Publié le 13 Feb 2021 - 23:14
BEATMAKING ET DJING AU SÉNÉGAL

Des métiers qui ont fait évoluer le hip-hop 

 

Autodidactes ou formés dans des structures de hip-hop, les beatmakers et les DJ sénégalais sont talentueux. Ces hommes de l’ombre ont beaucoup contribué à l’évolution du hip-hop sénégalais.

 

Il existe, dans le milieu des cultures urbaines, des hommes de l’ombre dont le métier est d’une importance capitale. Parmi eux, les beatmakers et les DJ. Le premier nommé est défini comme étant celui qui compose des instrumentales d’œuvres musicales, hip-hop ou non.  ‘’Le Sénégal regorge de beatmakers très talentueux. J’en connais beaucoup qui pourraient concurrencer les compositeurs internationaux’’, se félicite l'ingénieur de son et directeur artistique de Djegui Rails Records, Kef Keffie. 

‘’La chance qu’on a, et que parfois certains artistes critiquent ou n’acceptent pas, c’est que beaucoup de beatmakers de nos jours utilisent nos propres instruments comme samples afin d’avoir un bon mélange authentique qui pourrait, à l’avenir, être notre identité musicale dans le hip-hop'', a-t-il ajouté au bout du fil, donnant l’exemple des sabars, tamas, bongos, calebasses, marimba, etc., mais aussi les samples voix des chanteurs mbalakh ou salsa que beaucoup utilisent de nos jours pour rendre leurs beats encore plus riches. 

Le rappeur Malal Talla ‘’Fou Malade’’ a embouché la même trompette. Il estime que les beatmakers ont beaucoup contribué à faire évoluer le hip-hop sénégalais musicalement, à lui donner une certaine identité bien sénégalaise. En effet, les rappeurs de la première génération ont toujours posé leurs textes sur des instrumentaux venus d’ailleurs.

‘’Quand les rappeurs français ou américains sortaient un album, ils y laissaient à chaque fois deux à trois instrumentales (musique sans texte). Et une fois l’arrivée de ces albums-là à Dakar, on se rendait au marché Sandaga pour en acheter. C’est sur ces instrumentaux-là qu’on posait nos textes’’, a expliqué Fou Malade. Le rappeur Elzo Jamdong, qui a gagné le cœur du public et le respect de ses pairs dès la sortie de son tout premier projet, explique que Mister Thier, son beatmaker, y a joué un grand rôle : ‘’A mes débuts, en 2003, mon avantage, c’était d’avoir mon propre beatmaker. Cela m’a permis d’avoir un projet solide et de gagner le respect des autres. Je ne téléchargeais aucun son américain, alors que c’est cela qui se faisait.’’

Il s’est, par ailleurs, réjoui de la percée des Sénégalais dans ce domaine, en faisant référence à Iss 814 Beats qui célèbre son premier disque d’or en tant que producteur dans l’album ‘’Famous’’ de Lefa, pour les morceaux ‘’Château de Versailles’’ et ‘’Holà’’. 

Quid du djing ? Le DJ est un artiste hip-hop qui diffuse de la musique et qui travaille sur les platines. Il crée et anime un catalogue musical. Et sa tâche ne se limite plus à enchainer les disques dans les night-clubs. Au Sénégal, malgré la cherté et l’inaccessibilité des matériaux dont ils ont besoin, les DJ, à l’instar des beatmakers, ont participé à l’évolution des cultures urbaines au Sénégal. Ils accompagnent le flow des rappeurs lors des concerts, mettent de l’ambiance lorsque les graffeurs taguent dans les rue ou lorsqu’il y a un évènement hip-hop.

Aujourd’hui, les DJ sénégalais veulent aller plus loin. ‘’Nous, nous évoluons dans le milieu hip-hop où le DJ est toujours derrière. Nous sommes en train de voir comment mettre le DJ sous le feu des projecteurs. Nous voulons qu’ils montent sur scène en tant qu’artiste qui fait son animation’’, fait savoir Deejay Paul, membre fondateur de Makodef, une structure qui regroupe des Dj sénégalais.

Ainsi, lui et ses pairs prennent des initiatives importantes et ne ratent pas l’occasion pour exhiber leur talent. D’ailleurs, en cette période de crise sanitaire, la DJ Zeyna, en partenariat avec Zwina Entrainment, a initié ‘’Home Connect’’ avec comme thème ‘’Faire entendre la voix des femmes pendant cette période de Covid-19’’. Cette invitation de DJ Zeyna à 10 artistes féminines dont Sister LB, Mamy Victory, Aida Sock et Dj Nina, consiste à organiser cinq concerts lives sur les réseaux sociaux.

