Publié le 4 Nov 2013 - 23:40
EN PRIVÉ AVEC... FATMA DIOURY D'ERNEVILLE (FIDR CONSEIL)

 «Notre projet pour les handicapés...»

 

Fondatrice de FIDR Conseil, une structure dédiée à la formation et à l’insertion professionnelle de personnes handicapées à très bas niveau de qualification, Fatma Diouri d'Erneville, historienne diplômée de la Sorbonne mais aussi formatrice en milieu handicapé, revient au Sénégal pour développer un projet qu'elle estime apte à venir au secours de cette frange vulnérable de la population. Elle en a confié les détails à EnQuête.

 

 

Que représente votre organisation ?

Moi-même formatrice consultante en relations client, spécialisée dans le handicap, je travaille depuis 7 ans avec un collègue ayant le même domaine de spécialité mais, cette fois, dans le domaine de la sécurité. En France, nous avons mis en place des formations destinées exclusivement aux personnes handicapées et à bas niveau de qualification, afin de permettre leur insertion et réinsertion professionnelle dans les métiers et d’accueil et de sécurité. Ce sont des formations diplômantes et qualifiantes, financées par l’État français. Nous travaillons avec de grandes entreprises françaises telles que la Fnac, Leclerc ou encore Carrefour et l’on a enregistré des résultats, en taux de placements, qui tournent autour de 70 voire 80%.

C'est quoi votre spécificité ?

Le principe est de permettre à des personnes à très bas niveau de qualification, c’est-à-dire généralement aux niveaux CM1 et CM2 ou 6e et 5e collège, d’être formés sur des métiers où la base du recrutement est un niveau bac. Il ne s’agit pas du tout de leur donner le niveau bac mais de leur apporter les compétences nécessaires à pouvoir intégrer des métiers qui puissent être adaptés, d’une part à leur handicap et, d’autre part, de leur donner toutes les compétences et capacités pour réintégrer le monde de l’entreprise. Ce sont donc des formations où les stages en entreprise sont très importants. Nous avons développé une technique de formation adaptée et très personnalisée vis-à-vis des personnes à très bas niveau de qualification.

En revenant au Sénégal, qu’espérez-vous y réaliser ?

L’idée est de proposer une alternative aux personnes souffrant de handicaps. Qu’il s’agisse de jeunes ou de vieilles personnes, on se rend compte qu’ils sont au banc de la société, voire au banc du monde professionnel. Très peu d'entre eux sont ainsi intégrés alors qu’il y a des possibilités qu'ils le soient. Par exemple, si vous prenez les non-voyants, ils peuvent être formés pour travailler dans des centres d’appel et l’expérience a démontré qu’ils s’y débrouillent très bien. De plus, ils sont très motivés une fois qu’ils ont pris confiance en eux et qu’ils se sentent capables d’arriver à travailler et d’être aussi bons que d’autres personnes qui ont fait des études plus poussées et qui sont dans le monde du travail depuis plus longtemps. Ici, il n’y a pas beaucoup de propositions ni de possibilités offertes aux populations que nous ciblons. On a beaucoup d’écoles supérieures, mais très peu s’adressent à ces personnes. Et c’est là où nous avons envie de monter justement cette structure au Sénégal.

Quel genre de handicap visez-vous ?

On se dirigera pour le moment uniquement sur des handicaps physiques : mal voyants, difficultés motrices, surdités, etc. Par rapport aux maladies handicapantes, il s’agira vraiment de faire une sélection par rapport à l’autonomie de l’apprenant, mais aussi par rapport aux postes possibles et des possibilités d’emploi dans les entreprises locales.

En quoi consiste concrètement ce projet ?

Ce sera une sorte de centre de formation. On est en train de prospecter pour trouver un lieu d’implantation, notamment sur la région de Podor. Et le principe est d’offrir une formation professionnelle mais surtout un accompagnement adapté du stagiaire dans le monde professionnel. Donc, au préalable, il s’agit d’une remise à niveau des personnes, avec des compétences de base à acquérir, et de travailler sur le projet professionnel, avec des propositions de métier adapté, donc une personnalisation très poussée sur cela. Parallèlement, on accompagne cette fois les entreprises à prendre en charge ces personnes dans la formation mais également dans l’entreprise. Cela veut donc dire partenariats avec des entreprises locales. Les formations vont s'étaler sur 6 à 8 mois.

Qu’espérez faire pour ces gens souffrant de handicap ?

L’objectif est vraiment qu’ils puissent travailler, qu’ils aient vraiment un emploi. Le public auquel on va s’adresser est exclusivement composé de personnes qui ne travaillent pas encore. Par contre, si l’on recrute des formateurs, on pourra faire appel à des gens qui sortent de fac et qui n’ont pas encore d’emploi, et ensuite les former sur les techniques d’animation et autres. Ce qui est source d’emploi par ailleurs. A ce niveau-là, on peut toucher des niches différentes. C’est-à-dire l’employabilité de jeunes ou de moins jeunes qui se retrouvent au chômage et qui ont une formation assez importante qui leur permette d’avoir de nouvelles perspectives professionnelles et, de l’autre coté, permettre à des personnes qui sont loin du travail, loin de la vie professionnelle, de s’intégrer.

