Publié le 31 Oct 2023 - 23:41
DAKAR-PLATEAU

Péril sur le patrimoine classé

 

Pendant qu’il mobilise toute la République et beaucoup de ressources pour sauver le patrimoine de particuliers jusqu’à l’étranger, en l’occurrence celui de Léopold Sédar Senghor et son épouse, l’État se déleste de biens importants et significatifs sur le territoire, ou reste passif sur des transactions qui portent plus préjudice au Sénégal et aux populations.

 

‘’Plateau, rue Nelson Mandela, patrimoine classé’’. Cette mention est l’un des rares vestiges qui restent encore de cette villa centenaire détruite sur cette belle avenue du haut Plateau, à quelques pas de l’hôtel Sokhamon. Sur place à notre passage, tout un tas de gravats, des tuiles rouges minutieusement rangées, un miraculé cocotier dans la cour de la maison démolie. Un décor devenu routinier dans ce quartier résidentiel, l’un des plus chics de la capitale sénégalaise, l’un des plus verts, l’un des plus anciens, sans doute le plus cher, qui a abrité autrefois les dirigeants de l’administration coloniale, puis à l’indépendance des membres du gouvernement sous la Fédération du Mali. À l’éclatement de la fédération, ces murs ont servi de logements de fonction aux plus hauts dirigeants de la République : présidents d’institutions, ministres, ambassadeurs, généraux…

Patrimoine collectif national, ces belles villas font de plus en plus l’objet d’une appropriation privative, de la part de certains gros bonnets de l’Administration, avec la complicité des autorités compétentes. Paradoxalement, ce sont les mêmes autorités qui mobilisent toute la République, qui activent un intense lobbying, déploient d’énormes moyens pour soi-disant préserver l’héritage de particuliers, en l’occurrence les biens de Léopold Sédar Senghor et son épouse.

Comment comprendre que l’État, qui se déleste, parfois presque gratuitement, de patrimoines plus riches, plus symboliques et qui de surcroit est encore sous son contrôle, fournisse autant d’efforts pour des biens moins importants appartenant à de particuliers ? Certains n’ont pas manqué de se poser cette question avec le récent débat sur le patrimoine de Senghor en vente à Caen.

À entendre Maitre Bara Diokhané, on serait tenté de croire en une véritable farce. Interpellé sur la question, l’avocat très engagé sur cette question rétorque : ‘’Bien sûr que c’est un vrai paradoxe. Je pense que dans cette affaire, on est plus dans la politique émotionnelle et opportuniste.’’

Sur la rue du 18 Juin angle Nelson Mandela, se trouve l’ex-villa n°18, occupée sous le régime de Wade par l’ancien ministre Pape Samba Mboup, également classée patrimoine historique. La maison de fonction lui sera plus tard offerte par l’ancien président Abdoulaye Wade, dont il était le chef de cabinet. Alors que beaucoup parlent de bradage, M. Mboup réfute et apporte des précisions. ‘’C’est la Sicap qui avait un programme de vente d’un certain nombre de villas… Quand j’ai vu la lettre et que la maison que j’habitais était concernée, j’en ai parlé avec le président Wade qui me l’a achetée. Nous l’avions payée à un prix raisonnable’’, se défend-il.

Fonctionnaires et privilégiés de la République se sont servis sous tous les régimes dans le foncier de Dakar-Plateau 

Après avoir acquis la villa à un prix qu’il refuse catégoriquement de dévoiler, M. Mboup a voulu la démolir et la reconstruire. Pour ce faire, il lui fallait une autorisation des services du ministère de la Culture (c’était sous le magistère d’Abdoulaye Diop). Celle-ci ne lui a jamais été accordée. Au grand dam de l’ancien ministre qui s’est vu contraint de revendre la villa. À la question de savoir à combien il a revendu ? Il rétorque : ‘’Ce n’est pas ton problème ; occupe-toi de ce qui te regarde !’’

Ce qui est intéressant, selon lui, c’est que l’État a accordé au futur acquéreur de la maison ce qu’il lui avait refusé. ‘’Ce qu’on m’a refusé à moi le Sénégalais, de père et mère sénégalais, qui ai servi loyalement l’État, on l’a accepté à quelqu’un d’autre, qui n’est pas d’origine sénégalaise. Voilà ce qui est scandaleux’’, s’insurge l’ancien collaborateur du président Wade.

Selon certaines informations, la villa aurait été cédée par la Sicap autour de 40 millions F CFA. Elle sera revendue par M. Mboup aux environs de 300 millions F CFA à des hommes d’affaires libanais, dont le propriétaire de la boutique Le Roi du bazin sis à Sandaga. Malgré la plus-value réalisée, le politicien regrette l’opération, voyant ce qu’est devenue la propriété.