Grace à l’accès à Internet et aux structures d’acteurs hip-hop…

Au Sénégal, au début du mouvement hip-hop, le beatmaking peinait à se développer. Ceux qui parvenaient à composer les musiques hip-hop, c’étaient Aziz Dieng, Robert de Black Mbolo, etc. S’il n’y a pas d’école de formation en beatmaking, qu’est-ce qui a permis l’évolution de ce métier dans ce pays ?

Selon Malal Talla, cette évolution s’explique par le développement des studios et à l’accès à Internet. ‘’Les rappeurs ont mis en place des studios d’enregistrement. Et beaucoup de jeunes amoureux du hip-hop ont appris, sur le tard, comment composer de la musique. Cela s’appelait ‘Musique assistée par ordinateur’ ; elle est composée à partir d’un ordinateur avec un logiciel. Cependant, à chaque fois qu’une nouvelle tendance arrivait, les beatmakers étaient confrontés à des problèmes pour la composer. Mais aujourd’hui, avec le développement de la technologie, les beatmakers sénégalais sont à jour. Ils arrivent même à produire des beats pour des Américains. Ce qui était inimaginable, même en 2010’’, dit-il.

Avant d’enchainer : ‘’Mais aujourd’hui, il y a beaucoup de home-studios. Et grâce à Internet, ils ont accès aux banques de sons et à tout ce dont ils ont besoin. Franchement, ils ont beaucoup fait évoluer la musique hip-hop au Sénégal.’’  

En effet, l’Internet permet de savoir ce qui se passe ailleurs, d’être au diapason, d’avoir l’information en même temps que tout le monde. ‘’Au début, narre-t-il, un album pouvait sortir aux Etats-Unis, mais pour l’avoir au Sénégal, il fallait attendre des mois. Actuellement, l’Internet a raccourci les distances et a démocratisé l’accès aux outils de travail. C’est-à-dire, les jeunes peuvent désormais acheter avec leur carte bancaire des banques de sons, des logiciels, etc. Ils travaillent avec les mêmes outils que ceux qui sont en Occident. Et après, leur créativité et le répertoire très riche en sons feront la différence.’’  

Ainsi, de nos jours, les beatmakers sénégalais s’en sortent bien. Au-delà des projets artistiques (album, EP, etc.), leurs services peuvent être loués pour de la publicité, des évènements et pour des structures de cinéma. Leurs activités sont lucratives. ‘’Ils font énormément de choses et gagnent beaucoup d’argent’’, souffle M. Talla. Une confession confirmée par Kef Keffi. D’ailleurs, d’après ce dernier, seuls les artistes qui n’ont pas de moyens continuent de télécharger des beats sur le net.

‘’Ce sont les artistes underground qui n’ont pas trop les moyens qui le font. Il faut noter aussi qu’il faut avoir des moyens solides pour avoir une belle carrière musicale. De la conception du beat à la réalisation de la musique finie avant de tomber sur la réalisation de la vidéo, tout est question d’argent. Tout cela relève de moyens financiers que malheureusement 90 % des artistes sénégalais n’ont pas. Même certains que le public connaît et qui battent les tambours tirent le diable par la queue’’, estime-il.

Pour ce qui est du djing, également, c’est grâce à l’Internet, mais aussi au travail des structures hip-hop telles qu’Africulturban, la Maison des cultures urbaines de Dakar (MCU), Guédiawaye hip-hop, Studio Sankara, Doxandem Squad, etc., qui mettent en place des formations gratuites destinées aux jeunes qui veulent faire du djing, du graphisme, de l’entreprenariat culturel. Un travail qui est en train d’être fait depuis 15 ans, selon Malal Talla. ‘’Aujourd’hui, derrière chaque rappeur, il y a un DJ. Si on en est arrivé-là, c’est qu’en amont, il y a un travail qui a été fait. On peut compter 300 à 400 DJ au Sénégal’’, explique-t-il. 

‘’Aujourd’hui, chacun de ces DJ s’est tracé son propre chemin. La majeure partie d’entre eux sont en train de pratiquer ce qu’ils ont appris. Ils sont dans les télévisions, les radios, les studios etc.,’’ renchérit Deejay Paul.

BABACAR SY SEYE

 

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