Publié le 25 Aug 2016 - 03:08
DOUDOU GNAGNA DIOP, PRESIDENT DE L’ORGANISATION NATIONALE POUR L’INTEGRATION DU TOURISME SENEGALAIS (ONITS)

‘’On a presque touché le fond, donc…’’

 

Le secteur du tourisme suscite beaucoup d’inquiétudes chez les acteurs. Doudou Gnagna Diop, promoteur touristique et président de l’organisation nationale pour l’intégration du tourisme sénégalais, revient dans cet entretien sur les problèmes. Il préconise des solutions et appelle à démocratiser le secteur qui est, selon lui, sous la coupe réglée d’un groupuscule.

 

Vous êtes promoteur et acteur dans le secteur du tourisme. Comment se porte le secteur ?

Notre secteur est gravement touché par la crise nationale et internationale. Mais aussi par des phénomènes exogènes. Mais ce qui nous a aussi aplatis, depuis une vingtaine d’années, c’est tout cet essaimage à travers le territoire national de résidences privées. Résidences privées investies aussi bien par des étrangers que par des nationaux qui sont des gens bien connus. A l’endroit de l’Etat, je leur dis que si on maîtrise et contrôle le secteur, on dit qu’on est à 30% de taux de remplissage. Si on décompte le nombre de touristes illégaux qui sont dans des résidences illégales, la situation sera maîtrisable.

Qu’appelez-vous touristes illégaux et résidences illégales ?   

Ce sont les gens qui viennent et qui disent qu’ils vont habiter chez l’habitant, alors qu’ils sont dans les résidences. Ils logent dans les résidences investies par quelqu’un qui les commercialise en Europe. Qu’on arrête tout ça ! Si on décompte ces touristes-là, on sera peut-être à 70%. Vous vous rendez compte de la perte, de tout ce gap de 30% ou 40% de taux d’occupation qui est dans les maisons illégales. Les résidences tuent le tourisme.

Est-ce à dire que vous regrettez votre investissement dans ce secteur ?

Ce que j’ai fait et investi dans le secteur touristique, je ne m’y retrouve pas, parce qu’en fait, on n’est pas représenté. On n’est pas considéré. Il y a une absence de démocratie dans notre secteur. Je l’ai décrié et dénoncé depuis que j’ai découvert comment c’est structuré dans mon pays. Comment c’est organisé par le patronat du privé national. Malheureusement, c’est un constat, les Sénégalais ne sont pas impliqués dans ce secteur. Ce qui fait qu’il n’y a pas une politique touristique nationale et un développement du tourisme intérieur.

Êtes-vous en train d’insinuer que le patronat ne fait pas la promotion du tourisme ?

J’ai toujours demandé de démocratiser ce secteur. En tout cas, le secteur touristique est organisé en vertical, d’amont en aval. Forcément, le Sénégalais ‘’lamda’’, petit investisseur qui n’a pas beaucoup de moyens, ne pourra pas voir le bout de son nez dans notre secteur. Aujourd’hui, c’est tout à fait normal qu’il y ait des couacs. On est dans un Sénégal émergent ; on est dans un Sénégal qui s’ouvre plus vers l’extérieur avec un développement économique assez rapide quand même, qui est visible. Donc, tout ce lobbying de patronat qui était resté caché derrière un mur opaque commence à être visible.

Par contre, je n’ai jamais compris que dans notre pays, c’est le même patronat qui occupe toutes les places de conseil d’administration pendant 30 ans. Ce même patronat, si vous n’en faites pas partie, vous n’émergez pas. D’abord, vous cotisez des millions. Ensuite, vous n’êtes jamais envoyé en mission. Vous n’êtes jamais impliqué et restez le petit producteur, là-bas dans votre coin. C’est ce qui m’a d’ailleurs poussé à créer l’Organisation nationale pour l’intégration du tourisme sénégalais (Onits), pour essayer d’être libre et beaucoup plus indépendant. Nous sommes aussi dans une économie de liberté. Donc, on ne peut pas empêcher quelqu’un de faire ce qu’il veut.

