Publié le 25 Jan 2022 - 15:46
APRÈS LE MALI ET LA GUINÉE

Le Burkina Faso entre les mains des militaires 

 

La situation sécuritaire inextricable dans laquelle s’est embourbé le Burkina Faso, a fini par emporter le président Roch Marc Christian Kaboré. Hier, des militaires ont annoncé la prise du pouvoir, la suspension de la Constitution et la fermeture des frontières du pays.

 

Lors d'une récente conférence de presse à Libreville (Gabon) où il rencontrait son homologue Ali Bongo Ondimba lors d'une visite officielle, le président ivoirien, Alassane Ouattara, se confiait sur l’embargo décidé par la CEDEAO à l’encontre du Mali. ‘’C’est à notre corps défendant que nous avons mis ces sanctions en place’’. La thérapie ne semble pas fonctionner. Ces mesures n’ont pas empêché un autre Etat de l’Union ouest-africaine de tomber dans les bras des militaires.

Après le Mali et la Guinée, le Burkina Faso a connu un coup d’Etat. Dirigés par l’officier d'infanterie le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, les forces de défense et de sécurité ont décidé de mettre fin au pouvoir du président Roch Marc Christian Kaboré, ce 24 janvier 2022. Dans un communiqué lu à la télévision nationale, les putschistes ont annoncé la suspension de la Constitution, la dissolution du gouvernement et de l’Assemblée nationale, ainsi que la fermeture des frontières terrestres et aériennes du Burkina Faso.

Dans cette adresse à la nation, le capitaine Sidsoré Kader Ouédraogo a assuré que ce coup de force a pour ‘’seul but de permettre à notre  pays de se remettre sur le bon chemin et de rassembler toutes ses forces afin de retrouver son intégrité territoriale, son redressement et sa souveraineté’’, ‘’au regard de la dégradation de la situation sécuritaire et de l’incapacité manifeste du pouvoir de Roch Marc Christian Kaboré à unir les Burkinabé pour faire face efficacement à la situation et suite à l’exaspération des différentes couches sociales de la nation’’.

Un Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) au pouvoir

Avec cette prise de pouvoir, les militaires ont mis en place un Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) présidé par le lieutenant-colonel Damiba. Le porte-parole de la junte a ajouté que ‘’les opérations se sont déroulées sans effusion de sang et sans aucune violence physique sur les personnes arrêtées qui sont détenues dans un lieu sûr, dans le respect de leur dignité’’. En plus du président, le chef du Parlement (Alassane Bala Sakandé) et des ministres sont entre les mains des soldats.

Mais des témoins rapportent que lors de la prise d'assaut de sa résidence personnelle, dans le quartier de la Patte d’Oie, deux véhicules de la garde rapprochée du président ont été criblés de balles. Leurs sièges, filmés par la foule le lendemain, sont maculés de sang. Quatre membres de sa sécurité sont blessés, rapporte ‘’Jeune Afrique’’. Les proches de Kaboré affirment qu’il a été exfiltré et placé en ‘’lieu sûr’’ par les gendarmes qui composent sa garde. Son parti, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), affirme même que le chef de l’État a échappé à une tentative d’assassinat.

Quelques heures avant l’annonce officielle de son arrestation, le compte du président Kaboré a publié un post sur Twitter : ''Notre nation vit des moments difficiles. Nous devons, en ce moment précis, sauvegarder nos acquis démocratiques. J’invite ceux qui ont pris les armes à les déposer dans l’intérêt supérieur de la nation. C’est par le dialogue et l’écoute que nous devons régler nos contradictions.''

Toutefois, l’on ne peut être sûr qu’il est réellement l’auteur de ce tweet.

Une mutinerie depuis le weekend

L'arrestation du président Kaboré est l'épilogue d'une mutinerie qui s'est déclarée dans plusieurs casernes du Burkina Faso pour réclamer le départ des chefs de l'armée et des "moyens adaptés" à la lutte contre les jihadistes qui frappent ce pays depuis 2015. C’est ainsi que des tirs ont été entendus toute la journée du dimanche 23 janvier 2022 dans plusieurs camps militaires, notamment ceux de Sangoulé Lamizana, de Baba Sy et sur la base aérienne à Ouagadougou. Des mutineries ont également éclaté à Kaya et à Ouahigouya, dans le nord du Burkina où sont concentrées la majorité des attaques jihadistes, selon des habitants et des sources militaires. En fin de journée, des tirs ont été entendus près de la résidence du chef de l'Etat.

