Publié le 28 Oct 2013 - 13:30
54E SESSION DE LA CADHP EN GAMBIE

 Les droits-de-l’hommistes tirent à bout portant sur Jammeh

 

Il fallait oser venir en Gambie et critiquer le régime du président Jammeh dans sa politique de casser tout militantisme des droits de l’Homme. Le pari a été réussi ce week-end par 40 organisations de la société civile, sous la houlette de l’ONG Article 19 et de la RADDHO.

 

Halte au spectre de la violence et de la peur en Gambie ! En chœur, les organisations de défense des droits de l’Homme ont poussé hier ce cri de désolation, lors d’une rencontre tenue en marge de la 54e session de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP). Organisé par l’ONG Article 19 et la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme (RADDHO), ce panel a fédéré plusieurs organisations de défense des droits de l’Homme de la Gambie et d’ailleurs et a vu la participation du Centre africain pour la démocratie et les droits de l’Homme. Invités à cette rencontre, aucun membre de la CADHP n’est venu. Simple mépris ou peur de représailles du régime de Jammeh ? La seconde raison est la plus plausible, nous dit un enseignant au Centre africain pour la démocratie et les droits de l’Homme basé en Gambie. ‘’Ici, la peur est la chose la mieux partagée’’, dit-il, le regard sombre.

Une réflexion qui se justifie pleinement au vu de la meute d’agents secrets qui ont pris d’assaut l’hôtel Kairaba qui abrite la session. Ils sont partout, on les voit souvent derrière soi, dans les couloirs en train de faire les cent pas, ou alors, ils s’installent confortablement en civil dans les salles qui abritent les sessions. ‘’Les éléments des services secrets sont partout et nous suivent, depuis notre arrivée. On ne peut rien faire librement dans ce pays et même dans cette salle où nous sommes, on les aperçoit aisément au fond’’, lance en plein discours la responsable du bureau Afrique de l’ouest de l’ONG Article 19, Fatou Jagn Senghor. Sur un ton chargé d’émotion, elle se lâche : ‘’Il est dommage de constater que cette commission, pour laquelle nous avons beaucoup travaillé, réside dans un pays qui ne respecte pas les droits de l’Homme’’. C’est d’ailleurs la raison qui explique que la CADHP n’est pas respectée, dit-elle. Mme Senghor mettra surtout l’accent sur les restrictions aux droits à l’information en Gambie. ‘’Depuis 2010, 30 journalistes ont été contraints de quitter la Gambie’’, renseigne-t-elle. Ce qui la révulse le plus, c’est la loi promulguée en juillet et interdisant pratiquement l’utilisation d’internet. Désormais, utiliser internet pour critiquer le régime de Banjul est considéré comme un délit en Gambie. ‘’C’est l’une des lois les plus répressives au monde’’, soupire-t-elle, visiblement remontée. Sur un ton pareil, le secrétaire général de la RADDHO, Aboubacry Mbodj, avait auparavant campé le décor, à travers un listing des violations répétées des droits humains en Gambie. Une répression ‘’féroce’’ qui ne laisse rien et s’exerce de manière presque continue.

Les crimes du régime

Des propos qui ont mis en transe le journaliste gambien Moussa Chérif qui parlera des supplices subis par les reporters de la presse privée gambienne. ‘’Nous n’avons aucune liberté. La presse privée est muselée. En Gambie, nous n’avons même pas le droit de couvrir la visite officielle des autorités’’, tonne-t-il sur une voix qui raisonne et raisonne encore dans cette salle de conférence remplie de ‘’révoltés’’. Rappelant l’amour que les défenseurs des droits de l’Homme portent en la CADHP, Amadou Kanouté de l’ONG CICODEV a souligné que c’est l’un des rares instruments qui organisent un forum d’échange avec les ONG. Malheureusement, explique-t-il,  la commission manque de poigne parce que simplement, il est dans un pays qui n’est pas le ‘’bon lieu’’ pour l’abriter. Il faut récompenser les bons élèves et inciter les mauvais à aller de l’avant, en d’autres termes, le siège de la commission doit être délocalisé vers un autre pays qui respecte les droits de l’Homme, de l’avis du secrétaire général de la RADDHO.

Dans un communiqué, la Raddho rappelle l’assassinat de Dayda Aidara, rédacteur en chef du journal ''The Point'' et Président du Syndicat de la Presse gambienne, tué par balle dans sa voiture en décembre 2004. Il y a également eu a disparition d’Ebrima Manneh en juillet 2006, l’arrestation, le 31 octobre 2012, de Mambury Njie, Ministre des affaires étrangères, suivie de celle de l'imam Baba Leigh le 03 décembre 2012 par les agents de la NIA (National Intelligence Agency). La Raddho dénonce également ''l'exécution illégale'' de Dawda Bojang, de Malang Sonko, des lieutenants Lamin Jarjou et Alieu Bah, du sergent Lamin F. Jammeh, de Buba Yarboe, de Lamin B.S Darboe, de Gebe Bah et Tabara Samba, le 23 août 2012, qui ''constitue une violation flagrante des droits humains les plus élémentaires qui interpelle la conscience de toutes les personnes éprises de paix et de justice''.

L’audience demandée au président Jammeh

Après avoir rencontré plusieurs ministres gambiens de la Justice et bien d’autres autorités, les défenseurs des droits de l’Homme ont émis l’idée de chercher une audience auprès du président Jammeh en personne. ‘’Il est aujourd’hui le seul à pouvoir apporter des éléments de réponse face à nos interpellations’’, estime Mabassa Fall, représentant la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) à l’Union africaine. Une idée partagée par presque l’ensemble des ONG qui voient en cette audience l’élément déclencheur du respect des droits de l’Homme en terre gambienne. En attendant cette audience, le secrétaire général de la RADDHO a appelé le gouvernement gambien à respecter ses engagements et demandé à l’Union africaine de prendre les mesures idoines visant à délocaliser le siège de la CADHP de la Gambie. Plusieurs stratégies de lutte ont été évoquées et selon Amadou Kanouté, elles sont complémentaires car, ’’une stratégie de campagne n’est jamais linéaire’’, a-t-il déclaré. Quoi qu’il en soit, Fatou Jagn Senghor a souligné que la mobilisation doit être désormais ainsi articulée, pour plus de pertinence dans la démarche. En somme, cette rencontre unique en son genre a permis aux organisations gambiennes de la société civile de sortir et de crier ce qu’elles ont dans le ventre. Le tout, sous une kyrielle d’agents secrets qui se sont fondus dans la masse. Mais surtout, sous le regard profond de la photo officielle du président Jammeh surplombant la tête des exposants.   

Amadou NDIAYE

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