Publié le 7 Mar 2020 - 01:32
EN VERITE AVEC JAMES BKS, AUTEUR, COMPOSITEUR ET PRODUCTEUR DE MUSIQUE

‘’Ma collaboration avec Youssou Ndour, Dip, Nix…’’

 

Il n’est pas de ceux qui utilisent la notoriété de leurs parents pour se faire un nom. Ni dans son pressbook ni dans sa biographie, vous ne verrez mentionner qu’il est le fils de Manu Dibango. James BKS, auteur, compositeur et producteur de musique, pense que son père a écrit son histoire ; lui doit en faire autant. Il ne se voit pas comme son héritier. Il veut laisser ses propres marques. Au Sénégal, la semaine dernière, il a travaillé en studio avec Youssou Ndour, qui doit participer à son prochain album. Il a rencontré Nix et Dip, deux artistes hip-hop qu’il considère comme talentueux. Entretien !

 

Vous êtes au Sénégal, dans le cadre d’un projet qui vous lie à Youssou Ndour. Parlez-nous-en, s’il vous plait…

Je vais collaborer avec Youssou Ndour, dans le cadre de mon album. J’ai eu la chance de lui faire écouter un titre sur lequel je le voyais poser, par l’intermédiaire de Mokobé d’abord, qui est un artiste et ami qui me suit depuis quelque temps. Je le considère comme mon grand frère. Ensuite, le management de Youssou Ndour l’a écouté et le lui a fait écouter. Il l’a écouté et l’a adoré. Je suis aujourd’hui là pour une séance en studio avec lui. Je suis également là pour voir d’autres artistes très talentueux comme Nix. J’étais censé travailler avec lui, à l’époque où j’ai fait le titre ‘’King’’ pour Booba. Je dois également voir Dip, qui est un artiste incroyable. Je l’ai découvert, il y a quelques mois.

Pourquoi vous avez pensé à Youssou Ndour, après avoir composé ce son ?

Je ne peux pas prendre tout le crédit. C’est un ami qui a écouté mon projet. Le morceau en question est différent des univers que j’ai apportés dans mon album. Je cherche à le rattacher à l’Afrique. Il a écouté les morceaux et a écouté celui-là, et m’a suggéré de faire intervenir un chanteur qui n’a rien à voir avec tout ce qui se fait aujourd’hui, mais qui apporte justement ce côté griot ; cela pourrait être très intéressant. Il m’a suggéré d’en parler à Youssou Ndour. De là est parti tout le cheminement. Je connaissais déjà le travail de Youssou Ndour.

A part Youssou Ndour, qui d’autres sera dans cet album et quelle est sa philosophie ?

La philosophie de cet album-là, c’est toutes les valeurs que je souhaite mettre en avant. Tout est relié. C’est vrai qu’il y a une touche moderne. Ma culture urbaine transpire dans cette musique, mais j’utilise énormément de percussions africaines, notamment camerounaises. Je travaille avec un percussionniste camerounais qui est juste incroyable. Il est le lien sur tous les morceaux. J’ai travaillé avec beaucoup d’artistes anglophones. J’ai commencé avec Q-Ti, qui est une légende du hip-hop américain, Little Simz, Idriss et d’autres grands artistes. Il y a Davido. Je me suis dit que si je veux respecter ce que je disais, je dois terminer avec des artistes africains. J’ai connecté avec Salatiel, qui est un artiste camerounais incroyable. Il a une voix magnifique. On le retrouve d’ailleurs dans l’album de Beyonce. Il y a également Daphnée Njie, qui est une superbe chanteuse camerounaise. Il y a Big H, qui est un artiste sud-africain. Mon but est de terminer mon album sur le continent africain.

Qu’est-ce qui vous attire chez Nix et Dip ?

J’adore le wolof. Je ne le parle pas. J’aime le rythme et les intonations qu’il y a dans cette langue. Je veux apporter cette touche-là avec leur background. C’est un échange culturel avec eux qui va au-delà de la musique.

Depuis quand composez-vous des musiques ?