Vous rejoignez l’avis du député Moustapha Cissé Lô qui parle de mainmise sur le patronat ?

Il fallait s’y attendre et d’ailleurs, je m’y attendais. Il est vrai que le cri du cœur de l’honorable député Moustapha Cissé Lô est venu à son heure. Il y a beaucoup de gens, comme moi, qui l’ont applaudi. Nous l’avons applaudi parce qu’on le vit. On le dénonce à notre manière mais on n’a jamais été écouté. Maintenant que c’est sorti de l’Assemblée, c’est intéressant et c’est quelque chose à suivre. Je combats l’injustice sociale et économique.

Dans notre secteur touristique, il y a une injustice économique et sociale. Sociale, on peut déjà constater le dumping social qu’on fait ici dans tous les hôtels avec du personnel médiocre qui vient des villages situés à 50 kilomètres d’ici, en laissant les étudiants qui ont fini leurs études et qui ont des capacités. Tous ces jeunes ont une expertise, mais ils sont là à chômer. Il faut faire les choses de manière démocratique. Qu’on pose les débats d’une manière démocratique. Il n’est pas question que toujours ce soient les mêmes qui tournent. La question que je me pose depuis quinze ans et qui ne trouve toujours pas de réponse c’est : pourquoi notre secteur touristique n’arrive pas à décoller ? Qui sont ces acteurs dont on nous parle ? On parle toujours de quatre ou cinq personnes. Très franchement, il y a une limite à tout. Parce que, quand on prend le Sénégal, il y a la Petite Côte, la région de Saint-Louis, la Casamance, Thiès, Mboro, mais on ne parle que des acteurs de Saly. En fin de compte, notre échec, c’est nous même qui l’avons provoqué.

Donc quelle est selon vous la solution ?

Il faut que l’on décentralise. Le tourisme, ce n’est pas une affaire d’Etat. C’est une affaire de localité. Ce n’est pas une affaire qu’on centralise à Dakar. Vous êtes à Djiembering,  c’est le département de Djiembering qui doit faire la promotion, qui doit s’occuper des investissements, qui doit s’occuper des personnes ressources et du patrimoine. Cela, il faut qu’on le comprenne. Mais justement, cela n’a jamais été fait, parce qu’il y a une mainmise. Donc forcément, c’est toujours les mêmes personnes qu’on cite, qui en bénéficient. Tous ceux qui se tracassent en arrière-plan, ils végètent. Prenons l’exemple d’un touriste d’affaire qui quitte Terrou-bi pour aller en excursion à Kédougou. Mais forcément il va dormir là-bas dans un campement tenu par un Sénégalais.

Il va consommer la cuisine faite par un Sénégalais. Il faut qu’on intègre tout ça et qu’on implique les gens. Car, si le produit de l’arrière-pays n’est pas bon, comme c’est le cas tout le temps, parce qu’ils n’ont pas les moyens, je suis désolé, le client n’est pas content. Il est content du Terrou-bi mais il n’est pas content du pays. Alors comment voulez-vous qu’il revienne, ou qu’il ait envie de revenir ? Eh bien ! Il ne reviendra pas ! Il va aller ailleurs ! Voilà tous ces problèmes qu’on a cumulés, depuis 40 ans. On commence à voir les failles. Donc, je suis optimiste pour notre tourisme. On a presque touché le fond, on est obligé de réfléchir sur des stratégies, d’avoir une politique touristique pour qu’on puisse s’en sortir.

Des stratégies pour sauver le secteur du tourisme sont mises en place, le ‘’Projet Cluster’’, par exemple.

Bien avant le Projet Cluster, on nous avait parlé de l’approche Grappe avec la SCA (Stratégie de croissance accélérée). Ensuite, on est passé au projet cluster coaché par le ministère des Finances. Du temps de feu Ousmane Masseck Ndiaye, j’ai été appelé par la Banque Mondiale pour voir ce qu’on devait faire. J’avais dit que sur la Petite Côte, nous avons des personnes ressources de très mauvaise qualité. Avec PPIP (Projet de promotion des investissements privés), le tourisme avait 22 millions de dollars pour faire les mises à niveau. Jusqu’à présent, on n’a pas pu avoir la restitution des résultats.

