Publié le 18 Jun 2021 - 01:00
ÉLECTIONS LOCALES

La course contre la montre

 

A presque six mois des élections territoriales, rien ne semble prêt pour respecter les échéances. La Commission politique, en place depuis plus de trois ans, en est encore au stade des négociations. Des questions cruciales dont la prise en charge est indispensable sont toujours en suspens.

 

Janvier 2022 arrive à grands pas. Les états-majors politiques se préparent pour les élections territoriales. Pour l’Administration, l’heure est encore à la redéfinition des règles du jeu. Membre de la Commission politique du dialogue national, le coordonnateur des non-alignés, Déthié Faye, explique : ‘’L’Administration est à pied d’œuvre pour intégrer les consensus retenus par la commission dans le Code électoral. Ils vont nous soumettre les propositions d’écriture qu’on va discuter avant de passer la révision. C’est le premier pas pour aller en direction de ces élections locales. Pour les premiers accords, il y a déjà des propositions d’écriture et nous avons commencé à les examiner.’’

Pour l’heure, il n’y a encore aucun calendrier lisible, pour aller vers les prochaines échéances électorales. La seule chose connue, c’est la date des élections qui est fixée au 23 janvier 2022. Mais pour le coordonnateur des non-alignés, il n’y a pas d’inquiétude majeure à se faire. Il déclare : ‘’Si on travaille bien, c’est bien possible. Il faudra élaborer très rapidement un calendrier, pour tout finaliser et aller vers la révision du Code électoral et des listes électorales, ensuite. Nous allons d’ailleurs rencontrer les experts de l’évaluation, le 17 juin (aujourd’hui) et ils vont nous présenter le projet de rapport. Nous allons ainsi voir les recommandations essentielles qui sont faites, que nous allons mettre ensemble avec les recommandations de l’audit. Les choses pourront aller très vite.’’  

Selon le non-aligné, la commission est en train de prendre les dispositions pour que tout soit terminé dans les délais. Parce que, souligne-t-il, il y a des délais imprescriptibles à respecter, notamment les prescriptions de la CEDEAO qui interdisent les modifications des règles du jeu électoral dans les 6 mois qui précèdent les élections. Ensuite, il y a d’autres tâches qui attendent les acteurs. Parmi ces tâches les plus délicates, il y a la révision des listes électorales qui nécessite le déploiement de tout un dispositif, prévu par l’article L39 alinéa 5 du Code électoral. Qui dispose : ‘’Qu'avant chaque élection générale, une révision exceptionnelle des listes électorales est décidée par décret, pour définir les conditions et modalités d'organisation de cette importante phase du processus électoral.’’

Dans ce cadre, il faudra des commissions administratives chargées, au niveau des circonscriptions électorales, de l'exécution des différentes opérations de la révision exceptionnelle des listes électorales. Lesquelles opérations visent, essentiellement, les jeunes citoyens sénégalais qui auront 18 ans révolus à la date du 23 janvier 2022, retenue pour les élections. Il sera aussi question de permettre à tout citoyen remplissant les conditions requises et qui n'a pas encore sacrifié à cette formalité de s’inscrire.

Aussi, la révision permet de procéder à la correction de toutes les erreurs matérielles notées sur certaines cartes d’électeur, mais aussi à d’autres qui veulent changer de lieu de vote d’aller se faire inscrire à nouveau. Le surplus avec les prochaines révisions électorales, c’est toutes ces populations des zones impactées par les découpages administratifs qui pourraient être amenés à opérer des changements sur leurs cartes d’électeur. Au total, c’est des milliers de citoyens qui vont se ruer dans les commissions instituées pour pouvoir accomplir leur devoir civique. Gare donc aux retardataires.

Déjà, certaines voix rappellent le syndrome des élections législatives de 2017, où des milliers de citoyens ont été privés de leur droit de vote, parce qu’omis sur les listes électorales. L’opinion se rappellera également ces scènes de bousculades monstrueuses de citoyens dans les commissions en charge de la révision des listes électorales.

Mais pour Déthié Faye, il y a assez de temps pour que tout se passe bien, mais à condition de ne pas trainer.

Ce qui change aux Locales

Pour les prochaines élections locales, pas mal de choses vont changer. D’abord, la grande révolution, c’est au niveau du mode d’élection des maires et des présidents de conseil départemental. Désormais, ces derniers seront choisis au suffrage universel direct et non plus indirect. En d’autres termes, les têtes de liste victorieuses seront directement élues maires ou présidents de conseil départemental. En revanche, en ce qui concerne l’élection des adjoints aux maires, c’est l’ancienne formule qui a été reconduite par les acteurs du dialogue politique.

