Publié le 3 Apr 2016 - 04:23
BOUBACAR BA, ANCIEN DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’OFEJBAN

‘’J’ai tourné la page Pds…’’

 

Disparu de la scène politique sénégalaise depuis la chute d’Abdoulaye Wade, Boubacar Ba parle. Mais pas en tant que militant du Parti démocratique  car l’ancien DG de l’Office pour l’Emploi des jeunes de la banlieue (Ofejban) dit avoir quitté le Pds. Dans cet entretien avec EnQuête, il lève un coin du voile sur ses ambitions politiques, charge ses désormais ex-compagnons de parti, dénonce l’‘’hypocrisie’’ de la société civile sénégalaise dont certains de ses leaders, selon lui, percevaient, du temps d’Abdoulaye Wade, 500.000FCFA du gouvernement.

 

On ne vous a pas vu sur la scène politique depuis la chute d’Abdoulaye Wade en 2012. Qu’est ce qui explique cette hibernation ?

Je dois dire que c’est une volonté personnelle, une décision tactique. Vous savez, je suis sorti de l’Ecole de Wade (Abdoulaye Wade, ancien président de la République, Ndlr). Je n’ai pas de maître en politique sinon un ami que j’ai connu à Pikine, qui m’a accompagné, qu’on appelle Mamadou Faye. Si j’ai réussi à m’installer sur le plan politique dans la banlieue, c’est grâce à lui. Mais sur le combat politique, je suis de l’Ecole de Wade qui m’a formaté. Il me donnait des cours personnels ; voilà ce que tu dois faire, comment tu dois te comporter alors que je n’avais qu’entre 17 et18 ans.

Etes-vous toujours membre du Parti démocratique sénégalais ?

Avec ce que j’ai vu actuellement, depuis maintenant deux ans, pour moi, la page Pds est tournée.

Quelles sont les raisons qui expliquent ce divorce ?

Elle est tournée puisque je suis de plus en plus déçu. Cela fait deux ou trois ans que j’alerte. S’il y a une chose qu’Abdoulaye Wade m’a apprise, c’est d’être un homme libre. On m’a appris à jouir de ma liberté par rapport à tout, surtout dans la politique. Quand le Président Wade m’apprend cela pendant plus d’une vingtaine d’année, j’ai l’obligation de le pratiquer sur le terrain en un bon élève. Je l’ai suivi quand j’étais étudiant en France jusqu’à ce qu’il accède au pouvoir. Quand il est arrivé au pouvoir, j’ai continué à travailler directement dans la banlieue en étant d’abord adjoint au maire, consultant privé, en lui proposant des projets. Si beaucoup de choses ont été réalisées dans la banlieue, c’est grâce aux interventions et aux écrits de Boubacar Ba. Tous ceux qui font le malin aujourd’hui, ils n’ont fait que se servir et non servir Abdoulaye Wade ou la banlieue.

Pouvez-vous être plus explicite par rapport aux raisons qui vous ont poussé à quitter le Pds ?

Entre le Pds et moi, c’est désormais du passé. C’est fini. J’ai donné tout ce que je devais donner à ce parti. Le Président Abdoulaye Wade m’a, dans une certaine mesure, fait confiance. J’ai fait ce que j’avais à faire. L’évaluation, on le fera après. Mais les raisons qui m’ont poussé à quitter le Pds sont multiples. D’abord, vous ne pouvez pas être dans un parti où les gens que tu as amenés dans ce même parti, font tout pour que tu n’aies pas de rapprochement avec le Secrétaire général. Des gens qui n’apportent rien au Pds encore moins aux Sénégalais, qui ne sont là que pour leur gagne-pain. Quelqu’un qui a attendu 4 ans a suffisamment attendu.

Sincèrement, je ne vais pas perdre mon temps à rester dans un camp où on veut continuer à m’utiliser, en insistant surtout sur le fait que je suis parent à Wade. Ils pensent qu’avec cela ils peuvent me retenir. Ils se trompent. Ensuite, j’ai des ambitions aussi sérieuses que celles de Karim Wade, aussi sérieuses que celles d’Idrissa Seck ou encore d’Oumar Sarr. Si j’avais 1% de ce qu’ils ont, la banlieue ne serait pas dans cette situation. Je suis un libéral qui croit fermement et formellement au ‘’wadisme’’ mais je me dois de faire ma route.

N’êtes-vous pas en train de chercher à votre ancienne formation politique la petite bête?

