Publié le 25 Feb 2021 - 01:32
CONCOURS NOTARIAT

Le ‘’malheur’’ de la Chambre

 

Pendant que les étudiants font tout pour réclamer l’organisation du concours annoncé depuis 2018 par l’ancien ministre Ismaila Madior Fall, le président de la Chambre des notaires, lui, se remémore les circonstances qui, malheureusement selon lui, avaient mené vers l’instauration d’un concours pour l’entrée au stage notarial. Il s'exprimait, hier, à l'occasion d'une rencontre avec la presse.  

 

Si ça ne dépendait que de la Chambre des notaires, le concours d’admission au stage de notaire n’allait jamais exister. Président de cette organisation, Me Alioune Ka en a fait l’aveu, hier, lors de leur traditionnelle rencontre avec la presse. Interpellé sur l’organisation du concours et l’attribution des nouvelles charges, voici sa réponse : ‘’… La chambre avait donc proposé un concours non pas à l’entrée de stage, mais à la sortie, pour l’attribution des charges. Malheureusement, la tutelle a considéré qu’on ne devrait pas s’en arrêter-là. Il fallait qu’on crée aussi un concours à l’entrée, comme c’est le cas pour les avocats. Du coup, on s’est retrouvé à être la seule profession où il faut deux concours.’’

En fait, relève Me Ka pour le souligner, le concours a été institué en 2002, sur la demande même de la Chambre des notaires. Sauf que ce n’était pas pour bannir les discriminations sous toutes leurs formes, mais juste pour les attributions. Il précise : ‘’La chambre estimait que le pouvoir de nomination discrétionnaire de l’Etat ne permettait pas de mettre tous les postulants sur la même ligne. Et qu’en fonction des connaissances des uns et des autres, tel pouvait être nommé, alors que tel autre ne pouvait l’être. Voilà pourquoi on avait demandé, nous (la chambre), un concours pour la sortie des stagiaires et l’attribution des charges.’’

A l’époque (avant l’institution du concours), pour être notaire stagiaire, il fallait juste le diplôme requis et être inscrit au registre des stages. Ce qui relevait exclusivement du pouvoir discrétionnaire des autorités compétentes, dont la Chambre des notaires. De ce fait, beaucoup de Sénégalais estimaient que ne pouvaient accéder à cette profession que quelques privilégiés qui avaient des parrains dans la profession. Alors qu’ils voulaient remettre en cause le pouvoir discrétionnaire de l’Etat, juste pour l’attribution des charges aux notaires qu’ils avaient eux-mêmes choisis ou contribué au choix, les notaires étaient peut-être loin de se douter que l’Etat avait d’autres visées

En effet, s’engouffrant dans la brèche ouverte par cette proposition, la tutelle avait pris la décision ferme d’instaurer plus de démocratie dans la profession, en instaurant un concours d’entrée au stage. Pour autant, l’Etat n’est pas allé jusqu’au bout de sa logique, car il a fallu attendre 2013 pour l’organisation du tout premier concours. A ce stade, relève Maitre Alioune Ka, ils ne sont pas contre l’ouverture et le rajeunissement ; la chambre a demandé le recrutement de 22 stagiaires et non 5, comme le voulait l’Etat. ‘’Juste pour montrer qu’il y a parfois beaucoup d’idées mal reçues visant à dire que la chambre est une secte fermée et que les gens ne veulent pas s’ouvrir aux jeunes. Ce n’est pas le cas’’.

‘’C’est le président qui nomme et c’est lui qui nommera qui il veut’’

Par ailleurs, constate le président de la chambre pour s’en désoler, suite à la sortie de ces 22 stagiaires, il devait y avoir au moins un concours pour l’attribution des charges. A cause du refus du collectif des 22, s’en est suivi une vive polémique qui a abouti, en 2020, à la suppression du deuxième concours pour l’attribution des charges. ‘’Ce faisant, on revient au pouvoir discrétionnaire de l’Etat. C’est le président qui nomme et c’est lui qui nommera qui il veut à la place qu’il voudra. Ce n’est pas nécessairement le plus compétent ou le plus ancien. Pour nous, c’est un recul. Mais comme ce n’est pas à nous de décider, on s’en tient à ce que dit la loi’’.

