Publié le 2 Apr 2019 - 05:39
ECLAIRAGE ABDOUL A. DIOP, FORUM CIVIL

‘’L’Etat ne s’est pas doté de moyens logistiques, humains et financiers suffisants pour contrôler les entreprises’’

 

Très impliqué auprès des communautés qui luttent pour plus de justice dans la répartition des ressources minières, Abdoul Aziz Diop, également membre du Comité national Itie, explique le mal-être des populations.

 

Quel est l’impact de l’exploitation des ressources minérales de Diogo sur l’économie de cette zone ?

L’impact de l’exploitation sur l’économie locale est faible. Cela s’explique par plusieurs raisons. D’abord, il faut savoir que les mines ne sont pas une compétence transférée aux collectivités territoriales. C'est des ressources nationales qui appartiennent au peuple sénégalais, conformément à l’article 25 de la Constitution. Selon l’Itie (Initiative pour la transparence dans les industries extractives), 98 % des impôts et taxes dans le secteur sont perçus par l’Etat. Seulement 2 % sont des impôts locaux.

Ce qui fait que les collectivités, à qui on a transféré un certain nombre de compétences, sans ressources suffisantes, profitent très peu de ces richesses. Et il ne faut pas s’attendre à ce que les entreprises, qui ne sont pas des philanthropes, se substituent aux pouvoirs publics dans la satisfaction des besoins des populations. Et les chiffres peuvent être éloquents à ce niveau. En ce qui concerne Gco (Grande côte opération), en 2016, ses dépenses sociales volontaires (Rse) se chiffraient à 185 614 398 F Cfa. Or, son chiffre d’affaires pour l’année 2017 était de 83,4 milliards de F Cfa. Au même moment, sa contribution globale était évaluée à 5,6 milliards. Les Ics, qui se trouvent dans la même zone, avaient fait 96 milliards de chiffres d’affaires avec une contribution globale de 5,4 milliards F Cfa. De manière globale, le secteur extractif emploie 0,27 % de la population active. Pour Gco, nous avons 705 employés nationaux permanents, 428 contractuels et 73 expatriés permanents (source rapport Itie 2016).

Est-ce que l’exploitation des ressources minières de Diogo ne constitue pas une menace sur l’activité de maraichage qui constitue la principale source de revenus de ces populations ?

L’activité de maraichage est certes menacée, mais il convient, sur ce sujet, de souligner que Gco a fait des efforts non négligeables pour délocaliser les maraichers qui étaient dans la concession et environs. Elle les a relogés dans d’autres sites plus modernes avec un accompagnement multiforme pour d’autres formes de subsistance. Je dois aussi préciser que le système d’indemnisation a été utilisé avec des taux consensuels, car il n’existe pas, dans la législation interne, un système de compensation. La dimension anthropologique non prise en compte par le nouveau Code minier de 2016 a aussi été bien prise en compte par les dirigeants de Gco, surtout avec le déplacement des cimetières vers les sites de recasement. De ce point de vue, on peut donc dire que l’entreprise a fait des efforts sur ces plans.

Malgré ces efforts, on a l’impression que le mal-être reste le sentiment le mieux partagé. Qu’est-ce qui l’explique ?

Cela s’explique surtout par le sentiment d’injustice que ressentent les populations riveraines. Ces dernières vivent le paradoxe de l’abondance, avec des entreprises prospères qui gagnent des milliards ; à côté, il y a les communautés qui ont perdu en partie leurs moyens de subsistance et qui croupissent dans la pauvreté. C’est pourquoi, à mon avis, il urge que l’Etat rende effectives les dispositions du Fpacl (Fonds de péréquation et d’appui aux collectivités locales) collecté et non encore reversé depuis 2010. Ce, malgré le décret et l’arrêté de répartition publiés depuis décembre 2017. Il faut aussi que le Fonds d’appui au développement local (0,5 % du chiffre d’affaires annuel hors taxe) soit matérialisé. Ce montant est à verser à la collectivité qui abrite le ou les sites miniers. C’est ce qui résulte de l’article 115 du Code minier. Si on parvient à matérialiser ces mécanismes, ce serait un début de solution. Les communautés se sentiraient beaucoup mieux.

Mais est-ce que l’Etat dispose véritablement de moyens pour contrôler de façon rigoureuse ce qui se fait dans ces périmètres miniers ?

L’Etat dispose, effectivement, des moyens institutionnels, mais ne s’est pas doté de moyens logistiques, humains et financiers suffisants pour assurer le suivi et le contrôle des obligations contractuelles des entreprises. A titre d’exemple, le Service régional des mines de Thiès, qui est la première région minière du Sénégal, ne dispose pas de ressources nécessaires pour faire le suivi, malgré la compétence de ses agents. Idem pour la Direction du contrôle et de la surveillance des opérations minières au niveau central. Quant au contrôle citoyen, il a ses limites et pas de voies de recours pour les communautés riveraines impactées. L’Etat gagnerait donc à se renforcer à ce niveau.

Il y a aussi la question de la remise en l’état des terres, objet de la concession, à la fin de l’exploitation. Pensez-vous que les entreprises, en particulier Gco, s’acquittent de cette exigence ?

Mieux, dans le nouveau code minier, la réhabilitation couvre même la phase d’exploration. C’est une avancée notoire par rapport à l’ancien code qui ne prévoyait pas ladite phase. Mais faute de suivi efficace du Pges (Programme de gestion environnementale et sociale), cette exigence n’est pas respectée, il faut le reconnaitre.

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