Publié le 30 Aug 2021 - 20:41
DISPARITION D’ALIOUNE BADARA CISSE, ANCIEN MEDIATEUR DE LA REPUBLIQUE

La sphère politique perd son Mame Abdou Aziz

 

Partisan et indépendant à la fois, le membre-fondateur de l’APR avait le don de fédérer autour de lui tous ceux qui sont épris de justice.

 

Il était de ceux qui font l’unanimité, comme rarement au Sénégal. Surtout dans la sphère politique. A l’image des khalifes généraux des grandes familles religieuses, rares sont ceux qui s’aventurent à lancer la moindre critique publique à l’encontre d’Alioune Bara Cissé (dit parfois ‘’ABC’’). Son éducation, son parcours, sa science du patriotisme ne le permettaient pas, sans risque de flirter avec la diffamation. Pas qu’il était parfait, mais l’ancien médiateur de la République suscitait chez tout le monde respect et admiration.

Des phrases au passé, car ABC s’est éteint, ce samedi, à l’hôpital Principal de Dakar, des suites d’une maladie. Elles se conjuguent également très bien au présent et continueront, certainement, à l’être dans le futur.

La floraison d’hommages, de témoignages positifs de tous bords qui accompagnent l’annonce de son décès suffit à prouver le rang et l’estime haut que lui portaient ses collaborateurs et adversaires. Car c'est de la bouche de ses opposants politiques que sortent les premiers hommages. Qui de mieux que principal adversaire du pouvoir que servait Alioune Badara Cissé pour le symboliser ? En saluant la mémoire d’un ‘’homme cultivé, racé, affable, généreux et d'un raffinement singulier’’, le leader du Pastef/Les patriotes témoigne que le défunt avocat ‘’s''était personnellement impliqué pour empêcher (s)a radiation injuste de la Fonction publique, en 2016. Par la suite, il s'était également beaucoup impliqué, lors des malheureux évènements de février-mars 2021, pour prévenir et éviter l'irréparable’’.

Au summum de ces émeutes, ABC, encore médiateur de la République, avait appelé le président Macky Sall à prendre la parole, à écouter la jeunesse sénégalaise et avait mis en garde contre une escalade de la violence.

Pouvoir, opposition et société civile, il avait l’admiration de tous  

La disparition de celui que l’opposant a connu par l'entremise de l’administrateur général de sa formation politique, dont il était l'ami de plus de 25 ans, est une grande perte pour le Sénégal. Birame Soulèye Diop prend lui-même sa plume pour saluer la mémoire de cette ‘’voix grave qui ne résonnera plus ici-bas’’. Celle d’un ‘’homme juste, respectueux, conciliant’’, ‘’digne, serviable, affable, pieux’’ : celle d’un ‘’patriote’’.

La reconnaissance vient également de son bord politique et de l’Alliance pour la République (APR), parti dont il est membre-fondateur aux côtés du président de la République Macky Sall. Le chef de l’Etat, dans un message sur les réseaux sociaux, s'est dit ‘’très peiné d’apprendre le décès de Me Alioune Badara Cissé, membre-fondateur de l’APR, ancien Ministre des Affaires étrangères et ancien Médiateur de la République. Je rends hommage à un homme de conviction et un brave compagnon. Qu’Allah l’accueille en son paradis’’.

Le porte-parole national adjoint de l’APR, Abdou Mbow, retient, quant à lui, les traces d’un ‘’homme d’une dimension humaine exceptionnelle’’ engagé au service du peuple sénégalais.

Que dire alors de l’hommage d’une figure de la société civile reconnue dans toutes les luttes citoyennes ? Pour Guy Marius Sagna, ‘’si le déluge de témoignages sur ABC a montré quelque chose, c’est que la grande majorité des Sénégalais qui ont connu ABC est assoiffée de gens comme ABC, dans ce Sénégal qui a aussi fécondé ABC’’. De l’œuvre du disparu, il partage ceci : ‘’La lettre qui, pour moi, résume ce que les Sénégalais garderont le plus de ABC ne se trouve ni dans son ‘A’, ni dans son ‘B’, ni dans son ‘C’. Mais dans un “I” que nous avons tous vu en permanence dans la vie de ABC jusqu’à son dernier souffle. Droit comme un ‘i’. ‘I’ comme ‘intransigeant’’’.  

Un Sénégalais au pays des Highlanders

Si Alioune Badara Cissé suscite autant d’admiration, c’est parce qu’il est ce qu’on appelle une tête bien faite. Celles dont un futur président de la République se réjouit d’avoir à ses côtés. Lors de cette rencontre de 1988 qu’évoquait le journal ‘’EnQuête’’, dans un portrait d’ABC, durant laquelle Me Abdoulaye Wade, opposant, s’enthousiasmait de sa nouvelle recrue : ‘’La première fois, quand il est venu pour me faire part de sa volonté de s’engager à nos côtés, je lui ai demandé son itinéraire. Il m’a dit : ‘’J’arrive de l’Ecosse où j’étais professeur d’anglais.’’ Je lui ai répondu : ‘’Sénégalais yi vraiment ño bari mën mën’’, écrit le journal. Pour compléter, c’est après une Licence en langues étrangères appliquées de l’université de Saint-Etienne, en France, obtenue en 1981, qu’il a séjourné en Ecosse où il a enseigné l’anglais, l’espagnol et le français au Beath High School jusqu’en 1983.

