Publié le 2 Feb 2021 - 12:45
CHRONIQUE PAR PHILIPPE D’ALMEIDA

Nos routes meurtrières : Une fatalité ?  

 

Les accidents de la route sont-ils devenus une fatalité, au Sénégal ? A en juger par la recrudescence de ces nombreux morts sur nos routes et par ce qui semblait, jusqu’ici, être le silence fataliste des autorités, il fallait croire que oui. Mais le ministre Mansour Faye est monté au créneau, vendredi dernier, et a dénoncé, dans une légitime colère, ‘’le comportement des usagers professionnels sur nos routes…’’, annonçant, à la clef, des mesures rigoureuses dont la vocation serait d’endiguer la tendance meurtrière.

Sans doute, aura-t-il fallu l’électrochoc de l’accident qui, le 28 janvier, fit 9 morts et plusieurs blessés dans la région de Kaolack, plus précisément à Daga Diakhaté, et qui impliquait un camion et un véhicule de transport en commun. Neuf morts de trop sur la longue liste de ceux qui nous ont quittés dans la brutalité inouïe de ces métaux hurlants lancés à vive allure et que ne contrôle plus la raison humaine…

Sans doute, aura-t-il fallu aussi la colère de plus en plus grandissante de ceux qui n’acceptent plus l’impuissance publique devant ces tragédies récurrentes ; impuissance une peu nourrie, c’est honnêteté intellectuelle que de le reconnaitre, du sentiment religieux que ce qui arrive ne peut que l’être.

Il se trouve que ce sentiment est un mysticisme ; il crée et renforce dans l’esprit du politique que son pouvoir est limité de la sacralité du ‘’fatum’’ divin et qu’à vouloir le conjurer, l’on s’oppose à un ordre immarcescible. Et donc implacable dans ses réponses…

Au Sénégal, la route tue chaque année plus de 600 personnes, avec la responsabilité humaine induite à 80 %. Ce sont des chiffres officiels. L’autoroute Ila Touba contribue, pour beaucoup, à ce bilan macabre : le 21 janvier, trois membres d’une même famille y ont trouvé la mort, dans une collision tectonique, aggravant le chiffre déjà sinistre des âmes qui se sont envolées là, vers l’on ne sait trop quelle destination…

 Avant cette autoroute, les routes du pays et les rues de ses villes offraient au dieu asphalte un sinistre tribut depuis de nombreuses années et au rythme de l’érection de nouvelles infrastructures routières, comme si, dans une cynique logique où entrent peurs primales, croyances anciennes et mythes obscurs, l’usager, de plus en plus à l’aise pour sacrifier aux dieux invisibles de la vitesse et du plaisir, devait en payer le prix sanglant, en guise de gratitude au pouvoir public.  Mais cela est une autre question…

Pour l’heure, vaincre la fatalité de ces morts inutiles nécessite que l’on en connaisse les causes ; et ce n’est pas faute de les connaitre que les pouvoirs publics ont jusqu’ici feint d’ignorer leur gravité : les permis de conduire plus souvent achetés que mérités ; la  visite technique des voitures,  certifiée dans la même inconscience ; la surcharge des transports en commun ;  la consommation de stupéfiants de plus en plus décomplexée par les conducteurs  de transport en commun et de camions ; l’excès de vitesse pratiquée par des usagers ordinaires, en l’occurrence les jeunes, souvent sous l’emprise de l’alcool ou animés du simple désir de faire monter l’adrénaline dans des courses folles et des rallyes  surréalistes, dans le silence sidérant des autorités, constituent quelques-uns des facteurs qui ont installé la réalité sordide de ces chiffres qui, chaque année, rappelle à la conscience collective que la bêtise, l’inconscience et la légèreté des hommes peuvent être de terribles incubateurs de tragédies.

En menaçant de ‘’retirer la License d’exploitation des transporteurs qui se rendent coupables de surcharge’’ ; en brandissant l’imminente implication des forces de défense et de sécurité dans la répression de l’incivisme routier, Mansour Faye prend sans doute la mesure de ce qui a été jusqu’ici l’impéritie de l’Etat. Il réalise l’urgence nationale qu’il y a d’y remédier.

 En engageant la fermeté du pouvoir dans cette nouvelle entreprise, il fait œuvre d’utilité et de salut publics. Dans le formatage de ce nouveau logiciel, il faut souhaiter qu’il laisse libre cours au curseur dans les dispositions répressives ; la sempiternelle ritournelle sensibilisatrice est de peu d’effet sur les fous de la route. Elle est malheureusement l’un des tropismes de l’impuissance publique.

Puisse-t-on, pour une fois, accéder aux exigences de la dissuasion, en donnant de premiers et puissants signaux de répression.

 

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