Publié le 17 Jan 2021 - 00:01
FACE AU JUGE CORRECTIONNEL

Assane Diouf, entre excuses et indignation

 

Assane Diouf a répondu, hier, des chefs d’outrage à agents dans l’exercice de leur fonction, rébellion et provocation directe à un attroupement armé, devant la chambre correctionnelle. Après avoir regretté les injures qu’il a proférées, à travers la vidéo qui lui a valu son jugement, il s’est offusqué de ce que d’autres aient dit pire que lui, sans être inquiétés par le même parquet qui a requis 2 ans de prison dont 8 mois ferme. Le temps qu’il a déjà passé en détention.

 

Après 8 mois de détention préventive, Assane Diouf a été jugé, hier, à la barre de la Chambre correctionnelle du tribunal de grande Instance de Dakar. Surnommé ‘’L’insulteur public n°1’’, il est poursuivi pour outrage à agents dans l’exercice de leur fonction, rébellion et provocation directe à un attroupement armé. Ayant en partie reconnu les faits, il a tenu à présenter ses excuses au président de la chambre et au peuple sénégalais, pour les injures qu’il a proférées dans la vidéo qui lui a valu son arrestation.

‘’Je ne suis pas fier, quand on me pointe du doigt, pour dire que c’est moi l’insulteur’’, dit-il. ‘’Dans ce cas, quand vas-tu arrêter d’insulter les gens comme ça ?’’, lui a demandé le juge.

Après un long silence, Assane lui a rétorqué : ‘’Tant que ‘togne diékhoul, khekh dou diekh. Bala khekh di diot, saga ame ba paré (tant qu’il y a provocation, il y aura toujours bagarre. Avant une bagarre, on passe d’abord par des injures.’’ Ensuite, il a promis au juge Maguette Diop qu’il n’insultera plus personne car, dit-il, il voue un grand respect au magistrat. ‘’Je ne vais jamais accepter que mes enfants tiennent de tels propos’’, a-t-il ajouté.

Assane Diouf : ‘’Moustapha Cissé Lo et Timbo peuvent tenir des propos outrageants impunément et moi, on ne me pardonne rien’’

Revenant sur les délits qui lui sont reprochés, notamment ceux d’outrage à agents et de rébellion, Assane Diouf soutient : ‘’J’ai refusé de leur ouvrir, car ils ne m’ont pas montré leur carte. En plus, ils étaient en tenue civile. Le policier m’a traité de ‘ngaaka’ (ringard) et je lui ai retourné sa remarque. Je ne me suis jamais bagarré avec les flics. Ce sont eux qui m’ont blessé.’’

Sur le fait que, lors de sa première condamnation, le juge lui avait interdit de faire des vidéos, le prévenu justifie son acte : ‘’Je suis resté 9 mois sans faire de live. Mais quand, en pleine période de pandémie, le président de la République a annoncé l’ouverture des écoles sans mesures d’accompagnement, je me suis offusqué et j’ai décidé de montrer mon désaccord à travers cette vidéo.’’

‘’Je voulais dénoncer les conditions de vie des populations, la pénurie d’eau, à cette époque’’, ajoute le comparant.

Interrogé sur le fait de provocation directe à un attroupement armé, Assane Diouf affirme que ses propos ont été travestis. ‘’J’ai bien dit qu’il reste au président Macky Sall trois ans et six mois à la tête du pays. Ce délai passé, s’il confisque le pouvoir, Ô jeunes, investissez les rues, armez-vous de machettes et de pilons et découpez-le en trois parties et mettez-les dans trois tombes… C’est ce que j’ai dit’’, a-t-il avoué.

Ne cachant pas son amertume quant au traitement qui lui est à chaque fois réservé, il fulmine : ‘’Les sévices et les accusations calomnieuses que j’ai subies sont plus graves que les insultes que j’ai proférées.  Moustapha Cissé Lo et Timbo peuvent tenir des propos outrageants impunément et moi, on ne me pardonne rien. J’ai cinq enfants à nourrir. On m’a arrêté aux Etats-Unis comme un terroriste.’’

En dehors de l’étiquette qui lui est collé, Assane Diouf a voulu montrer une autre facette de lui à la barre. ‘’Mes propos injurieux ne reflètent pas mes actes. Grâce à moi, l’école qui se trouve dans ma localité a un portail et des fenêtres. J’ai tout fait pour que les élèves ne manquent pas d’eau. J’œuvre aussi pour ma communauté’’, s’est-il vanté.