Cela a commencé relativement tard chez moi. J’habitais à Paris avec mes parents. J’ai eu la chance d’aller avec eux aux USA, en 2002. Je me cherchais encore, en termes de carrière. Je ne savais pas. La Fac que j’ai intégrée proposait un programme d’audio recording. J’ai toujours été passionné de musique, mais ce n’était pas une chose que je me voyais faire plus tard. Grace à cette formation, j’ai pu commencer à manipuler quelques machines, que cela soit du software ou du hardware, me familiariser avec l’univers du studio, la production notamment, et c’est comme ça que j’ai commencé à composer. J’avais des gens autour de moi qui avaient remarqué que c’était quelque chose que je prenais de plus en plus au sérieux. Ils ont vu que j’avais peut-être des compétences. Ils m’ont encouragé à prendre cela au sérieux et c’est comme ça que je m’y suis mis.

A vos débuts, vous composiez le plus souvent quel genre de musique ?

J’étais plus dans le hip-hop. Cela faisait partie de ma culture. C’est ce que j’avais connu depuis tout petit. De là où j’ai grandi, j’ai reçu l’influence noire américaine et des USA. Le hip-hop était quelque chose qu’on admirait. On peut dire donc que j’ai commencé avec du hip-hop avant d’élargir ma palette.

Vous avez composé pour de grands artistes comme Snoop et Ja Rule. Comment sont nées ces collaborations ?

Après avoir fait ma formation en audio recording à la Fac, j’ai eu la chance et l’opportunité de faire un stage à Atlanta. J’étais dans le label d’Akon, qui est Konvict Music. C’est à ces moments que j’ai rencontré énormément d’auteurs de renom. C’est avec eux que j’ai réellement pu me professionnaliser, savoir comment un titre est fait, construire une mélodie, des refrains. C’est avec eux que j’ai eu mes premiers placements dans la musique. J’ai eu la chance d’avoir été en studio avec Akon deux fois. Pendant toute la durée de mon expérience à Atlanta, je faisais des allers et retours constants. J’ai travaillé avec toutes les personnes qui étaient autour de lui, mais pas lui directement. Je n’ai jamais non plus composé de musique pour lui.

Vous êtes le premier artiste signé dans le label d’Idriss Elba. Comment se passe la collaboration ?

Quand j’ai commencé à avoir des placements avec des artistes connus aux USA, je suis entré dans une routine. J’avais l’impression qu’on m’enfermait dans un style de musique qui était le hip-hop, alors que je souhaitais explorer d’autres univers. J’ai toujours été amoureux des autres styles de musique, même s’il est vrai que le hip-hop m’a ouvert ses portes en premier. Mais je voulais m’exprimer de différentes manières. C’est à cette époque que mon label est tombé en crise. Avant, j’ai eu quelques placements qui ont bien fonctionné et j’ai ensuite signé chez Universal Music. L’expérience n’a pas réellement bien fonctionnée et je suis rentré en France. Il a fallu que je me réinvente, que je reparte à zéro. C’est à cette époque que j’ai renoué avec mon père biologique (NDLR : Manu Dibango). Un côté dormant chez moi s’est alors réveillé. A travers ses musiciens, à travers son parcours, j’ai réussi à voir les choses différemment par rapport à ma culture, de là où je viens, mon pays d’origine. Cela m’a permis d’incorporer tout ce que j’ai appris à travers lui dans ma musique, d’où le morceau ‘’Kwélé’’. C’est grâce à ce single que j’ai rencontré Idriss et notre collaboration se passe bien.

Dans une interview, vous dites que jeune, votre culture camerounaise n’était pas quelque chose de positif et tout ce qui était apparenté à l’Afrique, vous le perceviez de manière négative. Pourtant, aujourd’hui, vous réclamez votre africanité et tenez à vraiment la faire ressortir dans votre musique. Qu’est-ce qui a changé au-delà de la rencontre avec votre père biologique ?

On va dire que, naturellement, quand on est petit, on grandit sous l’influence des parents. Ma mère, notamment, a vécu une expérience plutôt négative qui lui a fait quitter son pays d’origine, le Cameroun. Il est vrai que la manière dont elle nous décrivait le continent et le pays, sans faire exprès, sous l’angle négatif. Le fait de grandir, de voyager, de voir d’autres choses, de s’éduquer, de lire des livres et d’avoir d’autres sources d’information comme Internet, ce que nos parents n’avaient pas, nous aide. Nos parents n’avaient qu’un canal qu’était la télévision et quand ils entendaient certaines choses, la messe est dite.

Aujourd’hui, il y a différentes sources d’information. Donc, on voit forcément les choses différemment. On n’a pas évolué avec le même challenge. On a l’opportunité d’avoir du temps pour s’éduquer différemment. C’est tout ce cheminement qui s’est terminé au final par la rencontre de mon père biologique. Il m’a montré d’autres choses. Je ne peux pas, aujourd’hui, dire que tout est positif. Ce serait me voiler la face. Mais disons que j’essaie d’approcher ma reconnexion avec mes racines d’une autre manière, sans jugement.