En effet, sous les décombres de l’ancienne belle villa remplie d’histoire, trône désormais un affreux immeuble d’environ 14 étages, qui bouche l’horizon à tout le voisinage. Une future machine à fabriquer des sous dans un quartier où les appartements et bureaux s’obtiennent à coups de millions de francs CFA. Pour l’ancien ministre, la pilule ne passe toujours pas. ‘’Ça me fait mal au cœur. Je ne pardonnerai jamais. J’avais demandé que la villa soit déclassée afin que je puisse y apporter des aménagements nécessaires. Ils (les agents du ministère de la Culture) n’ont même pas répondu à ma requête. Moi aussi, j’avais des partenaires et pouvais faire comme les Libanais. On m’a refusé catégoriquement de déclasser. J’ai alors été obligé de revendre puisque c’est une vieille maison de plus de 100 ans. Je ne pouvais pas l’habiter comme ça’’, rouspète l’ancien chef de cabinet.

Ce carnage du patrimoine de Dakar-Plateau, il ne date pas du régime de Wade. Depuis 1960, les régimes qui se sont succédé se sont servis les uns à la suite des autres. Outre Pape Samba Mboup, on pourrait citer parmi les heureux bénéficiaires Moustapha Niasse sous le régime socialiste, Birima Mangara sous le régime Macky Sall. Même le fils du président Abdou Diouf, Habib, a eu sa part du gâteau, dans un petit coin de l’avenue Roosevelt, à l’abri de tous les regards, où il s’est offert une somptueuse villa sur une petite montagne à un jet de l’océan. Un lieu qui rappelle plein de souvenirs à Maitre Bara Diokhané, fervent défenseur du patrimoine de Dakar-Plateau où il a vu le jour. ‘’Ce lieu (là où habite Habib Diouf) s’appelait ‘Blaukhaus’, c’était un vaste fort militaire abandonné, qui servait à protéger la côte dakaroise. Tout en bas, il y a une plage maintenant privatisée. Pas mal de films dont ‘Touki bouki’ de Djibril Diop Mambety y ont été tournés’', témoigne la robe noire également réalisateur, nostalgique.

Des milliardaires libanais et israéliens aussi dans le festin : l’exemple du marchand d’armes Gabriel Peretz et de Ron Yaffet qui s’est taillé le mythique Club Sporting

En sus des fonctionnaires veinards et autres privilégiés qui parviennent facilement à s’approprier ce qui n’était que leurs maisons de fonction qu’ils étaient censés rendre à la fin de leurs missions, des étrangers amis de dignitaires du régime parviennent également à se servir dans le foncier très couru de Dakar-Plateau. Parmi eux, il y a un nom qui revient sur toutes les lèvres : celui de l’Israélien Gabriel Peretz, connu surtout dans le secteur de la vente d’armes, réputé être proche du président de la République Macky Sall. La société AD Immobilier gérée par un certain Idan Peretz, présenté par certains comme son fils, serait attributaire de l’immeuble qui abritait le Haut-Commandement de la gendarmerie nationale, situé à une cinquantaine de mètres de la porte principale du palais de la République, en face du Building administratif, sur la rue Joseph Gomis.

Ceci est loin d’être la seule acquisition immobilière de ce tout puissant marchand d’armes israélien, un des nouveaux seigneurs de Dakar-Plateau. Lors d’un point de presse, l’opposant Ousmane Sonko révélait d’ailleurs à son sujet : ‘’L’État lui a cédé six titres, dont l’ancien siège du Haut-Commandement de la gendarmerie, soit une superficie totale de 4 722 m2,  disons près de 5 000 m2 dans des conditions scandaleuses. Le pire, c’est que dès qu’il termine les constructions, il pourra introduire une requête pour une cession définitive, en vue d’obtenir un titre foncier. Et si l’on se fie aux barèmes actuels, si on doit lui céder ce terrain, ce sera maximum à 60 000 F le m2, soit 280 millions F CFA.’’ Seulement ! Pour être l’un des voisins les plus proches du président de la République du Sénégal.

En effet, entre le terrain et le palais de la République, il n’y a qu’une ruelle et la primature.

