Publié le 18 Nov 2020 - 04:49
JEAN-LOUIS CORREA, PROFESSEUR AGREGE DE DROIT, ANALYSTE POLITIQUE

‘’Le choix d’Idrissa Seck est un pari politique’’

 

Professeur agrégé de droit et analyste politique, Jean-Louis Corréa apporte quelques éclairages sur la stratégie du président Sall et ses incidences sur l’opposition. Pour lui, il y a, de plus en plus, une bipolarisation du champ politique, avec, d’une part, les conservateurs (partisans du système) ; d’autre part, les forces du changement (les antisystèmes).

 

Macky Sall vient de se séparer de quelques-uns de ses proches, mais en pêchant de grands noms de l'opposition. A la lumière de ces mesures, avez-vous l'impression que les choses se clarifient ou non en direction de la présidentielle de 2024 ?

Pour moi, les choses sont claires. Il y a, aujourd’hui, une bipolarisation de l’espace politique. D’une part, il y a ceux qui sont avec Macky. D’autre part, ceux qui sont avec Sonko. Macky a réussi à avoir avec lui le deuxième à la dernière Présidentielle. Pour moi, c’est un coup de maitre. Moi, j’ai pensé à tous les coups, mais pas à celui-là. Pour moi, Macky est dans la logique du troisième mandat, mais pas pour lui. J’ai l’impression qu’il est en train de préparer son départ dans les meilleures conditions. Il sait que si quelqu’un comme Ousmane Sonko prend le pouvoir, il aura du mal à justifier certaines dépenses, certains choix, entre autres. Il a aussi besoin de garantir le sort de ses proches qui ont été mêlés à la gestion du pouvoir. Qui peut le lui garantir ? Pour moi, il n’y a personne de mieux placé qu’Idrissa Seck.

Mais comment Macky, qui ne fait pas confiance à ses proches, pourrait-il faire confiance à Idrissa Seck ? Ce dernier est-il fiable ?

En fait, c’est un pari politique. Le pari, c’est de prendre des risques avec Idrissa Seck, en cheminant avec lui, en se renforçant. Mais le risque, c’est qu’il peut toujours y avoir un retournement de situation. En fait, celui qui décide en dernier ressort, ce n’est même pas Macky Sall, pas Idrissa Seck. Ce sera le peuple. Si le peuple exige la reddition de comptes, il n’est pas exclu qu’Idrissa Seck, si jamais il triomphe, puisse lâcher Macky. Mais Macky en avait besoin pour se fortifier. Ce qui intéresse le président, c’est combien pèse la personne. Et qu’on le veuille ou non, Idy pèse quelque chose. La seule mesure valable aujourd’hui, c’est l’élection présidentielle. Il ne peut donc se fier qu’à cela.

Quel sort, maintenant, pour les autres leaders de l’opposition ?

Pour moi, la grande donne, c’est Ousmane Sonko. Khalifa aurait pu peser sur la balance, mais il est un peu en retard, à cause de son hibernation. Il n’a pas su capitaliser la sympathie des électeurs dans Dakar et un peu partout. On peut en dire autant pour ceux qui viennent de quitter le camp du pouvoir. Ousmane Sonko est un peu en avance sur tous les autres. Si on regarde de près le landerneau politique, il y a Macky Sall et ses alliés. En face, il y a Ousmane Sonko. Et au milieu, il y a Abdoulaye Wade, son fils et leurs souteneurs. Et à côté, il y a ceux qui flottent, qui ne sont pas encore sortis de l’APR.

C’est pourquoi je dis qu’on est dans une bipolarisation, un face-à-face. Maintenant, le grand challenge, c’est est-ce que Ousmane Sonko sera en mesure de continuer de se battre et de construire son parti pour faire face au camp du pouvoir, qui est quand même très fort ?

Jusque-là, l’électorat de Sonko est constitué essentiellement de l’élite est d’une partie de la jeunesse. Ne faudrait-il pas varier un peu son discours pour capter de nouveaux électeurs ?

C’est un peu ce que je traite la ‘’sonkoisation’’ des esprits. C’est ce que je peux appeler les ‘’digital native’’. Ce sont des gens qui ont l’habitude des groupes WhatsApp. En fait, c’est la génération du like. Soit tu es avec eux, soit tu es contre eux. Les gens leur reprochent souvent d’être discourtois, trop radicaux, mais c’est leur génération. Sonko doit d’abord s’appuyer sur ce vivier qui lui est déjà favorable pour aller à ce que j’appelle le camp des conservateurs (ceux qui sont favorables au maintien du système). Le grand défi pour Sonko, c’est de retourner sur le terrain pour attirer de nouveaux électeurs.

Puisqu’en ce moment, si on fait de l’arithmétique simple, le camp d’en face (les conservateurs) est beaucoup plus fort que l’autre (les forces du changement). Maintenant, la vérité des urnes peut être autre. C’est un vieux Sénégal contre un nouveau qui s’affronte. J’aurais été de son camp, je lui aurais proposé d’aller voir tous les leaders qui sont là pour constituer une coalition qui fasse rêver le Sénégal. Il faut juste leur vendre le message qu’ils peuvent constituer une véritable alternative au camp d’en face. Je serais allé voir les Abdoul Mbaye, Mimi Touré, Amadou Ba, même Khalifa Sall et ce qui reste du PDS. Parce que quoi qu’on puisse dire, ils sont en retard. Le PDS n’a pas le choix, à mon avis. Macky est resté intraitable sur la seule question qui vaille pour eux. Et Karim a également été récalcitrant au dialogue, alors que c’est une des conditions pour que Macky desserre l’étau. Ce qui leur reste est donc de miser sur le meilleur cheval pour abattre leur adversaire commun. Et je pense que celui-là, c’est Ousmane Sonko.  

M. AMAR 

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