Ce que le président de la chambre n’a pas souligné, c’est que ces 22 sont, à ce jour, les seuls notaires qui ont eu à subir un concours. Tout le reste, c’est grâce au pouvoir discrétionnaire. En outre, au moment même où la chambre regrette la suppression du deuxième concours qui ne se justifiait pas, selon nombre d’acteurs, elle fait des pieds et des mains pour faire nommer des gens sans passer par aucun concours. Quitte même à mettre en péril le principe de l’égalité entre tous les citoyens.

Sur une trentaine de clercs de première catégorie, en effet, la Chambre des notaires est accusée de vouloir tirer un lot restreint pour les faire nommer, sans passer par le concours. Interpellé sur cette question, Me Alioune Ka précise : ‘’Vous parlez du concours d’entrée ou du concours de sortie ? Parce que le concours de sortie n’existe plus. C’est juste un concours pour le stage qui existe maintenant... Ce qu’il faut savoir, c’est qu’il y a les 22 qui ont passé effectivement le concours d’entrée et qui attendent des charges ; il y en a aussi qui bénéficient des dispositions transitoires et qui sont dans la même position. Maintenant, il y a aussi des gens pour lesquels l’autorité a estimé qu’il faut faire preuve de tolérance…’’

Pour lui, il n’est pas exact d’assimiler ces gens à des clercs. ‘’C’est des stagiaires qui n’ont pas été inscrits au registre, mais qui avaient commencé leur stage bien avant la mise en place du concours. Mais, encore une fois, c’est de la responsabilité de l’autorité de tutelle de nommer ou de ne pas nommer’’.

Jusque-là, la tutelle s’était opposée à cette volonté de la chambre de faire passer entre les mailles d’autres privilégiés.

Institué depuis 2002, le concours n’a été organisé qu’une seule fois dans l’histoire du notariat sénégalais et c’était en 2013, sous le magistère d’Aminata Touré. Or, dans les normes, il constitue le seul moyen d’accéder à cette profession très sélective.

La guerre des charges

Mais combien sont-ils, aujourd’hui, à attendre des charges ? Officiellement, il y en a 40 qui ont déjà été nommés (les 22 plus 18 ayant profité des mesures provisoires). Mais il ressort des propos de Maitre Alioune Sow que la porte n’est pas encore totalement fermée. Du moins, si la volonté de la chambre se concrétise. ‘’Dans les décrets de 2002 comme de 2009, il était prévu que certaines personnes soient dispensées du concours. C’est pour vous dire qu’aujourd’hui, dans la réalité, ce n’est pas 22 qui attendent, mais bien presque une cinquantaine ou quarantaine même qui demandent’’.

Pour leur part, les 22 qui se sont regroupés dans des sociétés civiles professionnelles (SCP) ont pris les devants pour postuler sur certaines charges créées à Dakar. Mais à entendre Me Ka, leur combat est loin d’être gagné. Il rétorque : ‘’Effectivement, cette demande a été transmise au ministre de la Justice qui l’a transmise au procureur qui nous a demandé notre avis. Cet avis va être donné incessamment à qui de droit, parce qu’on a une réunion de bureau qui aura lieu ce samedi.’’

En ce qui concerne les lenteurs dans l’attribution des 20 charges créées dernièrement par le gouvernement, il dégage toute responsabilité. ‘’C’est l’Etat qui a créé les charges et qui doit procéder à leur attribution. Dans les charges qui ont été créées, il y a une partie qui est réservée à la mutation. C’est-à-dire des gens qui étaient dans les régions et veulent se rapprocher’’, a répondu le président de la Chambre des notaires du Sénégal.