L’autre grand changement, c’est la répartition des élus, selon les listes proportionnelle et majoritaire. Avant, c’était, pour les élections départementales, 55 % pour la liste proportionnelle contre 45 % pour la majoritaire. Pour les municipales, en revanche, c’était 50/50. Avec le dialogue, les taux ont été harmonisés et il a été retenu d’étendre aux communes les mêmes taux que pour les départementales, c’est-à-dire 55 % pour la proportionnelle contre 45 % pour la majoritaire.

Voilà, entre autres propositions de réformes majeures proposées par la Commission politique du dialogue national. Lesquelles propositions devront être adaptées à la loi électorale avant de dérouler le calendrier. Une course contre la montre.  

COMMISSION POLITIQUE DU DIALOGUE NATIONAL

L’échec ?

Ainsi, à presque six mois des élections, rien n’est encore joué. Pour l’expert en décentralisation, Amadou Sène Niang, cela témoigne de l’échec de la Commission politique du dialogue national. ‘’Voilà des gens qui, depuis trois ans, sont en train de discutailler à gauche et à droite et qui, jusqu’à présent, peinent à nous finaliser le travail. Cette commission a battu tous les records en matière de concertations et je pense que le président de la République devrait prendre ses responsabilités. On n’a jamais vu des négociations aussi longues. Ce qu’ils n’ont pu faire en trois ans, ils ne pourront le faire en un mois’’, peste le spécialiste.

Pour lui, la question de la suppléance est fondamentale et jusqu’à présent, personne ne sait ce qu’il va advenir. ‘’Tout ça, c’est parce que, sur des prétextes fallacieux, on a changé le mode d’élection des maires. Et maintenant, on ne sait pas comment faire pour le remplacer, en cas de vacance, comme cela a été le cas pour Khalifa Sall, par exemple. Pour moi, il était beaucoup plus pertinent de maintenir l’ancienne formule. On n’en serait pas là. Mais, on a dit que les conseillers peuvent être achetés. Ce qui est faux. Il faut regarder les statistiques. Sur les plus de 500 communes, il n’y a pas 30 où celui qui dirigeait la liste n’est pas passé maire. On ne légifère pas sur la base de faux postulats’’.

Pour l’expert en décentralisation, l’Etat gagnerait, s’il veut respecter les échéances, à mettre un terme au travail de la commission. ‘’On n’écrit pas des textes de loi avec une commission qui fait 20 membres de l’opposition, 20 de la majorité, 20 des non-alignés. Ce n’est pas possible. Il nous faut une commission cellulaire d’experts plus restreinte, si on veut avancer’’, a-t-il fulminé.

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Le casse-tête de la ville

Pour ce qui est de l’élection des maires de ville, la Commission politique du dialogue national avait conclu à une restauration de la liste proportionnelle de ville. En fait, cette liste a été supprimée, il y a longtemps et les maires étaient issus des différentes communes qui composent la ville. Par exemple, en 2014, Khalifa Ababacar Sall était tête de liste à Grand-Yoff. Après avoir été choisi pour diriger la ville de Dakar, il a dû démissionner pour céder sa place à son lieutenant Madiop.

Désormais, avec la restauration de la liste proportionnelle de la ville, le maire sera connu d’avance et sera issu de la liste proportionnelle la plus représentative pour la ville. Mais, là où le bât blesse, c’est que certains politiques qui ne sont pas sûrs de gagner la ville, et qui ont de fortes chances de gagner leur commune, peuvent être tentés d’être à la fois tête de la liste majoritaire de leur commune et en même temps tête de la liste proportionnelle pour la ville. En pareil cas, il se poserait une question de choix, si la liste concertée est majoritaire aussi bien en ville que dans sa commune. Qui prendrait alors la place, en cas de démission dans une collectivité au profit de l’autre ?

La question est d’autant plus embarrassante que les acteurs du dialogue ne sont pas parvenus à régler le problème de la suppléance. A ce jour, rien de concret n’a été retenu pour savoir qui remplace le maire élu au suffrage universel direct, en cas de décès, démission ou empêchement.

 Interpellé sur la question, le directeur exécutif de l’ONG 3D, Moundiaye Cissé, déclare : ‘’Nous, la société civile, nous sommes d’emblée contre toute remise en cause de l’élection au suffrage universel direct du maire et du président de conseil départemental. Pour ce qui est de la suppléance, nous estimons qu’il serait plus cohérent d’élire un ticket. Comme ça, en cas de vacance, les adjoints dans l’ordre prendront directement la place. Mais pour le moment, les parties ne sont pas encore sur la même longueur d’onde.’’

Il faut rappeler que la commission avait déjà acté que, pour les adjoints, c’est le statu quo qui sera reconduit. Mais avec cette forte probabilité que suscite la ville, cette question revient au galop et les acteurs semblent avoir des difficultés à parler le même langage. Pourtant, l’Administration avait avancé la solution, en proposant l’interdiction à toute personne d’être à la tête de deux listes. Mais l’opposition et la majorité, pour une fois, ont fait bloc pour s’y opposer.

MOR AMAR

 

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