Cela n’est qu’une infime part de tous les espaces intellectuels qu’il a explorés. Ce natif de Saint-Louis, un 16 février 1958, obtient son Bac 20 ans plus tard, après avoir fréquenté le lycée Seydou Nourou Tall de Dakar. Grand amateur de langues, il s’inscrit en Langues étrangères appliquées (anglais et espagnol) et décroche un Deug à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Avec une Licence dans la même discipline obtenue à Saint-Etienne, il met ses connaissances en pratique au pays des Highlanders.

Mais la quête de connaissances reprend le dessus. Toujours orienté vers la France, il choisit une nouvelle ville. C’est ainsi qu’il obtiendra, au bout de trois ans : une Licence de droit international public à l’université sciences sociales de Toulouse, une Maîtrise de langues étrangères appliquées à l’université Toulouse le Mirail, un diplôme de l’Institut de sciences politiques de Toulouse (filière économique et financière) ainsi que deux Diplômes supérieurs (DS) de droit économique du transport aérien et développement et coopération technique à l’Institut des hautes études internationales et du développement de l’université sciences sociales de Toulouse.

Une collection de diplômes

Rien ne rassasie son esprit fertile. Encore moins l’idée de découvrir un troisième continent. En bénéficiant du Hubert Humphrey Followship Program, pour un séjour académique au Minnesota, aux Etats-Unis d’Amérique, il complète sa collection de diplômes en leadership et innovation à l’Institut d’administration publique de l’université du Minnesota, établissement dans lequel il décroche son Doctorat en 1999. Il devient ainsi Duris Doctor de Hamline University School of Law à Saint-Paul, au Minnesota.  

Ce n’est pas pour autant qu’il en a oublié son pays et les lieux de ses premiers diplômes. A l’université Cheikh Anta Diop, il a obtenu une Maîtrise en droit des affaires, malgré ses nombreux succès académiques en France.

Preuve que la volonté prime sur les obstacles, Me Ousmane Sèye rappelle comment il a intéressé ABC au barreau : ‘’Alioune Badara Cissé travaillait dans un cabinet d’experts nommé Général immobilier. On s’était rencontré dans les audiences commerciales au tribunal de Dakar. Je lui ai dit d’essayer de devenir avocat. Il répondit : ‘Je suis un peu âgé. Me prendrais-tu dans ton cabinet, si je réussissais le concours du barreau ?’ Ma réponse a été affirmative. C’est ainsi, qu’après sa réussite, je l’ai pris comme stagiaire.’’

S’ensuivra une brillante carrière d’avocat, avec l’ouverture de son cabinet à Saint-Louis. Cette ville qui l’a vu naître et dont il s’est toujours targué d’appartenir, le laisse filer dans une autre à laquelle il accordait également beaucoup d’importance. Alioune Badara Cissé repose désormais à Touba, auprès de son marabout. Lui, le fervent talibé mouride.

Un homme intègre dans la mare aux caïmans

Mais les hommes intègres ne font souvent pas les meilleurs politiciens. Même à un saint, l’on trouvera des griefs, si les intérêts divergent. ABC l’a expérimenté aux côtés du président Macky Sall. Celui qu’il a côtoyé au PDS (Parti démocratique sénégalais), aidé à mettre en place l’APR et accéder au pouvoir n’a pas hésité à le ‘’mettre au frigo’’, en le nommant médiateur de la République, en 2015. Ceci, quelques mois après l’avoir viré du ministère des Sénégalais de l’extérieur, portefeuille qu'il a porté pendant seulement sept mois. Au sein du parti, il est rétrogradé en simple militant, alors qu’il était membre du Secrétariat exécutif national.

Avant de diriger la diplomatie sénégalaise, ABC a cheminé aux côtés de Macky Sall, en étant successivement son conseiller spécial, puis directeur de cabinet en tant que Premier ministre. Son tort est d’être lui-même un indépendant. Comme en témoigne Mamadou Diop Decroix : ‘’ABC était très ouvert, se souciant peu des barrières partisanes. D’une courtoisie exquise, respectueux, il savait aussi être ferme toutes les fois qu’il l’estimait nécessaire.’’

Lui-même se plaisait à le dire à qui veut l’entendre : ‘’Je suis maître de mon temps et de mes moyens, affirmait-il sans ambages. Je suis un homme extrêmement indépendant. Je n’attends d’instructions de personne.’’ Et cela ne plaisait pas.  