Vous savez, avec le Pds, nous avons exercé le pouvoir, et nous l’avons quitté en 2012. Nous sommes restés malgré cela. Mais ce que je n’arrive jamais à supporter, c’est qu’en de pareilles circonstances, qu’on nous mène la vie difficile dans le parti, qu’on nous mette des bâtons dans les roues. Et ce qui est grave, à chaque fois qu’il y a une tentative de promotion à notre égard, ce sont ces mêmes personnes qui n’apportent rien au parti, qui ont des moyens, qui essaient de nous barrer la route. J’ai tout donné à Abdoulaye Wade et au Pds. Si je suis resté dans le parti pendant tout ce temps, c’était pour soutenir Karim Wade, mon ami et frère avec qui nous avions un projet pour le Sénégal depuis 1994 en France. Quand il descendait dans la banlieue, la première personnalité qui l’a accompagnée, c’est moi sinon Malick Gueye le Directeur général de l’Agetip. C’est nous qui l’avons accompagnés. Les plus grands bains de foule qu’il a eus, c’est avec nous.

Aujourd’hui, il y a des dinosaures qui ne nous apprennent rien. Quand quelqu’un a été président de groupe parlementaire pendant 10 ans sous le régime de Wade et qui refuse à ce que quelqu’un d’autre le soit, cela pose problème. Quand quelqu’un dit qu’il faut réorganiser le parti, vous lui dites non alors que nous avons donné toute note vie à ce parti, si vous pensez que nous allons rester à vous suivre, vous vous trompez. On vous laisse gérer cela et on fait notre chemin ailleurs. Il n’y a pas, aujourd’hui, une seule structure officielle valable au Pds. Toutes les structures, depuis la Cellule jusqu’au Comité directeur, ont été biaisées. Il n’y a plus de structures valables parce qu’aucune ne répond aujourd’hui aux normes du règlement intérieur du Pds.

Donc vous soutenez le combat que mène Modou Diagne Fada pour le renouvellement des instances du Pds ?

Je suis d’accord sur le fond mais pas sur la forme et la méthode. Je suis de l’Ecole de Wade et personne ne m’entendra le défier, personne ne me verra l’affronter pour plusieurs raisons. Pour autant, je n’accepte pas d’être le béni oui oui de qui que ce soit.

Selon vous, comment Modou Diagne Fada devait-il engager le combat pour le renouvellement des instances du Pds ?

Il fallait d’abord organiser des consultations dans les différentes sections, rencontrer le Secrétaire général national et le lui imposer parce que c’est lui qui nous a appris à être rigoureux, à être libre. Quelqu’un qui est sorti de l’Ecole de Wade peut être leader dans ce pays. Mais il faut être raisonnable et objectif. Je ne peux pas comprendre qu’il y ait ce mélimélo dans l’opposition, que tout le monde se retrouve pour un seul objectif : contraindre le Président Macky Sall.

Je ne l’ai jamais vu. Je défends des principes et dans les jours à venir, vous allez nous entendre dans la banlieue. Nous sommes en train de préparer quelque chose de très sérieux et les Sénégalais se rendront compte qu’on ne s’est pas tus pour rien.  Nous sommes tous aujourd’hui, à part   Me Wade, des jeunes et des femmes qui ont investi toute leur vie dans le parti, chacun à son destin. Il y en a ceux qui sont devenus hyper riches et qui au début, n’avaient rien. D’autres sont restés eux-mêmes. Moi je n’envie personne. Je vais vous faire une révélation. J’ai voté et fait voter OUI pour le référendum.

Ah bon ! Qu’est ce qui explique ce choix ?

J’ai voté OUI au référendum parce que tout simplement, je sais qu’au niveau du Pds, les gens étaient pour 7 ans mais ils n’ont jamais voulu le dire. Ils se sont acharnés sur Macky Sall parce que c’est sa position alors que nous nous battons pour un idéal. Chaque pas franchi en démocratie est un acquis. Ce n’est pas parce que Macky Sall est président de la République et que Karim Wade est en prison que j’appelle à voter NON pour tout simplement le sanctionner. Je ne vais pas voter NON parce que je suis contre Macky Sall. La Constitution quoi qui se passe, demeurera alors que les Présidents, que ce soit Macky Sall, Abdoulaye Wade ou Karim Wade, partiront. La Constitution est pour la République. Si j’estime qu’il y a des avancées notoires, minimes qu’elles soient, je voterai et je l’accompagnerai.

L’opposition rejette les résultats de ce scrutin et pointe un faible taux d’abstention. Comment voyez-vous sa posture ?

