Demba Gaye démonte le livre de TAS

L'homme n'est pas un habitué des médias. Mais le livre de Thierno Alassane Sall, ‘’Le protocole de l'Elysée’’, l'a fait sortir de sa torpeur. Ancien conseiller technique du Premier ministre Boun Abdallah Dionne en charge du Pétrole et des Energies, Demba Gaye, diplômé HEC Montréal en pétrole et énergie, était au cœur des transactions entre l'ancien ministre de l'Energie et la primature. Dans cet entretien, il livre sa part de vérité et démonte quelques chapitres contenus dans l'ouvrage-révélations de Thierno Alassane Sall.
Vous êtes expert en ressources pétrolières, ancien conseiller de l'ancien Premier ministre. Que vous inspire le dernier livre de Thierno Alassane Sall mettant à nu la gestion, calamiteuse du régime dans ces ressources ?
Par devoir de vérité, en tant que cadre sénégalais ayant l'honneur et le privilège d'avoir été conseiller technique du Premier ministre, permettez-moi d'exprimer ma déception et ma consternation devant les fausses déclarations de l'ancien ministre de l'Energie et du Développement des Energies renouvelables. J'ai eu la chance de prendre connaissance de tous les courriers venant de l'ancien ministre relatifs au pétrole et au gaz, jusqu'à son limogeage, et de connaitre intimement le contenu de tous les courriers qui lui étaient destinés sur la question. Ce qui n'est pas donné à tous.
Donc, je suis bien placé pour dire que tout ce que l'ancien ministre Thierno Alassane a raconté dans son livre, relativement aux contrats pétroliers et à la gestion du pétrole, n'existe que dans son esprit, et ce n'est que la manifestation d'un individu animé d'une intention et d'un objectif inavoué de nuire.
Vous me permettrez de dresser ce tableau qui prouve que ni dans la volonté du chef de l'État exprimée, ni dans la politique qu'il a définie, ni dans les directives données au gouvernement, ni dans les lois votées, ni dans les décrets d'application pris, il n'y a rien qui a été fait en dehors d'un seul et unique but qui est la sauvegarde des intérêts supérieurs de la nation. Le président avait donné comme instruction de bâtir une véritable économie du pétrole et du gaz, d'impacter de façon significative le développement socio-économique des populations avec ces ressources découvertes. Il a demandé que ce développement pétrolier soit inclusif, durable, transparent, enfin que sur toute la chaine de valeur pétrolière, que les compétences locales soient développées pour atteindre au moins un objectif de 50 % de contenu local. C'est-à-dire permettre, à travers une loi, la préférence nationale pour les ressources humaines sénégalaises, les PME et PMI sénégalaises, les populations et localités impactées, et le secteur parapétrolier, le raffinage, la pétrochimie, la production d'engrais, de capter les ressources financières qui seront dépensées dans l'exploitation du pétrole et du gaz.
Et comme dans toute démarche de planification stratégique, il doit y avoir cohérence entre les objectifs à vous assignés et les axes stratégiques mis en place en vue de leur atteinte, les actes et axes stratégiques ci-dessous ont été posés :
C'est le président Macky Sall qui a été le premier président à penser faire des ressources pétrolières une propriété du peuple sénégalais et cela est consacré dans notre charte fondamentale, après un référendum soumis au peuple.
Le président a fait adhérer le Sénégal à L'ITIE. Notre pays a même reçu des satisfécits de cette institution en matière de transparence et de progrès dans la gouvernance desdites ressources. Le président a organisé une concertation nationale… il a convié tout le peuple, l'opposition, la société civile, les chefs coutumiers et religieux, les institutions et syndicats, patronats, tous pour échanger sur les questions relatives au pétrole et au gaz. Ceci pour la première fois dans l'histoire du Sénégal. Il a ensuite mis en place un Comité d'orientation du pétrole et du gaz dirigé par un secrétaire permanent, homme de l'art et une référence en la matière. Il a fait voter une loi sur la répartition des revenus avec un fonds souverain à constituer pour la part des générations futures. Car, pour le président Sall, le peuple, c’est le peuple d'aujourd'hui et de demain.
Au regard de ce qui précède, Il n’y a eu aucune gestion calamiteuse des ressources pétrolières.
