Publié le 25 Mar 2013 - 09:35
CRISE SCOLAIRE

Les ''corps émergents'' agneaux du sacrifice

 

 

Le sceptre de la grève plane de nouveau sur l’école sénégalaise. Après une année 2012 sauvée de justesse, l’année 2013 est encore menacée de perturbation. En plus de la situation inédite à l’UCAD où les examens d’octobre se tiennent jusqu’en mars, les enseignants de l’élémentaire et du moyen secondaire menacent de déterrer la hache de guerre. Par anticipation, le gouvernement et les syndicats se livrent à une bataille médiatique. Chaque camp entend faire porter à l’autre la responsabilité d’un éventuel blocage. Au cœur de la polémique, la situation d’une catégorie d’enseignants qu’on désigne sous le vocable pudique de ''corps émergents''. Qui sont-ils ? Qu’est-ce qui les différencie des autres enseignants ? Comment, après avoir été exclus du banquet de l’Alternance sous Wade, ces corps émergents risquent-ils de voir passer le train sur le ''Yoonu Yokute'' de Macky ?

 

 

Les corps émergents, ce sont d’abord des volontaires (enseignement primaire) ou des vacataires (enseignement moyen-secondaire). Ils ont la particularité d’être recrutés sans formation et sans diplôme professionnels. ''Sans diplôme professionnel'' ne veut pas dire ''sans diplôme'' comme on l’entend souvent dans la presse. Au bout de deux ans de service, les volontaires deviennent des maîtres contractuels et les vacataires des professeurs contractuels. Ils reçoivent alors une ''formation diplômante'' et sont titularisés deux ans plus tard. Cette logique n’a pas toujours été suivie. Au moment où j’écris ces lignes, plusieurs centaines de vacataires recrutés depuis 2004 attendent toujours d’être titularisés. Ils devaient suivre une formation de 2006 à 2008, mais le gouvernement avait prétexté des ''tensions de trésorerie'' pour différer cette formation. Entre-temps, 9 à 15 milliards ont été trouvés pour construire le Monument de la Renaissance africaine et 74 milliards pour organiser le 3e FESMAN.

 

 

La formation des vacataires qui ne faisait pas partie des priorités n’a pu se faire qu’entre 2009 et 2011. Deux ans après l’obtention de leur diplôme, la majorité des vacataires attend toujours la titularisation. L’État les maintient dans la précarité en leur versant des salaires de misère jamais payé à temps. C’est ainsi qu’on peut lire dans un article publié le 14 décembre 2012 sur le site du ministère de l'Éducation nationale ceci : ''Le pire a été évité avec le paiement des salaires du mois de novembre des 284 vacataires de la région [de Kaolack] qui ont ainsi vu leur mouvement d’humeur étouffé dans l’œuf''. Les salaires venaient d’être payés quatorze jours après la fin du mois et l’autorité semble se féliciter de sa prouesse : ''Étouffer dans l’œuf le mouvement d’humeur des enseignants'' ! N’est-ce pas de la raillerie ?

 

Le gouvernement actuel a décidé de mettre le couteau dans la plaie des corps émergents. Parce qu’il avait retardé sous des prétextes fallacieux la formation des contractuels, l’État avait pris l’engagement de réparer le préjudice subi en prenant en compte les années de vacation et de contractualisation dans le calcul de l’ancienneté et en payant, sous forme de rappel, la différence entre le salaire perçu par le contractuel et le salaire dû. Cet engagement, le gouvernement actuel ne compte pas le respecter. C’est ainsi que dans Le Soleil du 20 mars 2013 on peut lire ce charabia : ''Un Accord a aussi été trouvé pour une régularisation au tiers de l’ancienneté acquise sans rappel de salaire avec un différé sur 2013 dans la mesure où le projet de budget est déjà bouclé, d’une part, et, même sans rappel, la mesure emporte néanmoins un impact financier estimé à 1,6 milliards mensuel dans l’hypothèse d’une validation au 2/3 et 1,035 milliard dans l’hypothèse de validation au tiers, d’autre part''. Soit le journaliste qui écrit ces contradictions est mal informé, soit le gouvernement prépare l’opinion à un reniement de ses engagements. J’espère que pour cette fois-ci, les leaders des syndicats qui ont toujours utilisé la misère des ''corps émergents'' pour meubler leurs plans d’action resteront fermes.

 

 

Pour justifier la non-satisfaction des revendications des enseignants, nos gouvernants invoquent toujours l’argument financier. En réalité, nos hommes politiques sont plus préoccupés par la satisfaction de leurs intérêts personnels. L’école et l’université publiques ne les intéressent pas puisque leurs enfants n’y sont pas inscrits. J’ai entendu l’ancien député Doudou Wade s’échiner pour justifier les privilèges des députés. Il n’a pas pu me convaincre notamment sur la question des mille litres d’essence. Peut-on consommer mille litres d’essence en trente jours ? Ce que ne sait peut-être pas le sieur Wade, c’est que mille litres d’essence c’est plus de quatre fois le salaire du professeur contractuel le mieux payé.

 

A l’heure de ''gouvernance sobre et vertueuse'' on n’est pas encore sorti de l’auberge. En effet la sobriété consiste à offrir 150 voitures aux députés de la 11e législature et à dépenser quelques petits milliards (cinq milliards deux cent cinquante millions ?) pour acheter de nouveaux bolides tout en demandant aux enseignants de taire leurs revendications. La première des vertus ne devrait-elle pas être l’équité ? Au moment où l’on donne tous les privilèges aux politiques pour leur permettre d’entretenir leur clientèle, on dit aux enseignants : ''Vos revendications ne peuvent pas être satisfaites parce que les caisses sont vides''. Nous ne demandons pas le même traitement que les députés. Mais, si l’on peut trouver cinq milliards pour mettre 150 honorables sénégalais dans le confort, on doit pouvoir trouver les milliards nécessaires pour payer la dette de l’État envers les ''corps émergents'' qui ont accepté de se sacrifier pour l’école sénégalaise. Ou alors, si on estime que le député est plus utile que l’enseignant pour le développement du pays, il faut créer d’autres ''assemblées nationales'' et fermer les écoles !

 

 

Cheikh Kaling

Docteur en Histoire

Professeur Contractuel en service au Lycée Galandou Diouf de Dakar

E-mail : diofior@gmail.com

Tel. : 77 560 57 70

 

 

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