Publié le 21 Jun 2019 - 01:27
CONTRAT D’AFFERMAGE DE L’EAU

Retour sur une procédure inédite

 

La Sde, titulaire du marché de la distribution de l’eau au Sénégal depuis 1996, refuse toujours d’avaler l’amère pilule de l’attribution dudit marché à son concurrent, Suez, suite à une longue et pernicieuse procédure d’appel d’offres.

 

C’est un dossier têtu. La décision n°093/19/ARMP/CRD/DEF du 29 mai 2019, publiée récemment par l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp), est certes importante, mais pas décisive. Elle marque une nouvelle étape dans la guerre fratricide entre la filiale d’Eranove (Sde) et le groupe Suez. Après le rejet de son recours par l’Armp, la Sde a décidé de porter le combat devant la Cour suprême du Sénégal. Comme devant la gendarme des marchés publics, la bataille s’annonce rude devant cette haute juridiction. De mémoire, rarement un appel d’offres a pu tenir autant en haleine l’opinion publique sénégalaise. Et ce n’est pas seulement à cause de la sensibilité du marché, mais aussi et surtout de la manière dont le dossier a été piloté depuis le début.

Le 18 octobre 2018 déjà, le Conseil d’administration de la Sde se plaignait, dans nos colonnes, des lenteurs dans le déroulement de la procédure d’appel d’offres. Il disait : ‘’Un processus dont la longueur est inhabituelle ne peut qu’alimenter des suspicions et supputations dommageables à la stabilité et au développement d’un sous-secteur dont le modèle est une référence, grâce à ses remarquables performances.’’ C’était en octobre 2018.

Pourtant, avant même cette réunion du Ca, à l’émission ‘’Grand jury’’ du dimanche 10 juin 2018, l’ancien ministre en charge de l’Hydraulique, Mansour Faye, informait que la Sde avait fait la meilleure offre financière, avec 277 F Cfa le mètre cube, Suez arrivait en 2e position avec ‘’à peu près 299 F’’ et ensuite Veolia avec 365 F. Il rappelait, à cette même occasion, qu’après une première phase de pré-qualification, 9 entreprises avaient déposé et seules trois étaient pré-qualifiées, en l’occurrence les trois susmentionnées.

Ainsi naquit l’espoir du côté de la Sénégalaise des eaux. Mais c’était sans faire attention à cette précision du ministre qui ajoutait : "Au-delà de l'argent, c'est la qualité de la distribution de l'eau et des services qui sont en jeu. Même si le rendement réseau est autour de 80 %, l'un des meilleurs rendements réseau en Afrique.’’

D’ailleurs, très vite, le grand espoir de la Sde s’était transformé en une grosse inquiétude. En effet, après que le ministre a prononcé la divulgation des résultats au mois de juin, il a fallu attendre plus de quatre mois sans que la publication ne soit faite. Ce qui avait poussé la Sde hors de ses gonds.

Mais c’était comme si elle avait senti que les choses allaient mal se tourner. En effet, quelques jours plus tard, le 23 octobre, la décision avait finalement été publiée et avait sonné le glas pour l’actuel titulaire du contrat d’affermage de l’eau. C’était la fin d’une première manche longue de plus de 24 mois. L’appel d’offres ayant été lancé depuis mai 2016. C’était l’incompréhension totale à la Sde qui, depuis cette date, n’a cessé de rouspéter et d’intenter des recours dont la dernière en date est celle introduite le 30 avril dernier, suite à la confirmation, par le ministère en charge de l’Hydraulique, de sa décision provisoire d’attribution du marché.

Réévaluation des offres

Auparavant, l’organe de régulation des marchés publics avait, dans une décision jugée bizarre par certains spécialistes, donné raison à la Sde, alors même qu’elle avait constaté des manquements ‘’substantiels’’ dans son offre. L’Armp avait ainsi renvoyé le dossier à l’autorité contractante pour réévaluation des offres. C’était en fait juste pour permettre au ministère de corriger certains vices notés dans le déroulement de la procédure. Déjà, d’aucuns soulignaient que le gouvernement devait tout bonnement reprendre toute la procédure pour parfaire l’appel d’offres. Mais l’Etat avait choisi de réviser simplement la décision, en confirmant le géant français Suez. Comme pour les décisions précédentes, la Sde rue encore dans les brancards, introduit un recours gracieux, se voit encore débouter et saisit encore l’Armp qui, cette fois, rejette son recours pour insuffisances de preuves.

Mais, apparemment, malgré cet énième revers, la filiale d’Eranove ne compte pas jeter les armes. Elle souhaite user de tous les moyens de droit que lui offre la législation sénégalaise, pour défendre ses intérêts. C’est la volonté, en tout cas réitérée hier, par le président de son conseil d’administration, Mansour Kama. Aux termes des articles 92 alinéa 2, le candidat qui s’estimerait débouté à tort conserve ses droits à réclamer réparation du préjudice subi devant les juridictions compétentes.

Toutefois, la disposition précise que ce recours n’a pas d’effet suspensif.

Révélations du ‘’Canard enchainé’’

La décision de l’Etat d’attribuer le marché de l’eau à Suez va certainement continuer d’alimenter les polémiques dans les jours et mois à venir.

En effet, en plus des lenteurs jusque-là dénoncées, le dossier s’est davantage complexifié en pleine procédure ; avec les révélations du ‘’Canard enchainé’’. L’hebdomadaire français avait révélé, en avril, que la ville de Saint-Louis, dont le maire n’est autre que Mansour Faye qui, en tant que ministre en charge de l’Hydraulique d’alors, a conduit toute la procédure d’appel d’offres, a eu à bénéficier d’un don de 5 camions bennes. Suffisant pour que certains crient à la corruption et au conflit d’intérêt.

Mais malgré les suspicions et accusations, l’Etat a continué et confirme plus que jamais Suez dans ses droits. Ainsi, pour le moment, le flou continue toujours de planer au-dessus du marché de la distribution de l’eau.

MOR AMAR

 

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