Publié le 20 Mar 2013 - 20:37
EDITO DE MAMOUDOU WANE

 L’ombre et la proie

« Ô temps, suspends ton vol ! et vous, heures propices,

Suspendez votre cours ! » (Alphonse de Lamartine)

 

Y aura-t-il une vie après la traque des biens mal acquis ? Vu l’intensité avec laquelle les cafards de Karim Wade et ses ‘’amis’’ occupent l’espace politico-médiatique, on a bien l’impression que le temps s’est subitement arrêté au Sénégal. Il n'y a plus que des cafards dans la place qui dégagent des odeurs bien nauséabondes à mille lieux. Mais où est donc l’oxygène ? Pourtant, le temps continue à tourner ailleurs. Disons même qu’il brille, tout soleil, chez certains de nos voisins ‘’ñak’’ que nous avons souvent tendance à regarder avec condescendance, alors que sur le plan économique, ils sont en train de nous dépasser. Simplement…

 

Entendons-nous bien, il est tout à fait normal que ceux qui ont assumé des charges d’Etat rendent compte de leur gestion de deniers publics. Les dégâts sont si énormes, d’après en tout cas les informations encore fragmentaires qui nous parviennent, que cela pourrait être assimilé à un crime économique. Le principe d’audit ne peut donc en aucune façon être discuté, à moins de considérer que nous sommes dans une jungle où chacun peut faire ce qu’il veut, sans craindre aucun effet boomerang. Quelle que soit la sympathie qu’on peut avoir pour les dignitaires du système Wade, dont certains sont sans doute compétents et corrects, il ne faudra jamais occulter que cela fait partie de la marche normale d’une démocratie que de demander des comptes à ceux qui ont eu la charge de l’Etat, donc simples délégataires d’un pouvoir souverain, n’appartenant en vérité qu’au seul peuple. Le Sénégal a aujourd’hui besoin de faire ce saut pour au moins marquer les esprits et susciter, peut-être, un changement de comportements au niveau de la masse, sans doute aussi ‘’tordue’’… qu’une certaine élite. Qui donc peut objectivement contester le principe qui veut que toute personne qui a géré puisse un jour rendre compte ?

 

Le problème, l’épine sous le tendon, ne se situe sans doute pas à ce niveau. Il est surtout dans le manque de sérénité dans la gestion des dossiers de justice. Il y a sur la place trop d’agitation, de procureurs en herbe, de juges qui décrètent des sentences avant terme... En même temps qu’au niveau du Pds, on crie trop fort et tremble assez énergiquement pour des gens qui se disent…blancs comme neige.

 

En France, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy ont été convoqués par des juges qui les ont entendus sur des faits commis alors qu’ils assuraient des fonctions publiques ; l’un comme maire de Paris, l’autre en tant que chef d’Etat français, détenteur du feu nucléaire. Et bien modestement, ils ont répondu au clairon de Thémis. Sans tambours ni trompette. Il faudra bien qu’on en arrive un jour à cette forme de banalisation des dossiers judiciaires. Mieux que cela, il s’agit d’adopter une certaine sérénité consubstantielle à une justice bien administrée. Que le juge retrouve ses pleins pouvoirs ! Nous avons des arguments pour cela.

 

Sur le plan strictement politique et du dynamisme de la société civile, notre pays est bien au-dessus de la moyenne sous-régionale. Les derniers actes posés par le peuple autorisent bien une croyance en ce saut qualitatif. Avec tambours et trompettes, les Sénégalais ont viré Abdou Diouf en 2000 puis Wade en 2012. Le Sénégal a quand même réalisé, en l’espace de 12 ans, deux alternances pacifiques. Pourquoi donc notre avance sur ce plan-là ne trouve pas un répondant dans les comportements de nos élites ? Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans notre système démocratique. On est en face d’une alchimie assez bâtarde, au sens propre du terme. Mélange d’enfance et de maturité, de moyen-âge et de post-modernisme, de lumières et de ténèbres, les Sénégalais sont aujourd’hui une superposition de genres. Nos pulsions sont souvent d’un autre âge, alors que nous sommes capables de coups de génie, surtout sur le plan politique. Comme l’éclat de l’épée sous l’éclat du soleil de midi.

 

Dans le même temps, et c’est bien là la racine de notre profonde inquiétude, nous ne nous occupons pas assez des autres questions. Simplement économiques. L’hyper-concentration sur la traque des biens mal acquis a ceci de bien pervers que cela peut cacher d’autres problèmes tout aussi sérieux. Comment aujourd’hui occulter le fait que la Côte d’Ivoire, à peine extirpée des démons de la guerre civile, va filtrer avec un taux de croissance d'environ 9% ? Et que le Rwanda que nous stigmatisons tant a pu décrocher un taux de croissance de 7,7%, l’année dernière, alors que le Ghana touchait les 12% en 2011 et 9% en 2012. Question donc impertinente : comment allons-nous faire pour compter dans notre sous-région avec l’Éléphant ivoirien qui s’est réveillé et en Afrique d’une façon générale avec tous ces ‘’dragons noirs’’ qui émergent de partout, au moment où nous somnolons comme des ours en hibernation ? Autre question importante : quelles perspectives sérieuses pour ces jeunes qui tournent en rond, sans emploi ? Il ne faudrait surtout pas se tromper. Ce sont les mêmes jeunes de l’année dernière, qui ont défié Me Wade dans les rues et qui grommelaient : ‘’y en a marre !’’ Le danger, c’est que ce volcan-là se réveille plus tôt que prévu. Ce qui ne dépend en vérité que de nous…Sénégalais.

 

 

 

 

 

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