Publié le 6 Feb 2021 - 00:26
JOURNÉE MONDIALE DU CANCER

Les spécialistes tirent la sonnette d’alarme

 

A cause de la pandémie de Covid-19, il y a moins de dépistages du cancer, moins de diagnostics, moins d’argent pour suivre son traitement, plus de consommation d’alcool et de tabac dans certains pays… Autant de signaux qui poussent spécialistes et cancéreux à tirer la sonnette d’alarme.

 

Une des premières causes de mortalité dans le monde, le cancer fait partie des nombreuses victimes collatérales du coronavirus. A cause de la pandémie, il y a moins de dépistages, moins de diagnostics, moins de traitement… Ce qui risque, si l’on en croit le cancérologue Dr Abdoul Aziz Kassé, de générer des conséquences fâcheuses à l’avenir. Il déclare : ‘’D’abord, il faut savoir que le cancer n’est pas une maladie qui, spontanément, va régresser ou reculer. Ce qu’il faut retenir, c’est que toute situation qui a un impact sur la prévention, le dépistage, le diagnostic, le traitement des malades ainsi que leur suivi va générer un problème dans le futur.’’

Et les études ne manquent pas au spécialiste pour argumenter son propos. D’abord, aux Etats-Unis, au Massachussetts Hospital, ils se sont rendu compte que le nombre de malades dépistés a été divisé par 6, à cause de la pandémie. De plus, cette étude a montré que dans certaines zones, les gens ne travaillant plus, passaient plus de temps à fumer et à boire de l’alcool chez eux. Parmi ces gens, il y en a qui avaient arrêté et qui se sont remis à boire et à fumer ; d’autres qui ont sombré dans l’alcool et le tabagisme, à cause de la perte de leurs occupations.

‘’Or, souligne le spécialiste, il est évident que l’exposition à tous ces cancérigènes va se ressentir dans 15 ou 20 ans. Donc, aussi bien sur le dépistage que sur la prévention, la pandémie aura des effets néfastes. Mais ces effets peuvent ne pas être visibles dans l’immédiat’’.

En ce qui concerne le diagnostic, le mal a surtout été ressenti lors de la première vague, d’après les explications du médecin. Beaucoup de patients qui étaient dans les régions, rapporte-t-il, avaient du mal à venir à Dakar pour se faire consulter. ‘’Et ce sont des gens que l’on soupçonnait d’avoir le cancer, mais qui ne pouvaient venir pendant des mois. Pour ceux d’entre eux qui parvenaient à rallier Dakar, ils avaient du mal à se faire diagnostiquer, parce que les hôpitaux travaillaient au ralenti. Seules les activités Covid marchaient, à l’époque. Donc, les activités de diagnostic et de traitement avaient baissé. Ce qui n’a pas facilité les choses pour les cancéreux’’.  

S’y ajoute, avec la situation de pandémie, les cancéreux eux-mêmes ont parfois peur d’aller à l’hôpital, de peur d’y être infectés par le virus. Pour d’autres, c’est surtout parce qu’ils ont perdu l’essentiel de leurs ressources ; ou bien ceux qui les assistaient dans la prise en charge ont perdu leurs revenus. A en croire le Dr Kassé, certains ont dû arrêter leur traitement à cause de cette situation. C’est une situation très complexe qui mérite d’être prise en charge de façon spécifique.  

Avec la deuxième vague et ses mesures restrictives, la situation reste encore sous contrôle. Mais une peur bleue habite toujours le Dr Kassé et Cie. ‘’Jusque-là, c’est un moindre mal. Il y a juste ces malades qui préféraient venir la nuit, mais qui ne le peuvent plus. Parce que le personnel doit rentrer avant le couvre-feu. Notre plus grande inquiétude, c’est une nouvelle fermeture des frontières. Ce serait la catastrophe. Il en est de même de la fermeture du transport entre régions’’.

Le cancérologue en veut pour preuve les effets néfastes de la première vague sur leur activité. ‘’Nous avons perdu 82 % des patients qui nous venaient de l’étranger et qui constituaient 80 % de notre clientèle. Ce qui correspond à des pertes immenses. Aujourd’hui, on a la trouille, parce qu’on craint d’autres fermetures. Nos recettes avaient donc drastiquement baissé, alors que les charges sont restées presque les mêmes’’.

‘’Plus un cancer est détecté tôt, plus il est guéri efficacement"

Dans la matinale d’Europe 1 d’hier, le généticien Axel Kahn, Président de la Ligue française contre le cancer, expliquait comment ces retards de dépistage et de prévention pourraient avoir un impact sur les morts dues au cancer.

Selon lui, il y a eu un recul de 23 % des diagnostics de cancer en 2020, ce qui veut dire que pratiquement 100 000 cancers n'ont pas été diagnostiqués.

Pour le spécialiste, c’est ‘’un fardeau insupportable" pour les personnes concernées. "Les conséquences en termes de vies perdues sont considérables", prévient-il. Et d’ajouter tout de go : "Il y a des milliers de malades atteints de cancer qui mourront dans les cinq ans de leur cancer parce que, en effet, leur maladie n'a pas été détectée et traitée de manière optimale durant cette période." En fait, souligne le spécialiste, ‘’plus un cancer est détecté tôt, plus il est guéri efficacement".

