Des journalistes tourmentés pour des peccadilles
Les temps qui courent ne sont pas du tout cléments pour la presse sénégalaise : trois directeurs de publication et un journaliste ont été convoqués et entendus par la Section de Recherches de la gendarmerie. En l’espace de deux jours, cela fait quand même « un peu beaucoup », comme diraient les Ivoiriens. Les raisons de l’audition de ces hommes de presse sont de divers ordres dont la diffusion d’informations classées « top secret » sur le plan de déploiement du contingent sénégalais devant aller en opération en Arabie Saoudite pour, dit-on, protéger le pays des Lieux Saints de l’Islam contre les rebelles Houthis du Yémen voisin. On se demande si le simple fait de divulguer les noms de code aussi banals que « Alpha » et « Bravo » relève de l’information sensible et attentatoire à la sécurité future du corps expéditionnaire sénégalais. C’est aussi à se demander si l’armée sénégalaise est bien inspirée en utilisant des noms de code aussi galvaudés en usage dans des films d’action d’un style pas élevé… Les enquêteurs de la gendarmerie devraient être mis sur des thèmes plus sérieux que les informations diffusées par le journal dakarois L’Observateur.
La mise en garde à vue du directeur de publication du Quotidien, Mohamed Guèye, nous paraît tout aussi illégitime. Il est reproché à Guèye d’avoir diffusé les secrets de l’instruction sur l’affaire Thione Seck, ce musicien présumé acteur d’une sordide opération de « contrefaçon de signes monétaires ayant cours légal à l’étranger ». Nous avions soutenu dans un précédent « Avis d’inexpert » que cette initiative du journal Le Quotidien était un combat de la légitimité contre la légalité. La publication de l’intégralité du Pv pouvait, certes, faire l’objet de griefs, mais son jeu en valait la chandelle – surtout au grand bénéfice de la gendarmerie à qui a aussi profité le « crime ». Parce que, à un certain moment, la crédibilité de la gendarmerie était en jeu dans ce scandale ; et que la maréchaussée était, en dernière analyse, l’exclusive bénéficiaire de cette opération qui a coupé l’herbe sous les pieds de ceux qui travaillaient à installer le doute et l’idée de l’existence d’une manipulation autour d’une affaire dans laquelle l’enquête de la gendarmerie méritait compliments. Et c’est paradoxal de voir cette institution s’acharner sur un journal qui lui a rendu un bien précieux service.
Affligeante aussi est l’accusation contre la presse de s’être prêtée à une manipulation dans la non-affaire de rapt de quatre enfants égarés au cours d’une pérégrination à travers leur quartier de Guédiawaye. Ce que certains organes de presse présentèrent, sans précaution, comme étant un ravissement ne fut en réalité qu’un acte tout à fait citoyen d’une personne qui a accueilli chez elle des marmots égarés. Même les familles respectives de ces derniers ne veulent point parler de rapt. Dans une information, comme dans l’expression de tous les jours, les mots ont leur signification et leur valeur ; et il faut bien savoir les peser. Surtout que dans la fausse affaire des « quatre enfants enlevés de Guédiawaye », des racistes et des xénophobes avaient vite trouvé un sens à leur vocation en orientant la suspicion vers des étrangers. Comme le firent d’ailleurs, dans les années 90, des xénophobes dénonçant des prétendus « voleurs de sexe ». Ou encore à l’époque de l’internement dans un hôpital dakarois d’un jeune Guinéen infecté par le virus d’Ebola. Des individus loufoques se mirent à manifester contre l’entrée d’étrangers au Sénégal.
Ces temps-ci, l’Office national contre la corruption et la fraude (Ofnac) communique par une série de spots à la radio et à la télévision annonçant sa création et ses missions. Une excellente initiative qui met l’Ofnac à la hauteur du vulgum pecus - du Sénégalais lambda, si vous voulez.
Cette action de communication est très importante, puisqu’elle va contribuer (si ce n’est déjà fait) à détruire cette image d’une officine budgétivore, s’abandonnant dans un ronron qui va coûter cher au contribuable. Surtout après les résistances auxquelles elle a dû faire face pour que des assujettis à la déclaration de patrimoine s’acquittent de leurs obligations et devoir.
En tout cas, félicitons Diatou Cissé qui, quelque temps après son entrée à l’Ofnac comme responsable de la communication, a pris le travail en main en concevant un plan de communication qui, à coup sûr, ne se limitera pas aux spots très pédagogiques, certes.
On souhaite qu’il en soit ainsi pour d’autres services et institutions, publics comme privés, où des chargés de communication confondent leur boulot avec celui d’un chargé de relations presse, de relais de communiqué et de demande de couverture…. Sans plus. La communication institutionnelle ne se fait pas forcément avec des journalistes – si chevronnés soient-ils. Parce que le journalisme et la communication ne sont pas forcément le même métier. J’ai eu beaucoup d’admiration pour Lamine Bâ du Pds qui, lors d’un débat, tint à préciser être un « communicateur et non pas journaliste ».
Post-scriptum : La publication de la photo du célèbre percussionniste sénégalais, Doudou Ndiaye Rose, pour illustrer un article d’information sur l’arrestation et l’incarcération de son fils pour trafic de chanvre indien, est un abus. Quelques jours auparavant, la page médias de la radio Rfm avait consacré un élément à cette pratique fort courante dans la presse. Oui, il y a un abus et un amalgame à profiter de la célébrité d’une personne pour mettre en valeur, pour ne pas dire « vendre », une information qui ne la concerne nullement – du moins juridiquement. Pour atténuer cet abus, la photo doit être accompagnée d’une légende (ce petit texte en une ou deux phrases, rarement plus) pour présenter le sujet sur la photo et qui peut être une justification de l’usage qui en est fait.
Jean Meïssa DIOP