Publié le 13 Nov 2020 - 01:43
LA POLITIQUE EST-ELLE DONC UN UNIVERS OÙ TOUTES LES PERVERSIONS SONT LÉGITIMES ?

Arrêtons de promouvoir le cynisme et la corruption !

 

« Quand on a la force en main, il n’y a point d’art à faire trembler tout le monde, et il n’y en a pas même beaucoup à gagner les cœurs ; car l’expérience a depuis longtemps appris au peuple à tenir grand compte à ses chefs de tout le mal qu’ils ne lui font pas, et à les adorer quand il n’en est pas haï ». Rousseau

Les faits humains n'obéissent pas à des causalités, à des régularités fixes : ils découlent d'un faisceau d'intentions, de faits objectifs imbriquées dans des subjectivés (des sujets capables de lire et de prendre des décisions au cours des événements qu'ils vivent en temps réel). Le fait qu’un ou plusieurs leaders de l’opposition aient rejoint Macky ne prouve aucune compétence particulière de ce dernier. Quand on a les leviers du pouvoir sans être tempéré par les sentiments de l’honneur et de la justice, on peut réussir tout ce qu’on entreprend. Le vrai leadership politique consiste plutôt à se servir du pouvoir pour sortir son peuple du gouffre.

Je disais à des amis que le problème avec Macky ce n'est pas qu'il soit un génie. Non, c'est que tandis que les vrais Présidents réfléchissent sur les voies et moyens pour développer leur pays, lui consacre toute son énergie à trouver des voies et moyens pour ruser, pour conserver le pouvoir et ce, quel qu’en soit le prix ! Il fait de la petite politique. Aujourd’hui, on prétexte du contexte de pandémie pour justifier l’entrisme comme si le Sénégal était le seul pays victime de cette crise !  Comment comprendre d’ailleurs que ces gens qui avaient snobé le gouvernement de Macky après l’alternance acceptent aujourd’hui sa main tendue pour aller occuper des stations superflues ? N’est-ce pas les mêmes qui nous persuadaient à l’époque que non seulement les caisses de l’Etat étaient vides, mais que le contexte de crise mondiale était alarmant ? De qui se moque-t-on ?

Si la politique doit être évaluée exclusivement en fonction de l’efficacité circonstancielle, pourquoi ne pas prendre les armes pour défaire celui qui a le pouvoir ? Pourquoi devrait-on sanctionner les coups d’Etat ? Comment peut-on créditer Macky d’un quelconque génie alors qu’il a brisé tous les acquis démocratiques ? Depuis quand une femme victime de viole s’occupe-t-elle de la beauté de son violeur ? Comment peut-on dire que ce monsieur a du génie alors qu’il n’a réussi que grâce à la tricherie et à la corruption des élites ?

Le bien le plus précieux d’une démocratie c’est le pluralisme, or Macky ne cesse de le ruiner. Une opposition forte est non seulement un signe de vitalité démocratique, mais aussi un facteur d’émulation. La confrontation des idées, des programmes, des visions est aussi vitale à la société que l’air à l’organisme. L’héroïsme politique, la véritable réussite politique en démocratie, c’est de passer de minorité à majorité sans accepter la compromission. Des concessions il faut en faire, mais jamais sur le dos du peuple. Trop d’opportunisme devient flagrant et handicapant. Et ce que l’on obtient comme don politique on le perd en dignité historique. La politique est un combat, non au sens d’une confrontation violente, mais d’une épreuve de force qui concerne d’abord des idées, des postures, des visions. Ce que l’on gagne dans la compromission est toujours l’équivalent de ce que l’on perd en crédibilité. Or le pouvoir on peut le perdre et le reconquérir ; jamais la crédibilité. Elle est comme la virginité !

Ce qu’on attend d’un génie, aussi bien dans l’art que dans la politique, c’est la capacité à sublimer le laid, le non-sens, le tragique, en chef-d’œuvre. Mandela a vécu les affres de la prison sous l’Apartheid, il a pourtant sublimé sa colère et sa misère en héroïsme pour bâtir une société arc-en-ciel. Sidya Léon Diop (fils de la reine Ndatté Yalla) a été tenté par le diable Faidherbe qui a travaillé à l’aliéner et à le compromettre. Mais le déclic qu’é été le refus du griot Madiartel Dégueune Mbaye de le chanter en public à cause de son costume européen l’a littéralement métamorphosé. Jusqu’à sa mort, il refusa de parler français, il revint à ses valeurs ancestrales. Lii moy jom !