S’il y a un taux d’abstention très élevé, il concerne et le pouvoir et l’opposition. À la limite, on peut dire que les populations en ont marre et il faut s’arrêter un moment. Il ne faut pas que les gens pensent que c’est le pouvoir qui a été sanctionné. L’opposition a été aussi sanctionnée avec cette soi-disant société civile. Les Sénégalais en ont assez de voir des gens utiliser des raccourcis pour accéder au pouvoir ou avoir quelque chose. Il faut arrêter parce que les gens sont éveillés. Quand quelqu’un se tait, il faut le laisser. Je sais ce qui se passait à la Cellule d’appui à la communication de l’Etat (CACE)  au temps de Wade. Les gens de la société civile passaient prendre leur enveloppe tous les mois.

Avez-vous les preuves de ce que vous avancez ?

Évidemment ! J’en connais. Si les gens insistent, on les citera nommément. Il y en a des gens, quand je les regarde, ils me font rire. Chacun percevait 500 000F par mois.

Pouvez-vous nous en dire plus par rapport à leur identité ?

Ils sont toujours de la société civile mais ils sont dans les rouages de l’opposition aujourd’hui. Je confirme. Ce sont ces gens qui, quand celui qui gérait la cellule n’était plus là-bas, ils sont allés se ranger dans l’opposition. Ce sont les mêmes gens qui ont voulu faire le chantage à Macky Sall et ça n’a pas marché.

Peut-on s’attendre à ce que vous adhériez à l’Alliance pour la République ?

Ça peut être n’importe quelle organisation politique libérale pourvu que je sois en mesure, dès que je suis avec cette organisation politique, d’exprimer clairement mon engagement et mon patriotisme par rapport à ma localité et par rapport au Sénégal. Si nous discutons avec qui nous devons discuter, dans 4 à 5 mois, le visage de certaines villes va changer et des milliers d’emplois seront créés dans un très proche avenir.

Comment appréciez-vous le bras de fer entre Modou Diagne Fada et Aïda Mbodji pour le contrôle du groupe parlementaire des Libéraux et Démocrates ?

C’est une question de fond. Moi je ne peux pas accepter cet acharnement de Doudou Wade et de Babacar Gaye pour qui j’ai beaucoup de respect parce que tout simplement ils avaient des doutes que Fada soit du côté de Wade. C’est pourquoi ils ont dit que c’est Aïda Mbodj. Écoutez, Fada est un fils authentique de Wade. Dans tous les autres partis politiques, ce sont les relèves naturelles qui gèrent le pouvoir et assurent la relève.

Je crois qu’on ne peut pas vouloir une chose et son contraire. Nous avions appelé tout le monde à crier sur les toits qu’il faut aller vers l’organisation et la restructuration du parti. Même si on ne restitue pas tout, on crée une dynamique, on met des commissions à la base pour créer une synergie et mettre les hommes qu’il faut aux places qu’il faut. Mais on ne peut pas se lever un petit matin et briser des gens qui se sont sacrifiés pour ce parti. Nous avons tout donné au Pds. Comment se fait-il qu’on veuille nous imposer des personnes qui ont insulté Me Wade ? Les gens parlent de transhumance. Ceux qui parlent aujourd’hui de transhumance dans l’opposition étaient les maitres recruteurs de Wade au lendemain de la présidentielle de 2000.

A qui faites-vous allusion ?

Je parle d’une bonne partie de l’opposition issue de la famille libérale. Je peux expliquer au détail près. Je pense que les gens sont amnésiques, ils oublient l’histoire. Ceux qui théorisaient la transhumance disaient qu’il fallait conforter le pouvoir du Président Wade pour lui permettre d’avoir une majorité à l’Assemblée nationale et lui permettre de gouverner tranquillement. Je suis contre la transhumance. Aujourd’hui, Macky Sall est de la famille libérale.

Justement, croyez-vous aux retrouvailles de la famille libérale ?

C’est possible mais il faut d’abord assainir le climat politique. Il faut stabiliser la géopolitique sénégalaise et assainir les relations. Aujourd’hui, le OUI a remporté, il faut discuter sur les réformes institutionnelles. Il faut engager un dialogue social avec le front social. Je pense que la personne indiquée pour jouer les sapeurs-pompiers c’est Me Alioune Badara Cissé, le Médiateur de la République. Il est équidistant de tous ces problèmes. Il est écouté de part et d’autres. Il a eu le mérite d’avoir de bonnes relations de part et d’autres et est aujourd’hui choisi par le président de la République. Je l’interpelle. Je crois qu’il faut aller vers cet apaisement et se mettre au travail. Les Sénégalais en ont assez de la politique.

PAR ALIOU NGAMBY NDIAYE

 

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