Selon les termes du contrat tels que rapportés par M. Sonko, le marchand d’armes bénéficierait sur l’assiette en question d’un bail emphytéotique de 50 ans, moyennant le versement de cinq millions F CFA par an, soit 416 000 F seulement par mois sur ces près de 5 000 m2, au moment où la location d’un bureau peut couter des millions de francs CFA. ‘’Cet immeuble, rien que le terrain a une valeur de 7 milliards F CFA. Car comme vous le savez, en centre-ville, le m2 s’échange entre 1,5 et 2 millions de francs sur le marché. Vous pouvez faire le calcul vous-mêmes’’, dénonçait l’ancien inspecteur des impôts.

Les précisions de Yaya Abdoul Kane, Directeur du Patrimoine bâti dans l’affaire Peretz

Face à ces accusations pour le moins gravissimes, le directeur du Patrimoine bâti, Yaya Abdoul Kane, était monté au créneau pour apporter des clarifications. Malgré la virulence des mots qu’il avait utilisés, sa sortie en soulevait encore des zones d’ombre. "Je voudrais démentir les allégations fallacieuses de monsieur Ousmane Sonko qui, une fois encore, s'est illustré dans la dénonciation calomnieuse et le mensonge par rapport aux contrevérités qu'il vient de dire sur le bail emphytéotique qui a été accordé à la société AD Immobilier. Ce qu’Ousmane Sonko ignore, c'est que cette société a bénéficié de ce bail emphytéotique parce qu'en contrepartie, elle a construit pour le Haut-Commandement de la gendarmerie nationale son siège au niveau de la caserne Samba Diéry Diallo et le loyer dont il parle (le loyer du siège provisoire du Haut-Commandement sis aux Almadies) est pris en charge par la même société, le temps des travaux qui sont presque achevés".

La construction en question - un immeuble de quatre étages sur un terrain appartenant à l’État - vaut-elle 7 milliards de francs CFA ? Pourquoi et dans quelles conditions l’Israélien a été choisi ? Pourra-t-il transformer le bail en TF ? Autant de questions qui se posent aux Dakarois.

Un Israélien peut en cacher un autre

Jusque-là, on a plus connu M. Peretz rendu célèbre au Sénégal par l’affaire des 45 milliards du nom de ce marché d’armes du ministère de l’Environnement ainsi que la plainte de Juan Branco à la Cour pénale internationale.

Mais à côté de M. Peretz, le régime du président Sall a d’autres amis israéliens ou américano-israéliens très présents dans le cœur de la capitale et qui n’ont pas manqué, eux aussi, de prendre leur part du gâteau de Dakar-Plateau. Il en est ainsi du sieur Ron Yaffet qui s’est taillé le mythique Sporting Club de Dakar, dont la seule évocation rappelle des souvenirs inoubliables aux praticiens et autres occupants. Le site, racontent certains passionnés de tennis, a eu à accueillir des rencontres de Coupe Davis.

Lieu historique, le Sporting était également un lieu de rencontres et d’échanges très connu par les Dakarois du Plateau. Dans cet espace convivial ouvert sur la mer, il y avait six cours de tennis, des salles dédiées aux mariages et autres festivités, un magnifique terrain de foot où se tenaient pas mal de tournois d’adultes et d’enfants. Un havre de paix qui marchait très fort en semaine comme en week-end. D’abord, sous le contrôle de l’ancien ministre socialiste Jacques Bodin, le Sporting était par la suite passé entre plusieurs mains essentiellement libanaises, avant d’atterrir chez les Ezzedine, du nom de l’ancien président de la Fédération sénégalaise des sports boules Gassane Ezzedine alias ‘’Gass’’.

A sa mort, le site tombe entre les mains de son fils Karim, qui n’a pu préserver l’héritage comme son père a su le faire pendant plusieurs années. Le jeune Ezzedine n’a pu résister aux convoitises et a accepté de céder le sanctuaire. Depuis, c’est le désarroi pour beaucoup de personnes qui travaillaient dans le site. D’ailleurs, certains employés ont porté plainte contre l’homme d’affaires libanais qui se serait fait un pactole sur cette vente ‘’parrainée’’ par les hauts d’en haut, au moment où les populations de Dakar-Plateau peinent à avoir des terrains de loisirs. Nos tentatives d’en savoir plus sur le statut de ce site, la nature des droits réels que détenaient les Ezzedine sur le terrain, sont restées vaines.

