Publié le 26 Dec 2019 - 17:20

De l’activisme au bruit démocratique

 

L’histoire de la démocratie se confond à l’histoire de l’égalité des citoyens. La demande d’égalité s’est exprimée par la revendication de droits égaux dans des sociétés où le sang, le rang, la naissance, la couleur, la race, la religion, la croyance,…octroyait des privilèges ou exposait à des préjudices et des exclusions selon le statut social. Dans nos sociétés modernes et modernisées de plus en plus inégalitaires, la demande d’égalité prend la forme de la lutte contre les inégalités économiques et sociales. Les populations revendiquent un statut économique et social que doit leur conférer un pouvoir d’achat confortable.

L’égalité du statut social évolue ainsi vers l’égalité des conditions de vie en épousant la courbe du progrès démocratique acquis au cours de l’histoire. Des prophètes, des partis politiques et des syndicats se sont révélés comme les premiers acteurs à prendre en charge ces préoccupations des masses exclues et opprimées par un ordre social et économique inégalitaire taillé sur des intérêts privés égoïstes. De Moise à Lénine, toutes les révolutions religieuses et toutes les révolutions politiques n’ont été que des expressions de révolutions démocratiques destinées à répondre aux exigences d’égalité entre les hommes.

Ce combat pour l’égalité a culminé en 1917, dans l’actuelle Russie, sous la forme d’un régime politique où l’égalité des conditions de vie s’exprime par la suppression de la propriété privée des moyens de production. Une guerre froide s’en est suivie pendant 70 ans à travers une confrontation idéologique entre les intérêts portés par un système dit de libéralisme  et un système dit de socialisme. Cette confrontation aboutit à une configuration de la géopolitique internationale qui ne sera bouleversée qu’en 1989 en faveur du camp libéral. Des certitudes idéologiques se sont effondrées en laissant la place à des illusions de vérités conduisant à un enthousiasme triomphal. Le modèle capitaliste libéral se pavane tout seul dans le monde soulevant l’étendard de la victoire glorieuse. Le capitalisme reste le modèle économique que l’histoire vient d’élire et de consacrer comme une vérité naturelle absolue charriant la promesse de notre bien-être. Mais la déception et le doute ne tarderont pas à nous rappeler les insuffisances du modèle voire son incapacité à répondre à nos aspirations et à satisfaire nos besoins.

La politique vient de perdre ses lettres de noblesse dans ce contexte. L’ordre technocratique, au service des intérêts de la finance et des multinationales, régente désormais la vie des nations. Le pouvoir exécutif, le pouvoir judiciaire, le pouvoir législatif ne sont que des consolations de politiciens impuissants bridés, contrôlés et commandés par un pouvoir médiatique et un pouvoir monétaire détenus par les maitres invisibles du monde. L’école figure pour eux comme un média, un milieu médiateur. Ils l’utilisent en tant que relais pour mieux asseoir leur pouvoir. Elle joue un rôle de médiation entre leur savoir technocratique dominant et notre conscience vulnérable.

Heureusement que la présence active des réseaux sociaux minimise les impacts du pouvoir médiatique sans toutefois les annihiler. Leur influence est réduite par la modicité de leurs moyens malgré leur rapport à l’opinion. Ils ne peuvent pas rivaliser avec le pouvoir médiatique des maitres qui sont présents dans les champs de bataille en Irak, en Syrie, … grâce aux puissants moyens dont ils disposent. Ils filment les évènements et les images, nous les envoient, nous les font voir sous un angle conforme à leurs désirs et à leurs objectifs de manipulation. Leur pouvoir financier est par ailleurs en train d’être contrebalancé par les crypto-monnaies qui promettent un avenir monétaire meilleur plus sécurisé. C’est la raison pour laquelle, les pouvoirs politiques représentant les intérêts des banquiers et des financiers se braquent en remettant en cause ce processus de transition monétaire. Le pouvoir technocratique qu’ils exercent sur nous s’est donc substitué au pouvoir politique qu’ils nous ont prêté pour mieux se servir de notre illusion d’indépendance et de liberté.

La fin de la guerre froide s’est également traduite au plan psychologique par la monopolisation idéologique et politique de la démocratie par le régime libéral. On assiste à une homogénéisation des mentalités, des idées, des visions et des attitudes. Les courants politico-idéologiques sont morts et avec eux la politique. La gauche en général et particulièrement les communistes frappés par une déchéance idéologique et politique vont sombrer dans le reniement et succomber dans le désarroi. Le vide idéologique et politique laissé derrière eux sera comblé par l’émergence de nouveaux acteurs politiques non idéologiquement marqués : les activistes. Ils bénéficient d’un large écho favorable dans les réseaux sociaux qui empiètent sur le pouvoir médiatique de nos maitres cachés qui manipulent nos opinions, nos comportements et nos pensées. C’est dans ce contexte que l’activisme est né. L’activisme prend le relais du communisme militant déchu mais sans l’idéologie, sans la vision, sans le programme alternatif,… Leur engagement s’alimente de l’indignation, du mécontentement et des frustrations des populations déshéritées et appauvries. Leur action vise à entretenir et à instrumentaliser la colère et la souffrance des populations par la protestation, la contestation et la dénonciation des effets et des conséquences désastreuses des politiques gouvernementales sur la condition des citoyens.