Vous avez collaboré avec votre père biologique, Manu Dibango. Comment avez-vous vécu cette expérience ?

Elle a été incroyable, parce que c’était au moment où j’avais commencé à faire de la musique que ma mère m’a révélé qui était mon vrai père. C’est dire que je ne savais pas qui il était auparavant. C’est une réalité que j’ai voulu mettre de côté. C’est un système un peu d’autodéfense. Je ne savais pas pourquoi cette personne connue ou pas n’avait jamais été présente dans ma vie. J’avais un certain équilibre qui me permettait d’évoluer normalement. Je me suis toujours dit que si je réussissais dans la vie, ce sera par l’intermédiaire de mes propres compétences, sans utiliser le nom de qui que ce soit. Le fait d’avoir retrouvé mon père à une période où je gagnais déjà bien ma vie dans la musique, a fait que je pouvais le regarder droit dans les yeux et aborder une collaboration d’une manière différente.

C’est dire que je n’avais pas besoin de lui. C’était une vraie collaboration professionnelle où chacun apporte du sien. C’est ce qui a donné la musique pour les Jeux de la Francophonie de 2016, puis le morceau ‘’Kwélé’’ qui m’a ouvert d’autres spectres qui m’ont permis de voir la musique différemment.

Vous considérez-vous comme l’héritier de Manu Dibango ?

Non ! Je pense que ce qu’il est important de montrer aux gens, et c’est ce que je pense de toute façon, c’est que chacun sait écrire sa propre histoire. Je pense que nous sommes tous héritiers de ce qu’il a apporté musicalement, parce qu’il est le papa de la World Music. Il a fait découvrir le ‘’Makossa’’ au monde entier. Il a été n°1 dans les années 1970.

Donc, je ne peux pas dire que je suis le seul inspiré. Aujourd’hui, c’est une fierté. J’en parle tout à fait normalement. Mais j’ai ma propre histoire à écrire. Je respecte son parcours, mais il faut que je construise moi-même le mien.

L’une des raisons qui vous ont fait quitter les USA est la distance avec les artistes pour lesquels vous composiez. Cela signifierait-il qu’une mélodie on la crée suivant la personnalité de celui qui doit l’interpréter ?

Je pense que le propos sera toujours plus intéressant s’il est sincère. Je pense que la rencontre, c’est la clé. Avant de viser le côté commercial, on doit avoir en tête pourquoi on fait de la musique et ne pas oublier de créer sans attente. C’est très difficile, parce qu’il y a beaucoup de paramètres. On évolue dans un business qui ne paie pas tous les mois. Donc, naturellement, on est souvent porté sur ce qui va fonctionner. Mais quand on arrive à une certaine maturité, on a envie de transmettre, de laisser quelque chose derrière soi. Si on continue à vouloir faire comme tel ou tel autre, même si les succès viennent, on risque de se perdre.

Aujourd’hui, je suis épanoui musicalement, non pas parce que j’ai des plaques de disques sur les murs, mais parce qu’à travers ma musique, je véhicule des musiques qui me représentent, dont je suis fier et dont je serai fier de léger à mon fils ou à ma progéniture. C’est ce qu’il y a de plus important pour moi aujourd’hui.

Quels sont ces messages ?

C’est la transmission, le besoin de se réapproprier une histoire qui a été faussée. Je ne pointe du doigt qui que ce soit. Je pense qu’on dispose aujourd’hui de suffisamment de ressources, d’informations autour de nous pour aborder les choses différemment. C’est à notre tour de pouvoir changer les choses.

Que pensez-vous de l’afrobeat ?

Symboliquement, c’est bien que l’afrobeat prenne l’ampleur qu’elle a aujourd’hui. Les Africains s’aperçoivent qu’il y a énormément de rythmes que les Américains ont pris et qui viennent d’ici. Ce n’est pas quelque chose qui est nouveau. Dans les années 1970, les Américains venaient et piochaient ce qui se faisait ici. L’afrobeat prend une place importante dans le paysage de la World Music. Je pense qu’il y a un côté un peu commercial qui fait qu’on perd un tout petit peu des rythmes traditionnels noyés dans la programmation. J’utilise la programmation, mais je pense que ce qu’il y a de plus important, est de montrer que le panel de la musique africaine est beaucoup plus large. J’ai découvert des rythmes, ces dernières années, par l’intermédiaire de mon percussionniste Guy. Mais ils sont incroyables. Il est de notre devoir de montrer qu’il y a beaucoup plus à offrir dans la musique africaine.