Le parquet requiert 2 ans dont 8 mois ferme et demande au tribunal de siffler la fin de la récréation

Prenant la parole pour faire ses réquisitions, la représentante du ministère public a dénoncé l’attitude du prévenu qui n’épargne aucune autorité. ‘’Il fait des vidéos où il insulte les gens, prétextant qu’il défend la cause des populations. Personne n’échappe à ses insanités. Cette fois-ci, il est monté d’un cran. Il a appelé les jeunes à s’armer et à attaquer les institutions. La vidéo a été faite le 30 mai 2020. C’est suite à cela qu’il a été arrêté’’, a relevé le substitut du procureur de la République. ‘’Il a outragé les agents de police lors de son arrestation. Et il s’est opposé à son arrestation. Face à son refus, ils ont dû recourir à la force. Il a traité les forces de l’ordre de ‘ngaaka’. Pour se dédouaner, il dit que les policiers ne se sont pas présentés. Les policiers étaient en civile, mais ils ont protégé leur visage, car il faisait un live. Il a voulu se donner en spectacle’’, a souligné le maitre des poursuites pour démontrer que les chefs d’outrage à agents et de rébellion sont constants.

Pour ce qui est de la provocation directe à un attroupement, le parquet reste convaincu que ce délit est également incontestable. ‘’Dans ce pays, il y a des individus qui donnent de l’importance à ce genre de personnes. Ils apprennent à nos enfants l’indécence…  Ces individus sont des dangers pour la stabilité sociale. Pour certains, c’est drôle, mais pour les gens qu’il insulte, ce n’est pas drôle. Ces agissements ne doivent pas prospérer. C’est le moment Monsieur le Président, de mettre un terme à la récréation’’, a martelé la représentante du ministère public qui a requis, après confusion des peines, 2 ans de prison dont 8 mois ferme.

La défense sollicite la relaxe pure et simple d’Assane Diouf

Maitres Seydou Diagne, Ndèye Fatou Sarr et Ciré Clédor Ly ont, de leur côté, sollicité la relaxe pure et simple de leur client. ‘’Je ne comprends pas, en tant qu’acteur de la justice, la politique criminelle que l’Etat met en œuvre. Pourquoi Demberou Sow n’est pas poursuivi par le parquet, alors que des citoyens ont déposé plainte contre lui ?’’, s’est désolé Me Seydou Diagne. ‘’Je ne comprends pas le réquisitoire du parquet et comment il met en œuvre sa politique criminelle. Pourquoi il ne poursuit pas le député qui appelle à une provocation armée ? Mon client est poursuivi, parce qu’il n’est pas dans le régime de Macky Sall’’, a-t-il ajouté.

Persistant sur la non-articulation du délit de provocation directe à un attroupement armé retenu contre leur client, Me Diagne déclare qu’il comprend le stratagème du parquet qui a glissé l’article 250 dans son réquisitoire. Si on juge Assane Diouf dans les dispositions de l’article 95 que le doyen des juges a bien articulé, dans ce cas, la peine est de 3 mois. Et selon l’article 250, la peine est de 1 à 5 ans’’, a noté la robe noire. ‘’On a l’impression qu’Assane Diouf est poursuivi pour injures. La politique n’a pas sa place dans la justice. L’année dernière, une dame a insulté publiquement des Sénégalais sans être inquiétée. Elle a été arrêtée puis relâchée. En tout état de cause, Assane Diouf n’est pas poursuivi pour injures’’, a plaidé Me Ndèye Fatou Sarr.

Maitre Ciré Clédor Ly de renchérir : ‘’La soutenance de l’accusation a été très laborieuse pour des faits dont l’apparence est très simple. Nous avons une procédure qui, dès le départ, est biaisée.’’ Selon Me Ly, rien ne justifie l’exercice de la violence pour procéder à l’arrestation d’une personne. ‘’Le ministère public a dit qu’ils étaient obligés de recourir à la force pour arrêter Assane Diouf. Le chef de la circonscription l’avait contacté pour lui donner rendez-vous. Il y a eu des abus et des excès de pouvoir dans cette affaire, de la part des policiers, du procureur et du juge d’instruction’’, s’est offusqué l’avocat d’Assane Diouf.

Campant sur sa position en ce qui concerne l’article 250, Me Ly clame : ‘’Le procureur de la République et le doyen des juges l’ont déjà condamné et puni. C’est déplorable. On vous dicte ce que vous devez faire. Cela m’inquiète en tant qu’acteur de la justice. Personne n’a le droit de prendre votre place. Mais ils l’ont déjà fait. L’article 250 ne pouvait pas être visé, pour la simple raison que, si vous vous fondez sur ce qui est mentionné sur ces 4 feuilles, vous allez droit à l’erreur.’’

Après avoir demandé une liberté provisoire, Me Ly a annulé sa requête, suite aux observations de la représentante du ministère public qui a estimé que la défense lui a quémandé sa compréhension. ‘’Tantôt on souffle du froid, tantôt on souffle du chaud, dans cette affaire. On nous accuse de tout faire pour mettre Assane Diouf en prison. Au final, on implore notre compréhension pour que le parquet accepte sa demande de mise en liberté provisoire’’, a répliqué le maitre des poursuites qui s’est opposé à la demande de mise en liberté provisoire.  

Après avoir donné acte à la défense de sa renonciation, la chambre a mis l’affaire en délibéré. La décision sera rendue le 28 janvier.

MAGUETTE NDAO

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