Le gouvernement, après avoir reconnu dans la journée du 23 janvier des tirs dans plusieurs casernes, avait tenté de reprendre le contrôle. Dans la soirée du dimanche, le président Kaboré avait décrété "jusqu'à nouvel ordre" un couvre-feu de 20 h à 5 h 30 et annoncé la fermeture des écoles lundi et mardi.

Cette prise de pouvoir surfe sur la vague de contestation, déjà vue au Mali, sur l’incapacité des gouvernements de ces pays à enrayer les violences jihadistes. Roch Marc Christian Kaboré a été réélu en 2020 sur la promesse de faire de la lutte antiterroriste sa priorité. Un défi qu'il n'aurait pas relevé, selon les Burkinabé qui manifestent depuis plusieurs semaines. La formation d'un nouveau gouvernement en décembre dernier n'aura rien changé au mécontentement général.

Le siège du parti au pouvoir incendié

Outre les accusations d'une partie de la population qui le trouve "incapable" de contrer les groupes terroristes, plusieurs partis d'opposition étaient montés au créneau pour demander son départ, en raison d'une gestion du pays décrite par certains comme "calamiteuse". Tout au long de la journée du 23 janvier, des manifestants ont apporté leur soutien aux mutins et ont dressé des barrages de fortune dans plusieurs avenues de la capitale, avant d'être dispersés par la police. D’autres ont incendié le siège du parti au pouvoir dans la capitale.

La tentative de coup d'Etat que connaît le Burkina Faso était au cœur de rumeurs persistantes depuis plusieurs semaines. La restriction récente de Facebook via les données mobiles, expliquée pour des raisons sécuritaires par le pouvoir, la coupure de l'Internet mobile plus généralement et les difficultés pour joindre le Burkina ces derniers jours semblent avoir été des signes avant-coureurs d'une situation politique qui se détériorait.

Dans un enregistrement sonore évoqué par l'AFP, un militaire de la caserne Sangoulé Lamizana, sous couvert de l'anonymat, expliquait la raison de la colère des hommes de troupe : "Nous voulons des moyens adaptés à la lutte" anti-jihadiste "et des effectifs conséquents", ainsi que le "remplacement" des plus hauts gradés de l'armée nationale.

Il a, en outre souhaité, toujours selon l’AFP, "une meilleure prise en charge des blessés" lors des attaques et des combats avec les jihadistes, ainsi que "des familles des défunts".

Des militaires aux conditions de combat déplorables

La récente arrestation du lieutenant-colonel Emmanuel Zoungrana, ancien chef de corps du 12e régiment d'infanterie commando du Burkina Faso, pour soupçons de coup d’Etat, a également été évoquée comme une autre cause du mécontentement des militaires. Commandant du groupement des forces du secteur Ouest engagées dans la lutte antiterroriste, il attendait, à Ouagadougou, une nouvelle affectation.

Dans sa prise de parole, le capitaine Ouédraogo a assuré que le MPSR tenait à rassurer les partenaires du pays sur le respect des ‘’engagements internationaux’’. Tout en assurant leur engagement ‘’à proposer, dans un délai raisonnable, après consultation des forces vives de la nation, d’un calendrier de retour à un ordre constitutionnel accepté de tous’’.

Ce coup de force est un nouveau camouflet pour la CEDEAO qui a condamné un ‘’acte d’extrême gravité qui ne saurait être toléré au regard des dispositions réglementaires pertinentes’’. L’Union africaine a, pour sa part, ‘’condamné fermement la tentative de coup d’État contre le président démocratiquement élu’’. Les organisations ont appelé les militaires à assurer l’intégrité physique du président Kaboré et encouragé le gouvernement et tous les acteurs civils et militaires à privilégier le dialogue politique comme voie de solution des problèmes du Burkina Faso. Une logique également suivie par le secrétaire général de l’ONU qui appelle les auteurs du coup d'État à déposer les armes et à garantir la protection de l'intégrité physique du président et des institutions du Burkina Faso.

Lamine Diouf

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