Des majors comme Sony ou encore Universal sont venus s’installer en Afrique et ont signé des artistes du continent. Pensez-vous qu’ils sont là pour ‘’piller’’ l’Afrique musicalement ?

Je pense qu’il y a clairement l’aspect opportuniste qu’on ne peut pas ignorer. Mais c’est à nous, surtout nous autres africains du continent, de se servir de ça et d’en faire une force. Effectivement, la tendance est tournée vers nous, mais il faut que nous sachions comment nous allons nous servir de cela pour montrer que nous avons d’autres choses à offrir. Il faut que nous sachions comment nous allons nous protéger pour que ce qui s’est passé jadis, que cela soit au plan musical ou purement économique, ne se reproduise. Il nous faut contrôler nos droits d’auteur, faire en sorte que ces gens qui créent ces musiques soient crédités, mis en avant et créer tout une économie autour d’eux. Il faut être réaliste. L’artiste a un rôle à y jouer comme les gouvernants.

Aujourd’hui, il y a un vrai enjeu économique et culturel. C’est de notre rôle de montrer qu’on sait de quoi nous parlons. Cela passe à travers la musique, les arts. J’ai un très bon ami qui fait du pop design et qui s’est dit que toutes les représentations qu’il fait seraient autour des héros qui ont marqué son enfance. On connait Superman, Batman, mais je pense qu’on a aussi nos héros. Il est important, pour la génération qui vient, de s’identifier à des choses qui viennent de chez eux. Tous ces messages dans les chansons qui paraissent anodins sont très importants. C’est une condition qui nous rend psychologiquement beaucoup plus forts et qui nous permet de voir les choses différemment. C’est ce dont j’ai manqué en étant petit. En grandissant, je me suis toujours dit : j’ai un enfant et je n’ai pas envie qu’il voit le continent africain, le Cameroun, de la même manière que je le voyais avant. C’est mon devoir de lui montrer les choses différemment, pas de lui mentir, mais de lui montrer d’autres perspectives.

Pensez-vous que construire les héros africains pourrait passer par le cinéma ?

Oui. Il y a un très bel exemple qui montre les enjeux culturels et cette influence que le cinéma peut avoir sur les gens, et c’est ‘’Black Panther’’. C’est un film américain, une production Marvel. Ils se sont inspirés des contes africains et ont fait quelque chose d’exceptionnel. La démarche est commerciale, mais il y a un fondement culturel assez recherché. Je me rappelle mes premières années aux USA ; dès qu’il y avait un Africain qui parlait avec un accent, les gens rigolaient. Avec un film qui a une telle ampleur, cela permet de voir les choses différemment. J’ai vu plein de gens s’intéresser maintenant aux accents des uns et des autres. Cela les oblige à voir plus loin que les clichés reçus.

Dissocier l’œuvre de l’artiste, c’est le sujet actuel dans les cercles culturels. En France, l’affaire Polanski est au centre des débats. Quel est votre avis sur la question ?

Disons qu’il a y a des perspectives pour chacun. Prenons l’exemple de R Kelly. Je ne me vois pas ne plus écouter sa musique, parce qu’on sait ce qui s’est passé avec certains. Mais il reste un artiste qui a fait des choses, qui a compté à un moment donné. Je pense qu’on ne va pas juste effacer tout cela ou ne plus le prendre en compte, sous prétexte que leur vie privée a pris le dessus, médiatiquement, sur leurs œuvres. Si on pense réellement comme ça, il faut qu’on arrête d’utiliser les IPhone, Internet, qu’on passe notre temps à vider nos corbeilles de Gmail, etc. Je pense qu’on ne pourrait plus vivre dans la société dans laquelle on est.

Je suis donc de ceux qui pensent qu’il faut séparer l’œuvre de l’artiste. Pour le cas Polanski, se lever et l’ovationner, sachant tout ce qui s’est passé auparavant, je dis non. Mais respecter ce qu’il a pu faire dans sa carrière, je dis oui.

Donc, vous êtes de ceux qui pensent que ‘’J’accuse’’ ne méritait pas d’être aux Césars ?

(Il rit) Non, il ne le méritait. Le film n’était pas très bon, de toutes les manières.

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