L'auteur soutient, dans son livre, que l'on a attribué des blocs à Total pour les beaux yeux de la France, et le peuple Sénégalais perd des milliers de milliards dans cette transaction…
Je vais demander à l'ancien ministre Thierno Alassane Sall, car il n'est jamais trop tard d'étudier, de se renforcer en capacité ou de mettre à jour ses connaissances, en prenant des cours sur l'environnement de l'industrie des hydrocarbures, surtout quand on n’est pas un homme de l'art en l'espèce, comme le président Macky Sall, pour se rendre compte de son erreur persistante. Dans le bloc Rufisque Offshore Profond octroyé à Total, le Sénégal a fait son choix en toute souveraineté et responsabilité, en tenant compte des intérêts supérieurs de la nation. Le ministre Thierno Alassane Sall s'est trompé par ignorance de beaucoup d'éléments qui entrent en jeu dans la prise de décision. En tant qu'homme d'Etat, ministre, il a fait preuve d'ignorance totale de ce qui suit : d'abord, le pétrole est une ressource naturelle avec des enjeux socio-économiques, géopolitiques et géostratégiques. Qu'il faut être un mauvais analyste et décideur pour ignorer que dans une analyse, pour une meilleure prise de décision, entrent en jeu des facteurs qualitatifs non quantifiables et dont la valeur moyenne pondérée dépasse de loin, à tout point de vue, une somme d'argent déclarée.
Ce qu'on appelle "Long term perspective and a large view" comme approche systémique, pluridisciplinaire et multidimensionnelle, a dépassé le continum de maturité et l'angle de tir de l'ancien ministre Thierno Alassane Sall. Il a eu une vision à court terme pour des objectifs inavoués contraires aux intérêts à long terme du pays. Ce qu'il ne dit pas dans son livre. Et en retour, il a été recadré. C'est tout le bruit autour de son livre.
Ensuite, la place de Total, en tant que major dans l'industrie pétrolière, est reconnue dans le monde et même dans les pays du Moyen-Orient plus riches en pétrole que le nôtre. Total, Exxon, Mobil, Shell, BP sont des majors dans l'industrie pétrolière.
En finance, le principe de la diversification du portefeuille nous recommande de diversifier nos sources de financement, nos investissements, pour gérer le risque de mettre tous les œufs dans le même panier. Et qu'en économie d'envergure, il est démontré que le tout est supérieur à la somme des parties.
Comment expliquez-vous que Kosmos puisse proposer 25 millions de dollars de bonus, Total 5 millions de dollars et que le projet puisse échoir à Total ?
Encore une fois, il faut avoir une vision trop court-termiste, comme l'ancien ministre, pour faire une telle analyse. Je vous donne un exemple simple pour vous illustrer que le seul critère argent n'est pas pertinent et déterminant en l'espèce. Vous voulez construire un immeuble à dix étages clefs en main. Vous recevez trois offres : 200 millions, 500 millions, 1 milliard. Si vous êtes un bon décideur, vous allez regarder derrière et au-delà de la seule offre financière.
Kosmos est une compagnie que je respecte comme toutes les autres, contrairement à l'ancien ministre. J'ai eu à recevoir dans mon bureau tous les directeurs généraux des compagnies internationales, accompagnés de leur directeur pour mieux atteindre ensemble les objectifs en vue de la prise de décision finale d'investissement. Je parle sous leur contrôle et je rendais compte à l'autorité. Ils peuvent tous le confirmer ; seuls les intérêts supérieurs de la nation et du projet ont été mis en avant dans mes interventions, conformément aux instructions du chef de l'État et du Premier ministre.
Un Etat souverain a des éléments d'appréciation outre que le calcul et l'analyse réducteurs et court-termistes de l'ancien ministre de l'Energie. Le pouvoir discrétionnaire dont dispose le président Sall pour nommer Thierno Alassane Sall ministre, alors qu'il n’a pas le meilleur profil à l'emploi, face à 14 millions de Sénégalais, reste de rigueur. Pour ma part personnelle, le président a fait le meilleur des choix. Total a respecté ses engagements, a investi plusieurs milliards et n'a rien trouvé. Kosmos est déjà présente dans d'autres blocs et a même cédé une partie de ses intérêts et participations dans le bloc Saint-Louis offshore Profond sur arrêté pris par le même ancien ministre Thierno Alassane Sall, sans que le président Sall ne s'y oppose. Donc, l'ancien ministre doit cesser son intoxication faisant croire à une injustice qui serait faite à Kosmos. Ce qui est faux.
