Publié le 27 Oct 2020 - 20:43
ÉTUDE VIOLENCES BASÉES SUR LE GENRE, LES PREMIERS MOIS DE LA PANDÉMIE

Les chiffres de l’infamie

 

Il est de notoriété publique que les violences basées sur le genre (VBG) ont explosé durant la période de confinement. Une étude menée par l’AJS, en collaboration avec la fondation Heinrich Böll, étaye cet état de fait. Elle montre une prévalence des violences physiques, économiques et psychologiques.  

 

Début mois mars, date du premier cas de Covid-19 déclaré au Sénégal, l’État a pris des mesures allant du couvre-feu à la fermeture des marchés, pour lutter contre le virus. Ces mesures ont poussé les femmes et les enfants, qui constituent la couche la plus vulnérable, à rester confinés à la maison, afin d’éviter d’être contaminés.

Ce ‘’confinement partiel’’ a ainsi exposé particulièrement les femmes à subir des situations de violence. Ceci se justifie par le fait que, dans certaines traditions culturelles, ce sont les femmes qui se débrouillent pour assurer la dépense quotidienne et les besoins primaires de la famille toute entière. D’autres études, dans le passé, ont montré que l'incertitude économique et le stress, combinés aux mesures de confinement et à la limitation de nombreux services, ont déjà provoqué une hausse inquiétante de la violence intrafamiliale dans les pays touchés par l’épidémie.

Dans ce contexte particulier de violences, l’Association des juristes sénégalaises (AJS), en collaboration avec la fondation Heinrich Böll, a mené ‘’une étude qualitative sur la situation des violences basées sur le genre (VBG) dans le contexte Covid-19 à partir des données recueillies par les boutiques de droit de l’AJS’’, afin de proposer des réponses adaptées et d’avoir des connaissances approfondies sur les VBG.  Les résultats de ladite étude, qui ont eu lieu entre mars et mai, ont été publiés.

Selon le rapport, au niveau national, bien qu'il y ait une difficulté à avoir des données statistiques nationales sur la question, la violence est présente dans la société sénégalaise. Les données des structures d'accueil et de prise en charge des victimes, les nombreux témoignages sur les réseaux sociaux, les affaires inscrites dans les rôles des tribunaux, les cas relatés par la presse ainsi que les cas passés sous silence sont des évidences sur l'ampleur du phénomène. A ce contexte de recrudescence des violences s'ajoute la situation sanitaire liée à la Covid-19.

Ce contexte particulier de ‘’semi-confinement’’, selon le document, a poussé les familles à se retrouver dans les maisons. Or, l'espace domestique demeure le principal lieu d'exercice des VBG au Sénégal, connu sous le double paradoxe de havre de paix et de lieu de production de violences.

Prévalence des victimes de VBG par localité et par âge

Concernant la prévalence des victimes de VBG selon les localités et les périodes, l’étude montre une proportion plus importante de victimes de VBG, en période Covid, ayant demandé assistance auprès des boutiques de Kaolack (61 % contre 38,10 % avant la pandémie) et de Ziguinchor (75 % contre 25 % avant). Mais comparée à Kaolack et à Ziguinchor, la boutique de Sédhiou a enregistré une baisse du nombre de femmes victimes de VBG ayant saisi la boutique en période Covid, soit moins de 26 % des cas reçus pendant ces deux périodes. Une baisse qui, selon le responsable de la boutique de droit de Sédhiou, semble être liée au changement de méthode.

Concernant les catégories d'âge les plus concernées, selon les périodes (avant et pendant Covid-19), l'analyse par groupe d'âge selon le type de violence subie au cours des deux périodes montre que la VBG touche toutes les catégories d'âge. Toutefois, certaines tranches d'âge sont plus touchées que d'autres en période Covid. La tranche d'âge 41 à 50 ans est la catégorie d'âge la plus affectée par les questions de violence en temps de pandémie. En effet, elle comptabilise plus de 62,3 % des cas de VBG en période Covid, contre 37,7% des cas dans la période avant Covid. Elle est suivie de la tranche de 31 à 40 ans. Soit 51, 60 % contre 48, 4 % en période avant Covid. Les tranches de 11 à 20 ans et 51-60 ans sont les moins concernées par les violences de genre en temps de pandémie.