On n’en sait plus rien de ce projet. Lorsqu’on nous a rappelés une deuxième fois pour le centre de formation, j’ai insisté pour qu’on le fasse à Diamniadio. Il y avait trois acteurs Onits, Spihs et l’association des agences de voyage. Il était question d’une autogestion par les trois entités de l’école hôtelière. Nous sommes allés à l’agence française de développement, à l’ambassade de France  pour tenir des réunions. Nous avons défendu cette idée de centre de formation touristique. Il y a quelques jours, j’ai vu dans les journaux que le Cluster tourisme s’est réuni pour faire la promotion de ce projet. C’est très bien. On avance, bien que nous ne soyons pas impliqués, alors qu’on était à la base. Toujours est-il que, tant qu’on ne démocratise pas, le Plan Sénégal Emergent (PSE) aura du mal à décoller. Parce que si les Sénégalais ne sont pas impliqués, ils ne se verront pas dedans. Il faut que le gouvernement mette de l’ordre dans ce système.

Donc, vous pensez que le PSE est voué à l’échec ?

Non, le PSE peut réussir ; il va réussir certainement. Mais il aura du mal dans notre secteur touristique à émerger. Il faut la décentralisation ; il faut la responsabilisation de la localité où le tourisme se pratique ; il faut beaucoup de paramètres. Il y a certains pays qui n’ont même pas de ministère du Tourisme et ça marche très bien.  

Toujours dans cette promotion du tourisme, la Société d’aménagement de la Petite Côte (Sapco) s’investit et a même organisé une semaine du tourisme appelée ‘’Sen Saly’’.

J’ai applaudi des deux mains quand la Sapco a pris l’initiative. Par contre, là aussi, on ne nous a pas impliqués. Ça s’est terminé en queue de poisson, en critiques entre acteurs et fonctionnaires de la Sapco, et c’est bien dommage. Personnellement, j’avais apprécié l’initiative, parce qu’en période de crise, toute initiative est positive. Mais ce n’est pas en organisant une semaine qu’on développe le tourisme intérieur. C’est en mettant une politique en place. Il faut mettre des paramètres très solides, bien structurés et avoir une vision à moyen et long terme. Mais pas faire la promotion d’un week-end de rabais, ça ne marche pas. Tous les pays touristiques ont commencé par développer leur tourisme interne. Un exemple typique : c’est la France, qui a commencé avec des auberges. Aujourd’hui, c’est le premier pays touristique au monde. Il faut commencer par notre pays, ses authenticités, sa culture, ses produits locaux, pour que le tourisme du Sénégal puisse être harmonieux.  

Actuellement, on parle beaucoup d’entrepreneuriat, est-ce que les jeunes vont pouvoir tirer leur épingle du jeu ?

Ma devise est : vaut mieux faire quelque chose que de ne rien faire. Dans un pays comme le Sénégal qui n’est pas un pays riche, il faut entreprendre. Le Sénégalais est un débrouillard, courageux, mais c’est le système qui ne lui permet pas d’émerger. Il n’y a pas une économie, en Afrique de l’Ouest, qui ne se porte pas mal. Pour ces jeunes-là, il y a beaucoup de programmes d’entrepreneuriat, il faut les faire rêver. Parce que partout dans le monde, quand vous avez la création de cent entreprises, vingt vont survivre. Il faut encourager les jeunes, notamment dans l’auto-tourisme. On a des jeunes qui ont des potentialités incroyables. Mais qui les conseillent, qui les coachent ? Je suis désolé, mais les gens qui les coachent, qui leur disent ‘’allez dans ce sens-là’’, n’ont pas d’expérience, ni d’expertise. C’est un problème aussi. C’est un secteur qu’on a trop pris à la légère dans notre pays.

KHADY NDOYE (Mbour)

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