Ni le président de la République ni l’ancien Premier ministre n'ont intérêt dans aucune compagnie et leurs seuls intérêts, c’est la sauvegarde des intérêts supérieurs de la nation. Expression souvent revenue dans les courriers reçus par l'ancien ministre venant de la primature avec ampliation a la haute attention du chef de l'État. Que l'entêtement de l'ancien ministre laisse présager le comportement de quelqu'un qui aurait déjà pris des engagements à l'insu et sans l'accord de ses mandants. Lorsqu'un ministre envoie un courrier au Premier ministre, après avoir fait son travail et conclut en disant : "Je reste attentif à vos instructions et directives", cela signifie qu'il n'a pas le dernier mot, fusse-t-il ministre. L'ancien ministre sait qu'il n'a pas le dernier mot, comme il l'a si bien mentionné dans son courrier. Par devoir et obligation de réserve, nous n'allons jamais faire comme lui en mettant ces courriers dans la nature, car nous sommes des hommes d'Etat.
BBC a fait un reportage sur le scandale Petrotim avec le petit frère du président mouillé, à l'époque. Qu'est-ce que les services de la primature ont fait pour éviter le scandale ?
D'abord, en tant que journaliste, vous conviendrez avec moi que la démarche de BBC n'est pas équilibrée, car il faut écouter tous les acteurs et parties prenantes, et surtout ceux qui sont visés. Ce qui n'est pas le cas. Tous ceux que BBC a écoutés sont dans leur rôle et ils sont classés en trois groupes :
1) Ceux qui se sont dédits, depuis qu'ils ne sont plus dans leur station au niveau de l'État, si vous regardez les vidéos du passage de l'ancien ministre de l'Energie à l'Assemblée nationale, devant des étudiants lors d'une tournée ou si vous écoutez l'émission ‘’Remue-Ménage’’ (RFM) d'antan où il disait : "Qu'il n’y a jamais eu de violation d'obligation légale dans aucun des contrats pétroliers." Les Var sont là. Vous vous demanderez si c'est le même monsieur qui est l'auteur du livre.
2) C'est le groupe des experts en fausses et graves alertes (Yee Fitena) du genre le Sénégal a perdu dans le partage fifty-fifty avec la Mauritanie, ignorant totalement la jurisprudence et les règles en la matière.
3) Celui qui déclare avoir été trompé. BBC n'a rapporté aucune preuve de ses allégations. Alioune Sall avait démissionné de la CDC, pour mettre à l'aise la justice qui a fait son travail au nom du peuple. Pour ma part personnelle, j'ai été invite à DTV, dans le journal du 15 juin 2019 en wolof et en français, pour rétablir la vérité.
Quelle était la position de Boun Dionne, "double-bouton" dans cette affaire ? Sa part de responsabilité ?
C'est d'abord irrespectueux, manquer de loyauté, de culture d'Etat, de sens de la coordination de l'action gouvernementale d'utiliser de tels mots. D'abord, c'est un jugement de valeur, donc biaisé. Il y a un proverbe qui dit : "Il faut se méfier d'une bête blessée." Pour nous qui avions été dans le cabinet du PM Dionne, nous le connaissons travailleur infatigable, orienté résultats, proactif et rigoureux. Il est l'expression de la loyauté au sens noble et moral, et de manière totale et sincère à l'endroit du chef de l'État. Tout son objectif est de traduire en actes concrets la vision et la politique définie par le chef de l'État. Je suis fier de le dire. Un bon Premier ministre doit être en phase avec le chef de l'État pour comprendre sa vision avant de pouvoir la réaliser. Comme l'a si bien démontré l'ancien ministre dans ses déballages regrettables et indignes d'un homme d’Etat, l'ancien PM a joué tout le rôle qui lui revient pour rappeler à l'ancien ministre ses limites et ses prérogatives, d'après les déclarations de Thierno Alassane.
Quoi de plus normal, dans le fonctionnement de l'État, de voir le chef du gouvernement avoir la même position que le chef de l'État et donner, en conséquence, des instructions à un ministre ?
Propos recueillis par Cheikh OMAR CISSE