Témoignages de victimes nostalgiques

Sur l’avenue Roosevelt, un mercredi, nous avons rencontré Mme Lam, auxiliaire maternelle, qui a travaillé sur le site de 1997 à la démolition du Sporting en juin 2022, au niveau de l’école maternelle Chez Nicole. Un lieu qui rappelle plein de souvenirs à la belle dame, qui a eu à y encadrer plusieurs enfants de hautes personnalités de la République : le dernier fils de l’actuel président Ibrahima Sall, la petite-fille d’Abdou Diouf Kelly (fille d’Habib Diouf), la première fille de Karim Wade Ozia, les petits enfants d’Aliou Sow… Des souvenirs inoubliables qu’elle ne cesse de ressasser. ‘’Je me rappelle les anniversaires des enfants avec leurs parents, les mariages de célébrités qu’on y organisait, les passages de Khalilou Fadiga, de Demba Dia quand il remportait des tournois et qu’on lui remettait des prix… C’était très triste de voir tout ça partir en ruine sous nos yeux. Chaque fois que je passe ici, je revois mon passé, avec les parents d’élèves, les enfants. Toute ma jeunesse, je l’ai faite dans ces lieux. C’est donc très difficile de voir le site vendu à un étranger’’.

Malgré cette charge émotionnelle et cette perte du travail, aucune indemnisation ne leur a été versée. ‘’Nous n’étions pas directement les employés du gérant. Nous travaillions pour l’école qui était sous-louée à quelqu’un d’autre. Après la démolition, on nous avait demandé nos cartes d’identité ; on pensait qu’on allait être indemnisé, mais on ne nous a rien donné. C’est comme si on nous avait utilisés juste pour se faire du fric. Certains de mes anciens collègues sont toujours au chômage. Quant aux travailleurs du Sporting, à un moment, ils avaient porté plainte contre le gérant Karim Ezzedine’’.

La galère des riverains

Face à cette ruée des milliardaires et autres privilégiés dont certains n’hésitent pas à transformer les belles villas en immeubles qui bouchent l’horizon au voisinage, le quartier résidentiel perd un peu de son calme, devenant un vaste chantier, à quelques jets du palais et des principaux centres de décision du pays.

Autrefois très paisible, le quartier résidentiel, situé à quelques encablures du palais de la République et de principaux centres de décision du pouvoir, dont l’Assemblée nationale et le siège du gouvernement, se mue de plus en plus en un véritable centre d’affaires. De grands bâtiments commerciaux remplaçant au fur et à mesure les belles et sobres villas françaises classées en raison de leur valeur historique, architecturale et mémorielle.

De plus en plus, la quiétude des populations est sérieusement menacée. Maitre Bara Diokhané vit de plein fouet ces désagréments. Trouvé à l’intérieur de sa maison située à la rue Joseph Gomis angle Amadou Cissé Dia, il témoigne : ‘’Notre cadre de vie qui a accueilli les plus hautes autorités de ce pays est complètement défiguré, balafré. Nous sommes envahis de toutes parts par ces chantiers des plus occultes, qui violent toutes les normes environnementales, du code de la construction, des règles sur la conservation du patrimoine… C’est un véritable carnage, ce qui se passe. Si ça continue, le quartier va devenir invivable dans un avenir proche.’’

En face de la maison de l’avocat, un chantier du ministère des Forces armées a complètement transformé l’ancienne villa qui a servi de maison de fonction à certains généraux comme Mansour Seck, Doudou Diop, etc., également classé monument historique. Nuit et jour, en semaine comme en week-end, les riverains sont perturbés jusque dans leur intimité par les bruits des ouvriers. Maitre Diokhané : ‘’Nous avons failli en venir aux mains un dimanche. Par la suite, ils ont arrêté de travailler les week-ends, suite à des lettres déposées au niveau du ministère. Avant, ils travaillaient même le dimanche. C’est devenu très stressant, alors que nous recherchions de la tranquillité.’’

En sus de la profanation du patrimoine classé, de la perturbation de la quiétude du voisinage, les travaux ont également occasionné l’abattage de plusieurs arbres très anciens, qui faisaient de cette artère l’une des plus vertes de cette partie de la capitale. ‘’C’est une véritable agression contre notre cadre de vie. Tous ces nouveaux chantiers, c’est du béton, des immeubles à perte de vue qui n’ont rien à faire dans ce quartier. Cela perturbe tout l’écosystème. Avant ces nouvelles agressions, il y a eu le cas de l’immeuble Brière de l’Isle, en face de l’Assemblée nationale démolie, il y a trois ans par l’entreprise Senegindia’’, s’étrangle le résident. Qui regrette : ‘’Nous avons un véritable problème avec la préservation du patrimoine. Par principe, ces bâtiments classés doivent être protégés. Il y a des procédures particulières pour les déclasser et les démolir. On ne sait par quel moyen ces bâtiments passent des mains de l’État à celles de privés, sans le respect des procédures. C’est très bizarre.’’