Les entreprises hôtes auront-elles à investir pour l’intégration des stagiaires ?

Non. La priorité, pour nous, est de trouver des financements. Parce que c’est un point social, quelque chose d’assez important à mettre en place. Nous avons déjà contacté des personnes qui sont intéressées et plus il y en aura, plus nous aurons de chances d’obtenir de financements.

Et vous pensez pouvoir démarrer quand ?

En 2014. Au plus tard au mois de septembre. Il ne s’agit pas de faire quelque chose de grandiose mais vraiment d’y aller petit à petit pour s’intégrer et donc d’avoir de meilleures chances d’intégrer les personnes que l’on prendra en charge. L'autre aspect important sera de pouvoir disposer de formateurs qui utilisent des techniques bien particulières, c'est-à-dire adaptées aux personnes handicapées et aux adultes, voire aux jeunes adultes que nous souhaitons encadrer. C’est un savoir-faire et un savoir-être à transmettre. On allie différentes choses, c’est-à-dire une remise à niveau en français, maths, etc., en plus d'une initiation à l’informatique et aux nouvelles technologies.

Par exemple ?

On va notamment beaucoup se servir de l’e-learning (NDLR : formation sur internet) parce que l’on s’est rendu compte que c’est quelque chose de très valorisant. Quand on fait travailler une personne à bas niveau de qualification via cette technique, on voit qu’elle peut revenir sur les cours, se rendre compte de ce qui va ou pas, jusqu’à assimiler les savoirs sans pour autant faire du «parcœurisme».

Quels sont les types de formations que vous proposerez ?

On va se centrer, en premier lieu, sur les métiers d’accueil et de sécurité. La 1ère étape sera une remise à niveau qui inclura tous les aspects de la remise à niveau et un travail sur le projet professionnel. Ensuite, on aura un tronc commun qui va allier les compétences communes à ces deux métiers avec les bases de l’accueil et de la sécurité. Et, dernière étape, la spécialisation. Et c’est là où l’on aura besoin d’un autre type de partenariat, notamment de formation. Il ne s’agit pas de faire n’importe quoi mais de pouvoir réorienter les personnes vers des centres de formation plus adaptés.

Donc vous allez travailler en même temps avec des entreprises et des centres de formation ?

Exactement. Un double partenariat qui nous permettra d’offrir de plus larges possibilités à ces personnes, des possibilités qu’on ne connaît peut-être aujourd’hui pas mais qui peuvent se révéler au contact des professionnels des dits secteurs. On peut toujours trouver du potentiel dans une personne. En réalité, tout le monde peut trouver sa voie. Aucune porte n’est fermée, il faut simplement que l’on puisse aider la personne à trouver sa propre manière de travailler.

Qu'avez-vous constaté à ce propos au Sénégal ?

L’un des problèmes que j’ai pu constater au Sénégal est qu’il y a de nombreuses personnes handicapées ou à faible niveau de qualification qui sont mises de côté, même dans les familles. On dit «nàttu Yàllà» (NDLR : la volonté de Dieu) et après on ne sait pas où les mettre. Iront-elles à l’école ? Pourront-elles travailler ou pas ? Et, ainsi, ces personnes voient les autres évoluer alors qu’elles-mêmes restent clouées au banc de la société alors que l’un des moyens de s’en sortir, de se réaliser, c’est évidemment le travail. A celles-là, nous voulons justement donner cette chance de participer à la vie sociale et professionnelle de ce pays.

Combien d’élèves espérez-vous avoir dans un premier temps ?

On va d’abord faire des groupes entre 10 et 15 personnes par session. Ensuite, cela dépendra du nombre de candidats qu’on aura et des fonds qu’on aura à notre disposition. On pourra éventuellement faire 2 à 3 sessions par an. C’est là où ça sera intéressant car cela permettra de créer des emplois au niveau des animateurs de formation et des encadreurs. À terme, on espère pouvoir mettre en place une équipe encadrante qui comprendra infirmiers, ergonomes, ergothérapeutes, psychologues et autres parce qu’il est nécessaire que les personnes soient accompagnées. Quand on parle de handicap, on dit adaptation : il nous faut, en plus des formateurs, une équipe paramédicale, voire médicale qui puisse suivre les stagiaires, même jusqu’en entreprise... La sensibilisation des entreprises, des autorités voire des chefs religieux sur l'importance de la dimension sociale du projet. C’est quelque chose qu’il faut que l’on fasse. Démarrer à un moment donné par quelque chose et évoluer...

SOPHIANE BENGELOUN

 

 

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