Pour la prévalence des victimes selon la catégorie professionnelle au cours des périodes avant et pendant Covid, il est constaté aussi bien pour la période avant Covid-19 que pour la période Covid-19, que la catégorie des ménagères constitue celle qui est la plus concernée par les violences de genre. D'autres catégories sont aussi concernées. Il s’agit des femmes commerçantes, vendeuses et restauratrices. Toutefois, la comparaison selon les périodes montre une proportion plus importante de femmes victimes de violence issues de ces catégories en période Covid-19.

Il ressort aussi de l’étude que la majorité des demandes d'assistance reçues, lors de la période mars-mai, sont le fait de femmes évoluant dans le secteur informel et y occupent en majorité des emplois mal payés. Ces femmes ont le plus souvent en charge toute la famille.

La pandémie, avec les mesures de restriction, constitue un facteur d'aggravation des inégalités dans les rapports entre hommes et femmes sur le plan social et économique. Elle contribue à alourdir ces charges de production et de reproduction qu'elles assurent quotidiennement. Cette situation impacte les relations au quotidien entre hommes et femmes, avec pour conséquence l'augmentation de la violence dans les rapports de genre.

Les résultats de cette étude seront remis aux autorités publiques

En outre, l’étude montre que les VBG se présentent sous plusieurs formes : violences morales et psychologiques (humiliations, expressions outrageantes, termes de mépris ou invectives, menaces, intimidations, injures, diffamations, etc.), violences économiques (abandon de famille, refus de payer la pension alimentaire, etc.), violences physiques (mutilations, coups et blessures, meurtres, etc.).

Ainsi, en plus des violences économiques (privation de ressources financières et maintien dans la dépendance), les données révèlent une recrudescence des violences physiques et psychologiques de la part des partenaires masculins, par rapport à la période avant Covid-19.

En période Covid, il y a eu plus de femmes victimes de violences psychologiques (soit 57,10 %) et physiques (soit 58,30 %) que pendant la période avant Covid où moins de 43 % des femmes étaient concernées par les violences psychologiques et 41,7 % par les violences physiques.

Il ressort aussi de l’étude qu’en période de pandémie, la demande d'assistance pour motif de violence économique a augmenté. Les femmes sont six fois plus victimes de violence économique, en période Covid, soit 64,9 % des cas enregistrés durant ces deux périodes. Parmi ces cas, 79,7 % concerne le défaut d'entretien et 20,3 % le refus de donner la dépense quotidienne ou la pension alimentaire. Cela montre que l'augmentation des violences est attribuable aux conséquences économiques dues par la pandémie et à la réduction des revenus du couple, surtout du chef de ménage.

En conclusion, le rapport révèle une nette augmentation des cas de violence économique, psychologique et physique attribuables aux conséquences économiques dues par la pandémie et à la réduction des revenus du couple.

En effet, beaucoup de femmes se retrouvent dans des situations économiques et sociales plus précaires qu’auparavant. L’arrêt de nombreuses activités a provoqué une augmentation de la charge de travail domestique pour les femmes, tout en affectant considérablement leurs revenus.  

Selon la présidente de l’AJS, la commissaire Aby Diallo, les résultats de cette étude seront remis aux autorités publiques pour une meilleure prise en charge de la question. ‘’Nous avons voulu, à travers cette étude, faire constituer un instrument de gestion et d’appréciation de l’effet de la pandémie sur les VBG. Nous voulons, au moment de cette pandémie, continuer à gérer, assister nos populations dans le cadre de la prévention ou répression sur les cas de VGB qui sont exercés sur les plus vulnérables que sont les femmes et les jeunes filles. Cette étude sera un instrument de gestion, d’appréciation pour nos institutions nationales qui voudraient œuvrer dans le cadre de l’éradication des VBG‘’.

CHEIKH THIAM

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