‘’EnQuête’’ a essayé par tous les moyens d’entrer en contact avec le directeur général de la Sicap, mais ses tentatives ont été vaines. Le directeur Kassé qui, dans un premier temps, avait manifesté un intérêt à nos sollicitations pour une interview a cessé de répondre à nos messages dès que l’objet principal lui a été décliné.

3 QUESTIONS ME BARA DIOKHANE, AVOCAT, FERVENT DÉFENSEUR DU PATRIMOINE

‘’Ce patrimoine, c’est le bien de tous, on n’a pas le droit de le brader’’

Avocat né à Dakar-Plateau, Maitre Bara Diokhané lutte depuis des années pour la préservation du patrimoine classé.

On a remarqué beaucoup de chantiers dans le Haut-Plateau, y compris dans les zones résidentielles où l’on assiste de façon régulière à la démolition de villas anciennes classées patrimoine historique. Qu’est-ce que ça vous fait en tant que fils de Dakar-Plateau et résident dans cette zone ?

C’est vraiment choquant, c’est scandaleux. Depuis quelque temps, il y a beaucoup d’immeubles considérés comme monuments historiques qui sont rasés, démolis, on ne sait pour quelle raison. Cela va jusque vers le Cap-Manuel, en passant par l’hôpital Le Dantec, avec cette belle architecture soudano-sahélienne qu’était la maternité, qui a vu naitre beaucoup de Dakarois. Il en est de même de l’illustre building Brière de l’Isle qui est également une référence architecturale de la ville de Dakar construit dans les années 1950, un des plus anciens et plus solides immeubles de ce pays, sans parler des villas centenaires qui sont classées patrimoine historique. C’est vraiment à se demander quel est le sens qu’on donne au terme patrimoine dans ce pays. Normalement, quand on dit qu’un bâtiment est classé, il doit être protégé ; on ne peut se lever un jour et le démolir. Et quand on doit le faire, il y a toute une procédure à respecter. Il y a la Commission supérieure des monuments historiques qui doit statuer. On ne sait pas si elle est sollicitée pour donner son avis dans ces projets. Aussi, s’il s’agit d’un bien public qu’on doit vendre, la vente doit être publique, annoncée, que toutes les personnes intéressées puissent enchérir. Mais que ça passe comme ça entre des mains de personnes privées, je trouve ça très bizarre.

Du point de vue historique et environnemental, que représentent ces lieux pour vous ?

D’abord, c’est le calme, la quiétude. C’est un quartier qui a toujours abrité de hautes personnalités de la République. En ce moment, notre cadre de vie est très perturbé par un chantier sur une villa classée qui accueillait des généraux depuis des années. Récemment, on a vu qu’il y a des constructions supplémentaires sur ce chantier, des chantiers qui ont nécessité l’abattage d’arbres très anciens. On est en train d’y bâtir le siège d’un ministère de souveraineté qui va accueillir beaucoup de monde ; ce qui n’est pas la vocation de ce quartier. Encore que ces buildings qu’on est en train de construire, c’est uniquement pour des millionnaires, des milliardaires… Les Sénégalais qui peuvent se permettre de payer 2 ou 3 millions de loyers par mois on les compte. On se demande si cela ne va pas déboucher en une sorte d’apartheid. Le pire est que tout se fait de façon tout à fait obscure. Il n’y a même pas de panneau d’autorisation de construire ou de démolition, alors que c’est exigé par la loi, pour l’information du public. Quand c’est un service de l’État qui le fait, ça pose problème.

Qu’attendez-vous de l’État et de ses représentants ?

C’est le patrimoine de l’État. On ne peut pas faire ça sans l’accord du régime. Et c’est dans tous les régimes. Nous attendons de l’État qu’il respecte la loi sur le patrimoine qui existe depuis 1971 sous Senghor. Chaque capitale digne de ce nom a une ville, un quartier qu’on ne touche pas. Vous allez à Casablanca, Marrakech, Paris, même à New York. Malgré ses gratte-ciel, il y a des quartiers qu’on ne touche pas. Parce que c’est la mémoire. Ici, c’est un quartier plein de souvenirs. Je pense que nous avons un véritable problème avec le respect de l’État de droit. Quand on est dans un État de droit, il y a des choses qu’on ne doit pas se permettre. Malheureusement, en tant que citoyens, nous sommes désarmés ; nous ne pouvons rien faire. Peut-être, on devrait accorder au citoyen le droit d’ester en justice.  Ce qu’il faut savoir, c’est que même si les lieux sont occupés par de hautes personnalités, jusque-là c’est le bien de tous. Nous n’avons pas le droit de le brader.

Mor AMAR

 

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