Un nouveau marketing politique voit le jour qui consiste à contester sans discuter, à protester sans argumenter, à dénoncer sans prouver, à critiquer sans proposer. L’activisme anime l’espace politique, disqualifie les partis, oriente, manipule et contrôle l’opinion. Il occupe les rues, galvanise les masses, déplace les frontières des oppositions politiques. C’est un agrégat de leaders et de mouvements qui ne prétendent ni à gouverner ni à diriger mais à participer par leurs actions sur l’opinion politique à la prise et à l’éveil de conscience des populations. Ils se caractérisent par la férocité dans le combat, par l’émotion et l’excès dans le discours, par l’impatience qui fourvoie, par la passion qui enivre, la témérité qui sacrifie et par la spontanéité qui défie la prudence de la conscience et de la raison. Ils usent et abusent de la liberté d’expression, d’action et de réunion de la démocratie libérale.

Y’en a marre, Gno Lank, Gno Bagn, des noms qui évoquent le ras-le-bol, le refus, la résistance,  la souffrance, l’émotion. Les gilets jaunes, « les éléphants roses, les lions rouges, les crocodiles verts (autres noms ironiques)», autant de noms qui décrivent le mal-être et le mal-vivre des populations dans le nouvel ordre libéral. La confrontation n’est plus idéologique, n’est plus politique, elle n’est pas non plus stratégique. Elle est simplement une agitation par un harcèlement des gouvernements qui appelle des changements et des réformes pour répondre aux aspirations légitimes des citoyens.

De l’Algérie au Soudan en passant par l’Irak, le Liban, le Chili, la Bolivie, la Colombie,…, l’activisme est en train d’écrire des pages de l’histoire malgré les ratés dans leur combat. Ils sont capables d’ébranler des pouvoirs, de les démettre, de faire tomber des régimes mais sont incapables de les récupérer, de les diriger. Les pouvoirs les échappent, passent par le bout de leur nez. Mais ils opèrent toujours un éternel recommencement avec une générosité à toute épreuve. Admirable Engagement ! Merveilleux Idéal !

En résumé, l’invention politique a échoué aux confins des murs de la technologie sociale, financière et démocratique que nos maitres invisibles ont érigés pour mieux nous manipuler, nous dompter et nous asservir. La démocratie a cédé la place à la technocratie qui valide et justifie ce qui est « raisonnablement démocratique ». Les partis perdent leur identité idéologique et politique, se prostituent dans des alliances contre nature, contractent et commandent des services aux cabinets qui leur dessinent des programmes.

Nous sommes bien à la fin de la politique ! La nature a horreur du vide. L’activisme va occuper naturellement la place désertée par le politique dénigré et discrédité et joue désormais les premiers rôles. Le monde a changé, il est encore en train de changer. On assiste à une nouvelle manière de voir et de faire la politique. L’art politique fait sa mue, manifeste une nouvelle originalité. La participation à la vie démocratique et citoyenne se réinvente et se réorganise. Sans vision, ni idéologie ni programme, les activistes placent leur communication au cœur des préoccupations des masses. Ils n’ont besoin ni de mandat ni de légitimité électorale encore moins de représentativité, leur proximité avec les populations et la défense de leurs intérêts leur suffisent.

La participation démocratique et citoyenne se dilue, se déconcentre pour se distribuer et se redistribuer sur des individualités, des groupes spontanés, des mouvements le plus souvent sans objectifs et programmes autres que la sensibilisation et la mobilisation des populations pour qu’elles prennent elles-mêmes en charge leurs propres demandes sociales et économiques au lieu de les confier à des partis politiques en perte de vitesse, d’âme et d’identité.

Espérons que le taux d’activisme qui ne cesse de s’élever dans le sang démocratique ne se transforme en diabète démocratique dont les crises produisent un bruit démocratique qui menace la stabilité et la paix tout en compromettant la substance et la qualité de la démocratie véritable.

« L’Etat est une Entreprise dont les Actionnaires sont les Citoyens »

 « L’ignorance est une source de domination, de manipulation et d’exploitation »

Dr. Abdoulaye Taye

Enseignant-chercheur à l’Université Alioune Diop

Président de TGL (voir Tôt, voir Grand, voir Loin)

Initiateur du projet RBG-AMO

Opérateur politique

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