Ainsi, comme le soulignait le docteur Abdoul Aziz Kassé, lutter contre le cancer, c’est d’abord et avant tout renforcer le dépistage pour une prise en charge précoce de la maladie, renforcer la prévention, en luttant notamment contre certaines pratiques comme le tabac et la consommation d’alcool.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

CANCER EN AFRIQUE

Seuls 30 % des enfants survivent à cette maladie

L’accès au dépistage précoce et au traitement du cancer continue d’être un véritable défi en Afrique, surtout chez les enfants qui constituent la couche la plus vulnérable.

VIVIANE DIATTA

Très dangereux, le cancer est fatal, s’il n’est pas détecté tôt. Beaucoup de décès sont causés par cette maladie dont la prise en charge est très coûteuse. L’Afrique paie le plus lourd tribut de cette pathologie. Selon la directrice régionale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ces vingt dernières années, le nombre de nouveaux cas de cancer a plus que doublé dans la région africaine, passant de 338 000 cas notifiés en 2002 à environ 846 000 cas notifiés en 2020. Dans son massage présenté hier à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre cette maladie, Dre Matshidiso Moeti souligne que les cancers les plus récurrents sont ceux du sein, du col de l’utérus, de la prostate, de l’intestin, du côlon, du rectum et du foie. Les facteurs de risque associés au cancer comprennent le vieillissement et les antécédents familiaux, la consommation de tabac et d’alcool, une alimentation riche en sucre, en sel et en matières grasses, le manque d’exercice physique, le surpoids et l’exposition à certains produits chimiques.

A son avis, dans la plupart des pays africains, les communautés peinent à accéder aux services de dépistage, de détection précoce, de diagnostic et de traitement du cancer. C’est pourquoi, dit-elle, seulement 30 % des enfants africains atteints de cancer survivent à cette maladie, contre 80 % dans les pays à revenu élevé.

En outre, fait-elle savoir, les difficultés liées à l’accès aux soins sont exacerbées pendant des crises telles que la pandémie actuelle de maladie à coronavirus 2019 (Covid-19). ‘’Nous avons tous un rôle à jouer pour réduire la stigmatisation entourant le cancer, pour contribuer à une meilleure compréhension de cette maladie et pour encourager le dépistage et la prise en charge précoces. De toutes les régions de l’OMS, la région africaine est celle qui ploie sous la plus lourde charge de cancer du col de l’utérus’’, dénonce-t-elle.

Pour le Dr Moeti, l’adoption, en 2020, par l’Assemblée mondiale de la Santé de la stratégie mondiale en vue d’accélérer l’élimination du cancer du col de l’utérus en tant que problème de santé publique mondial, revêt donc un intérêt majeur pour les pays africains. C’est pourquoi, souligne-t-elle, dans le cadre de la première phase de mise en œuvre de cette stratégie, la Guinée, le Malawi, l’Ouganda, le Rwanda et la Zambie déploient à plus grande échelle leur programme de lutte contre le cancer du col de l’utérus.

Sur ce, elle précise que l’introduction du vaccin contre le papillomavirus humain doit être intensifiée, afin de prévenir le cancer du col de l’utérus.

Car, à ce jour, 17 États membres de la région ont élargi la vaccination contre le papillomavirus humain à l’ensemble du pays. Il s’agit, renseigne-t-elle, du Rwanda et du Zimbabwe qui ont atteint un taux de couverture vaccinale élevé à l’échelle nationale, grâce à l’action déterminée des pouvoirs publics et des partenaires. Sinon, prévient le Dr Moeti, à l’avenir, la charge croissante du cancer exercera des pressions excessives sur les systèmes de santé qui disposent de ressources limitées, comme sur les patients et leurs familles qui supportent déjà des coûts catastrophiques pour accéder à ces services.

‘’À mesure que les pays orientent leur action vers l’instauration de la couverture sanitaire universelle avec l’appui de l’OMS, la prestation des services de lutte contre le cancer, y compris les soins palliatifs, doit être intégrée dans les ensembles de prestations et dans les régimes d’assurance sociale’’, conseille-t-elle.

Par ailleurs, elle soutient que l’amélioration des services de lutte contre le cancer est tributaire du renforcement des capacités du personnel de santé au niveau des districts de santé. Mais surtout de la mise en œuvre d’un système global de surveillance et de la mobilisation d’investissements en faveur des innovations numériques qui facilitent l’accès aux soins anticancéreux.

A son avis, l’ingérence de l’industrie, par la promotion et la commercialisation de produits connus comme étant cancérigènes, est un défi de plus en plus préoccupant à relever. Déjà, 40 États membres de la région africaine ont ratifié la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac, afin de réduire la consommation de tabac. Vingt États membres ont ratifié le protocole de l’OMS pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac.

MOR AMAR

 

Section: