette de l’ordre de 91 milliards de FCFA. Le Sénégal n’a en revanche pas bénéficié de moratoire sur sa dette au titre du fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes, du fait que son revenu par habitant est supérieur au seuil opérationnel d’admissibilité de l’IDA fixé actuellement à 1 175 dollars.

Quelles conclusions peut-on tirer de l’analyse des indicateurs macroéconomiques du Sénégal ?

La pandémie de Covid-19 a porté un coup de frein à plusieurs années de forte croissance économique. Le Sénégal a relativement bien résisté aux conséquences immédiates de la pandémie, grâce notamment à sa rapide riposte sanitaire et à l’appui du gouvernement aux secteurs économiques et aux populations les plus touchés. Mais cette crise a révélé et exacerbé certaines vulnérabilités. Nous partageons l’objectif du Plan d’Actions Prioritaires ajusté et accéléré (PAP2A) du gouvernement de bâtir une économie résiliente. A cette fin, il est essentiel de renforcer la solidité des finances publiques par une plus grande mobilisation des recettes intérieures, de promouvoir le développement du secteur privé par des réformes pour améliorer le climat des affaires et de renforcer le système de protection sociale. Au Fmi, nous estimons que des finances publiques solides, un secteur privé plus développé et un système de protection sociale renforcé contribueraient à renforcer la résilience.

Le chef de l’Etat Macky Sall plaide pour la révision des critères de convergence de l’Uemoa. Est-ce que vous pensez, comme lui, que ces critères sont ‘’caduques’’ ?

Il convient de rappeler que, dans une union monétaire, avec un régime de taux de change fixe comme c’est le cas de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa), un déficit budgétaire excessif d’un Etat membre a des effets négatifs sur les autres pays membres, notamment, parce qu’il contribue à un amenuisement des réserves de change communes et une hausse des taux d’intérêt. Cet amenuisement serait d’autant plus significatif que le pays dont l’Etat aurait un déficit excessif représente une part importante de l’économie de l’Union. Les critères de convergence, ou plus généralement le cadre de surveillance multilatérale des politiques économiques, visent justement à assurer que tous les pays-membres participent à la préservation, et le cas échéant à la consolidation, des réserves de change communes de l’Union. Sans cela, chaque Etat membre serait d’autant plus enclin à succomber à un certain laxisme budgétaire que les coûts d’une telle politique seraient partagés dans toute l’Union.

Dans tous les cas, la stabilité interne et externe de l’Uemoa risquerait d’être compromise, si les Etats des deux plus grandes économies de la région, que sont la Côte d’Ivoire et le Sénégal, ont des déficits budgétaires excessifs de façon prolongée. Cela dit, je ne crois pas que le principe même d’avoir des critères de convergence soit remis en cause. Je pense que le débat porte plutôt sur le niveau de ces critères et sur la relative rigidité du dispositif actuel. La Commission de l’Uemoa est en train de se pencher sur la question à la demande des autorités de l’Union. Au FMI, nous analysons aussi ces questions, en vue de formuler des propositions au cours de la prochaine consultation régionale prévue pour le quatrième trimestre.

Pourquoi le Fmi a-t-il décidé d’allouer les DTS à tous ses pays membres ? Quelle est la règle de répartition ? Quelle est la quote-part de l’Afrique et notamment du Sénégal ? Cette allocation ne risque-t-elle pas d’alourdir la dette des pays africains ?

La décision formelle d’allocation des Droits de tirages spéciaux (DTS) n’est pas encore prise. Elle relève du conseil d’administration du Fmi. Cette décision est attendue, dans les prochains mois, suivie d’une ratification par le Conseil des gouverneurs avant son entrée en vigueur.

La France a rétrocédé, en début d’année, à la Bceao les réserves de change qu’elle détenait. Certains économistes préconisent que la Bceao investisse ces réserves de change dans les économies de ses pays membres.  Quel est votre avis ?

 Cette préconisation me semble peu fondée, pour trois raisons principales. D’abord, l’opération de rétrocession par la France est équivalente à celle d’un banquier qui permettrait à un client de transférer ses avoirs vers une autre banque. Une telle opération ne génère donc pas de réserves de changes additionnelles. Les réserves de change précédemment logées dans un compte auprès du Trésor français ont toujours été la propriété de la Bceao qui pouvait les utiliser librement pour satisfaire les besoins en devises des agents économiques de l’Uemoa ; ces réserves n’étaient pas confisquées par la France. Ensuite, toutes les réserves de change détenues par la Bceao ont déjà leur contrepartie en Francs CFA, dans la masse monétaire de la région. Autrement dit, elles ont déjà été injectées ou investies dans les économies des Etats membres de la Bceao. Enfin, les réserves de change, que la Bceao a pour mandat de détenir et gérer, servent au règlement des transactions extérieures, notamment les importations et le service de la dette extérieure. Elles sont donc essentielles pour garantir la stabilité du régime de change.

MARIAMA DIEME

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