On l’accuse, au sein du pouvoir et de son parti. Entre autres : ‘’Il voyage sans aviser le président’’ ; ‘’Il se croit tout permis’’ ; ‘’Ses déclarations sont incompatibles avec son statut.’’ Ces invectives iront jusqu’à la demande de son exclusion du parti par ses camarades ‘’apéristes’’ et des allusions du président de la République, un devoir de réserve qui tendait, de plus en plus, à disparaître.    

La médiature de la République reprend des couleurs sous ses commandes

Malgré tout, la médiature de la République, qu’il a quittée en 2021, n’a jamais été autant au-devant de la scène que lorsqu’il l'a dirigée. ABC attendait rarement d’être saisi d’un problème grave pour entreprendre ses services. Adepte du travail bien fait, il renforce la médiation de proximité, en installant des plates-formes jusqu’à Ziguinchor, Sédhiou, Kolda et Kédougou (Sud-Est).

Celui qui espérait faire son retour en politique, après son passage à la médiature, a vu le Seigneur en décider autrement. Après Babacar Touré, le Sénégal perd à nouveau un grand homme de consensus, un illustre intellectuel et, qui sait, un présidentiable.

TÉMOIGNAGES...


Me Sidiki Kaba, Ministre des Forces armées 

 ‘’Il aimait les blessures de la vérité par rapport au silence mortel de l’hypocrisie’’

‘’Le rappel à Dieu de Me Alioune Badara Cissé constitue une immense perte pour le Sénégal et la République. Je voudrais présenter mes condoléances au président de la République Macky Sall, qui a perdu un précieux compagnon politique et un des éminents fondateurs de l’APR. (…)

Me Alioune Badara Cissé aimait les blessures de la vérité par rapport au silence mortel, synonyme de l’hypocrisie et de la trahison. C’est dire que l’homme était sans peur et avait une foi chevillée au corps, lui qui est le disciple de Cheikh Ahmadou Bamba. Avec Me Alioune Badara Cissé, j’ai partagé des moments au cours desquels il m’avait, entre autres, confié son ardent désir d’aller au bout de la connaissance et de sa formation à Princeton. C’est dire que l’homme n’avait jamais cessé d’être en quête de savoir, de perfectionnement et de compétence. Qu’Allah SWT fasse que Me Alioune Badara Cissé repose à Touba, une ville qu’il a tant aimée de son vivant, comme Saint-Louis sa terre natale !’’


Khalifa Ababacar Sall

‘’Il a accompagné les luttes démocratiques en homme de dignité et d’honneur’’

‘’C’est avec tristesse que j’ai appris le décès brutal de mon ami Alioune Badara Cissé. Fidèle en amitié et d’une grande courtoisie, Alioune Badara Cissé a, durant toute sa vie, accompagné les luttes démocratiques, en homme de dignité et d’honneur. Ce soir, le Sénégal perd un grand serviteur de l’Etat et l’éloquence son maître. Je salue la mémoire d’un homme pétri d’intelligence, de courage et de loyauté.  A sa famille, à ses proches et à l’ensemble du peuple sénégalais, je présente mes sincères condoléances. Qu’Allah SWT lui accorde son infinie miséricorde et l’accueille dans son éternel paradis. Amine.’’


Idrissa Seck, Président du Conseil économique, social et environnemental

‘’Un homme d'État aguerri au service de la Nation’’

‘’C'est avec une grande tristesse que nous apprenons le rappel à Dieu de notre frère Alioune Badara Cissé, ancien Ministre des Affaires étrangères et ancien Médiateur de la République. Son amour pour le Sénégal et son dévouement dans l'exercice des différentes fonctions étatiques qu'il a eues à occuper l'ont, de son vivant, érigé en homme d'État aguerri au service de la Nation. Nous présentons nos condoléances attristées au président de la République et à tous nos compatriotes. Nous prions pour le repos éternel de son âme et nous nous solidarisons de la famille éplorée.’’


Cheikh Bamba Dièye, Député

‘’Je pleure le talibé, le grand frère et le compagnon’’

‘’Avec ta disparition, le Sénégal perd un homme de valeur et un grand combattant pour les causes justes. Je pleure le talibé, le grand frère et le compagnon digne, sincère, fiable et fidèle en amitié. La soudaineté de ta mort nous rappelle la courtesse de la vie et son importance, lorsqu'elle est vécue utilement comme tu l'as toujours fait au service des Sénégalais et de ton pays (pendant des décennies comme grand serviteur de l'État). Disciple de Khadimou Rassoul et acteur politique émérite, les Sénégalais se reconnaissaient dans les actes de courage, d'honneur et de dignité que tu posais. Qu'Allah le Miséricordieux t'accueille dans son immense paradis auprès de ton guide Cheikh Ahmadou Bamba. Mes plus sincères condoléances à ta famille, à tes enfants et à toutes les personnes qui te sont proches.’’

Lamine Diouf

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