Par ailleurs, rappelle l’organisation, l’Etat ne peut pas se permettre de créer des charges à tout-va. Il faut, renchérit le président, un équilibre entre les charges et l’activité. ‘’Dans cet état d’esprit, l’Etat a estimé que 20 charges devraient suffire pour cette fois-ci. Maintenant, avec l’Etat et les personnes concernées, on a trouvé des alternatives qui puissent permettre d’absorber le maximum de notaires. C’est dans ce cadre que s’inscrivent les regroupements’’.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LITIGES FONCIERS

Le ver est dans le domaine national

Lors de sa rencontre avec les journalistes, la Chambre des notaires du Sénégal est aussi revenue sur les nombreux litiges fonciers et annoncé des réflexions allant dans le sens de les réduire et de promouvoir le développement.

Pour sécuriser le foncier et promouvoir le développement, les notaires préconisent d’aller plus en profondeur dans les réformes. A en croire le président de la Chambre des notaires du Sénégal, le ver est dans le domaine national. Rappelant que 3/4 relèvent du domaine national, il déclare : ‘’La chambre envisage de faire des propositions allant dans le sens de réformer le système foncier, de telle sorte que les terres, quelles que soient leur régime, puissent être dans le commerce juridique. C’est-à-dire qu’elles puissent faire l’objet de transaction ; qu’elles puissent faire l’objet de garantie. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.’’

Comme solutions, les notaires proposent deux voies : ‘’Soit une immatriculation massive des terres du domaine national’’ ; soit ‘’trouver un système, même nouveau, qui permette de placer ces titres en garantie et de les inclure dans le commerce juridique.’’ Ce que nous voulons, insiste-t-il, c’est apporter un plus aux réflexions qui ont été faites. ‘’Certes, on a été membre de la commission en charge de la réforme, mais nous pensons que le simple fait d’être membre ne suffisait pas. Il fallait une place plus prépondérante. C’est pour ça que nous avons pris la décision de mettre en place une commission au sein de notre institution. Laquelle va réfléchir sur la question, en prenant en compte les propositions qui ont été faites’’.

Par rapport aux conflits fonciers, il dégage la responsabilité de ses pairs. ‘’C’est vrai qu’il y a beaucoup de scandales fonciers. Mais ces litiges concernent, dans leur écrasante majorité, les transactions qui ne sont pas faites devant notaire. ‘’Il faut vraiment noter que les contentieux fonciers ne découlent pas de l’intervention des notaires, mais du fait que beaucoup de transactions ne passent pas par le notaire’’.

La nouvelle feuille de route

Malgré les récriminations, la Chambre des notaires du Sénégal affirme vouloir se rajeunir. ‘’L’ouverture de la profession, soutient le président, se traduit aujourd’hui par la création de vingt nouvelles charges à pourvoir par décret n°2020–2343 du 16 décembre 2020. Il est remarquable de souligner qu’aujourd’hui, le notariat est la seule profession libérale présente dans quasiment toutes les régions du Sénégal’’.

Dans la même veine, soutient Maitre Alioune Ka, le principe du départ à la retraite favorisera cette volonté de rajeunir la profession. Il déclare : ‘’Le nouveau statut des notaires a introduit en ses dispositions le principe de la retraite qui a fait l’objet de beaucoup de discussions, non pas parce que la chambre s’y opposait, mais parce qu’il n’était pas accompagné de mesures transitoires pour les confrères et consœurs touchés par la mesure en l’absence de régime de retraite.’’ 

Par ailleurs, Me Ka est revenu sur les principaux objectifs de son bureau. Parmi ces challenges, note-t-il, il y a notamment la réforme du système foncier source de beaucoup de conflits, le partenariat avec la Caisse des dépôts et consignations, le changement de statut pour ériger un ordre professionnel, l’adoption d’une loi portant statut des notaires en lieu et place de l’actuel décret, la reconnaissance du privilège de juridiction, l’édification d’un siège moderne et fonctionnel à la mesure de l’ambition de la profession.

De plus, souligne le président de la chambre, ‘’le notariat entend assurer une collaboration accrue avec la tutelle, dans un cadre apaisé, malgré les quelques incompréhensions liées à certaines dispositions du nouveau statut des notaires adopté par décret n°2020-1524 du 17 juillet 2020’’.

MOR AMAR

Section: