Publié le 8 May 2015 - 11:37
AVIS D’INEXPERT PAR JEAN MEISSA DIOP

La presse sportive et ‘’un Cas d’école ‘’

 

Des journalistes sportifs (mais pas la presse sportive) auraient des difficultés pour tenir distance et équilibre dans la collecte et le traitement de l’information sur le sport. Le problème est si réel qu’il a constitué le thème d’une belle initiative du Conseil pour l’observation des règles d’éthique et de déontologie  (Cored) ; une initiative dénommée ‘’ Cas d’école’’ et dont la première édition s’est tenue le 5 mai à la Maison de la Presse, à Dakar. L’objectif de cette initiative  est de ‘’partir d’exemples concrets où la presse a failli en termes d’éthique et de déontologie pour sensibiliser le monde des médias sur les bonnes pratiques à adopter à l’avenir’’.

Pour introduire la conférence ou prononcer la leçon inaugurale, il y avait Mamadou Koumé dont le parcours, les titres et les expériences ont fait un conférencier de choix. En effet, Koumé est journaliste sportif, président de l’Association nationale de la presse sportive du Sénégal (Anps) ; il a été directeur de l’Agence de presse sénégalaise ; et aussi directeur des Etudes du Centre d’études des sciences et techniques de l’information (Cesti, institut de journalisme de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar), enseignant à ce même Cesti. Excusez de ce peu qui lui confère la légitimité de parler avec aisance et profondeur des attitudes maladroites ou délibérées de journalistes sportifs dont on peut se demander s’ils ne sont pas ‘’plus supporters que reporters’’. Le reporter sportif  ‘’ne doit pas avoir une attitude de supporteur dans le traitement de l'information ‘’, souligne Koumé. ‘’Nous ne pouvons pas avoir une attitude de supporter, nous devons plutôt avoir une attitude de neutralité, faire preuve de professionnalisme et de responsabilité ‘’a-t-il  précisé.

La leçon de ‘’Cas d’école ‘’ s’est appuyée sur la curée de la presse sportive du Sénégal contre Alain Giresse, le sélectionneur français de l’équipe du Sénégal de football en déroute à la Coupe d’Afrique des Nations de football 2015 en Guinée Equatoriale. Il aura été cible et victime d’avanies de la part de certains journalistes sportifs. Plus tard, après la Can, un reporter sportif, faisant un commentaire sur Alain Giresse, l’a désigné, par huit fois, dans le même texte, de ‘’Toubab bi ‘’ (le Blanc). On se demande ce que dirait un antiraciste si un reporter sportif blanc français, parlant du leader franco-sénégalais de l’Olympique de Marseille (Om), Pape Diouf, le désignait par ‘’le Nègre ‘’ ou ‘’le Noir ‘’.

Ne parlons pas du cas, par exemple, de ce reporter des arènes, apparemment éberlué,  interloqué, après la défaite, en juin 2014, d’une star des arènes, Balla Gaye II, face à Bombardier : ‘’Que se passe-t-il ? Que se passe-t-il ? ‘’ Se serait-il posé cette question avec autant d’insistance et de déception si le résultat du combat avait été autre que la chute de Balla Gaye II ? En tout cas, ces questions et le ton sur lequel elles ont été posées ne reflètent pas la distanciation que Koumé a recommandée dans sa leçon inaugurale de ‘’Cas d’école‘’.

Des journalistes sportifs  si obnubilés par l’équipe nationale de foot qu’ils en viennent à se comporter plus en sportifs qu’en reporters dans le traitement de l’information sur les Lions ; à trop se focaliser sur cette ‘’expertise nationale ‘’ qui dégage en arrière-fond des relents xénophobes et racistes parce que ne préconisant rien d’autre que la ‘’préférence nationale ‘’ en matière de coaching de l’équipe nationale. Sans jamais poser le problème à rebours en se demandant si le Sénégal et l’Afrique auraient eu autant de ressortissants dans les clubs étrangers si ces derniers privilégiaient leurs compétences nationales.

Des expatriés dont on est très fier au point que leur club est adopté comme s’il défendait les couleurs du pays d’origine de leur(s) joueur(s) étrangers ! C’est à la limite si on ne dénie pas à un Blanc le droit de venir gagner en Afrique l’argent qu’un expatrié africain va gagner en Europe. La presse sportive devrait refuser d’offrir l’espace à ce débat réactionnaire et xénophobe, pour ne pas dire raciste. La presse sportive ne pose jamais le problème de l'expertise nationale pour faire allusion que le français Arsène Wenger soit l'entraîneur du club anglais Arsenal. Entre autres exemples. Et d'ailleurs, où nous a mené cette expertise nationale si on pense à la bérézina de la Can qu'a valu au Sénégal un certain Amara Traoré ? Qui autre que le Français Bruno Metsu a porté lé Sénégal en quarts de finale de la Coupe du monde en 2002 ? Y a-t-il eu une expertise nationale au coaching des deux équipes finalistes de la Can 2015 ?

En décidant d’ouvrir une imprimerie à Ziguinchor et un quotidien régional dans la partie Sud du Sénégal, le Groupe de presse Futurs médias va résoudre une bonne partie de la distribution archaïque de la presse au Sénégal. A l’heure du courrier électronique, c’est une aberration d’imprimer un journal à Dakar, de le confier à des véhicules de transport en commun ou à un avion afin de le distribuer ‘’au fin fond ‘’ du Sénégal. Et l’une des conséquences est que c’est en fin de journée que les lecteurs de Kédougou achètent les journaux que le public de Dakar a lu tôt le matin.

Le problème aurait pu l’être (et il devrait l’être à la réalisation du projet de Gfm)  avec l’implantation d’imprimeries-relais dans des villes comme Saint-Louis, Matam, Kaolack, Kédougou, Ziguinchor… Des imprimeries auxquelles les rédactions à Dakar enverraient pour tirage des ‘’morasses ‘’ électroniques de leurs éditions. Et de la sorte, les lecteurs des zones lointaines liraient la presse à la même heure que ceux de Dakar, Mbour, Thiès. Lors de la Journée mondiale de la liberté de presse, des correspondants régionaux de journaux dakarois ont révélé, à cause des carences et aléas de la distribution de la presse, ne pas lire souvent les journaux qui publient pourtant leurs articles.

Le deuxième intérêt de l’innovation serait la naissance (enfin !) d’une presse vraiment régionale. En effet, il y a de ces réalités régionales que la presse dakaro-dakaroise, malgré ses correspondants régionaux, ne traite pas (voire escamote pour ne pas dire ignore) avec exhaustivité. Des réalités qui méritent pourtant d’être connues. Un jour, un ancien collègue à Wal Fadjri me disait : ‘’ Dakar, mokk na ! ‘’. En d’autres termes, on a assez parlé de Dakar, intéressons-nous à d’autres territoires, sociétés, réalités… Traiter de sujets et traiter d’informations de Dakar n’a plus d’originalité ; c’est marcher sur des brisées et des lieux communs.

Le troisième intérêt de l’innovation serait d’offrir des emplois à des jeunes journalistes de plus en plus issus d’écoles de formation professionnelle. Elle créerait aussi des emplois dans l’imprimerie et dans la distribution de presse dans les régions d’implantation de ces imprimeries-relais. Le Plan Sénégal émergent pourrait (devrait) pouvoir examiner cette idée et aider ainsi à l’émergence d’une presse régionale.

Post-scriptum : Je ne comprends toujours pas par quels glissements lexicaux la presse sportive en est venue à appeler ‘’Tanière‘’ la retraite des Lions, l’équipe nationale de football du Sénégal. La tanière est plutôt la demeure du… loup ! Et l’antre est plutôt celle du lion ! De même, comment ‘’vendanger ‘’, qui signifie récolter du raisin, est devenu au Sénégal synonyme de brader, bâcler… Tel ‘’lutteur a vendangé son combat ‘’ !?

Je ne comprends pas non plus pourquoi on parle de ‘’souteneurs ‘’ pour désigner des alliés politiques d’un parti au pouvoir. Par exemple, ‘’les partis souteneurs de l’Apr ‘’. Ce terme est très négatif, injurieux dans certaines circonstances, en ce qu’il signifie proxénète, encadreur de prostituées.

Ou alors c’est du français adapté par le Sénégal.

 

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