Publié le 23 Apr 2025 - 14:24
50 ANS DE LA CEDEAO

Mahama plaide pour le dialogue avec l’AES

 

Sous le thème ‘’Plus forts ensemble pour un avenir meilleur’’, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a lancé les festivités de son jubilé d’or, ce 22 avril, à Accra. Une commémoration marquée par l’ambivalence d’un parcours régional jalonné d’avancées diplomatiques, mais aujourd’hui fissuré par les divisions internes. Alors que la cérémonie aurait dû célébrer l’unité d’un bloc ouest-africain consolidé, l’absence des trois États du Sahel — Mali, Burkina Faso et Niger — désormais réunis sous l’Alliance des États du Sahel (AES), a jeté une ombre sur les célébrations.

 

Pour le président ghanéen John Dramani Mahama, fraîchement revenu aux affaires, il n’est pas question d’éluder la réalité de cette fracture historique. ‘’Le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger est regrettable’’, a-t-il déploré d’emblée dans son discours d’ouverture.

Mais fidèle à sa réputation d’homme de dialogue, Mahama a refusé de céder à la tentation du repli ou de la stigmatisation. Il a, au contraire, tendu la main à ses homologues sahéliens, appelant à privilégier la voie du dialogue face à la division : ‘’Nous devons répondre non par l’isolement ou les récriminations, mais avec compréhension, écoute et engagement sincère.’’

Le retrait de l’AES : une déchirure dans le tissu régional

Le retrait formel des trois pays sahéliens de la CEDEAO en janvier 2025 a constitué un séisme politique sans précédent. De quinze États membres, l’organisation régionale est passée à douze, perdant ainsi une partie non négligeable de sa cohérence géopolitique. Ce retrait n’est pas anodin : il reflète un désaccord profond sur la gouvernance régionale, sur fond de désapprobation des sanctions imposées aux régimes militaires sahéliens.

La réponse de l’AES n’a pas tardé : trois semaines avant les festivités d’Accra, les trois pays désormais unis ont instauré un prélèvement de 0,5 % sur les importations en provenance des pays de la CEDEAO. Une taxe symbolique, mais lourde de conséquences, qui remet en cause l’un des piliers du projet communautaire ouest-africain : la libre circulation des biens et des personnes.

Pour beaucoup d’observateurs avertis, ‘’cette taxe est un signal fort, une rupture assumée avec le modèle d’intégration bâti autour de la CEDEAO’’. Loin de condamner frontalement cette mesure, le chef de l’État ghanéen a préféré en appeler à une reprise du dialogue, évoquant un destin partagé qui dépasse les clivages. ‘’Nous avons un devoir de solidarité renforcée face aux défis auxquels nos frères sahéliens sont confrontés’’, a-t-il martelé, en référence aux crises sécuritaires, climatiques et institutionnelles qui ébranlent le Sahel.

Le pari diplomatique du Ghana : rétablir le fil du dialogue

Depuis son retour à la présidence, John Mahama a fait de la réconciliation régionale une priorité diplomatique. Son gouvernement a nommé un envoyé spécial chargé de maintenir un canal de communication permanent avec les États du Sahel. Une stratégie qui contraste avec la posture plus rigide de certains États membres de la CEDEAO, partisans d’une ligne dure face aux régimes militaires.

Mahama plaide ainsi pour une approche pragmatique fondée sur la compréhension mutuelle et l’inclusivité. ‘’Nous partageons une destinée commune marquée par les mêmes défis de développement, les mêmes aspirations de stabilité et de prospérité’’. 

Pour le président ghanéen, l’unité reste le seul chemin viable vers cette prospérité collective, même si elle est parsemée d’embûches.

La cérémonie d’Accra a réuni plusieurs figures de la diplomatie ouest-africaine, parmi lesquelles le président de la Commission de la CEDEAO, Omar Alieu Touray, le président libérien Joseph Boakai, le vice-président gambien Muhammed Jallow, l’ancien président ghanéen Nana Akufo-Addo et la Première ministre togolaise Victoire Tomegah Dogbe. Tous ont affiché un front uni pour célébrer ce jubilé, mais les regards étaient braqués sur l’avenir incertain de l’organisation.

La CEDEAO à l’épreuve de ses contradictions

Créée en 1975 pour favoriser la coopération économique, la CEDEAO s’est progressivement dotée d’un rôle diplomatique et sécuritaire renforcé. Mais le retrait de l’AES met en lumière les limites de son modèle d’intégration basé sur un cadre institutionnel hérité du postcolonialisme, que certains jugent trop aligné sur les standards occidentaux.

Dans son discours, Mahama n’a pas éludé cette critique : ‘’La CEDEAO est une force diplomatique incontournable en Afrique, mais elle doit prouver qu’elle reste capable de résoudre les crises en respectant les réalités propres à chaque État.’’ Un plaidoyer en faveur d’une réforme en profondeur du fonctionnement communautaire, pour éviter que d’autres États ne soient tentés d’emboiter le pas à l’AES.

Le président de la Commission, Omar Alieu Touray, a d’ailleurs annoncé que des négociations devraient s’ouvrir prochainement avec le trio sahélien pour discuter des modalités logistiques et institutionnelles de leur retrait. Un cadre de discussion que John Mahama souhaite élargir à une réflexion plus globale sur le futur de l’intégration ouest-africaine.

Une célébration teintée de nostalgie et d’espoir

Au-delà des discours, le lancement du jubilé d’or a été ponctué de symboles. La CEDEAO a dévoilé son nouveau logo anniversaire, conçu pour incarner ‘’la continuité et la dynamique collective’’, selon Damtien Tchintchibidja, vice-présidente de la Commission.

Mais derrière l’apparente solennité de l’événement, les divisions internes rappellent que l’intégration régionale est un combat perpétuel. John Mahama l’a résumé ainsi : ‘’Ce jubilé d’or n’est pas seulement une fête ; c’est un moment solennel pour réfléchir à notre parcours collectif, pour réaffirmer notre attachement aux principes qui nous ont unis : l’unité, la paix, l’intégration régionale et surtout la diplomatie comme boussole.’’

Alors que la CEDEAO entre dans son second demi-siècle, la question centrale demeure : saura-t-elle se réinventer pour répondre aux aspirations des peuples ouest-africains, dans un contexte où les souverainismes et les fractures identitaires menacent l’idéal d’unité régionale ? Le plaidoyer du président Mahama, entre regrets lucides et espoir assumé, pose les jalons d’un dialogue à renouer.

Amadou Camara Gueye

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