Jerry Rawlings, parlant de sa vision pour le Ghana a dit une phrase qui me semble être l’expression achevée du leadership : « il nous faut faire de sorte que même si le diable venait à gouverner ce pays, qu’il ne lui soit pas possible de faire certaines choses, qu’il ne lui soit pas permis de faire autre chose que ce que le peuple veut ». Toute autre est la résolution de Macky : il s’emploie à inculquer aux jeunes politiciens des réflexes et des attitudes tellement nocives que même si des anges descendaient sur terre pour sauver ce pays, ils n’y parviendraient que difficilement ! Que ceux qui veulent changer ce pays sachent donc que ça ne sera pas une œuvre facile. Car un monstre est déjà abominable, à plus forte raison lorsqu’il étend ses tentacules empoisonnés dans tout le corps social.

Macky n'a appris qu'à ruser depuis qu'il est sur le champ politique. C'est dans les sphères du pouvoir qu'il a noué des « amitiés » solides avec les grands noms de la presse, du moins avec ceux qui étaient les plus visibles. Beaucoup de gens ne savent pas qu’Alioune Fall, Abou Abel Thiam, Mamadou Thiam, etc. ont été des militants actifs de l'APR même s'ils ont pris le soin de ne jamais se présenter comme tels sur les plateaux de télé qu’ils avaient commencé à essaimer à partir de 2008. Et ce n'est pas tout, beaucoup de journalistes visitent le palais à la nuit tombée. Vous voyez pourquoi les moindres fadaises du Prince borgne sont présentées comme des œuvres de génie !

Ces chroniqueurs qui s’étaient légitimement dressés comme sentinelles de la bonne gouvernance face au régime de Wade sont devenus cléments, voire aphones face aux pires dérives de Macky dans ce domaine. Aussi, pour se défaire de la pesanteur du remords, ils désertent le terrain de la bonne gouvernance pour investir celui mouvant de la réalpolitique. Un concept creux créé pour transfigurer le mal en raison d’Etat ; le caprice en nécessité politique ; la roublardise en génie. A défaut de ne pas nous donner un seul exemple de bonne gouvernance où Macky a fait mieux que ses prédécesseurs, ils nous balancent honteusement des sornettes du genre « Macky a le génie politique de… ».

Quand j'entends des chroniqueurs prétendre que Macky est un génie ou qu'il réussit tout ce qu'il veut je comprends à quel point ils font la besogne crasseuse de Macky. Répandre insidieusement dans les consciences qu'il est un géant pour justifier ou encourager une démission collective des citoyens : voilà leur manœuvre. C'est ce que j'appelle la morale politique du rat : il grignote insensiblement tes biens au point de te pousser à les lui céder.

Ces chroniqueurs et journalistes au niveau de vie insolent, accablent l'opposition sous prétexte qu'elle ne s'oppose pas, qu'elle n'occupe pas la rue ou qu’elle ne propose pas. Quelle mauvaise foi ! Et quand l'opposition appelle à des manifestations, ils font un blackout total de l'événement, s'ils ne diffusent pas les messages du camp adverse avec des porteurs de voix payés à la tâche. Quand nos passions et nos intérêts s’emparent de notre jugement, on perd son libre jugement, les choses contre lesquelles on vociférait, il n’y a guère longtemps, sont désormais béatifiées.

La preuve que Macky ne sait que faire de la petite politique est là : le Coronavirus est entré dans ce pays au mois de Mars. Le Sénégal avait le temps de faire de la prospective et d’anticiper sur les impacts économiques de la pandémie avec différents scenarii dès le mois d’Avril. Tous les experts étaient d’accord que le secteur agricole était le seul qui pouvait résister aux contre-coups de la pandémie. C’était par conséquent une opportunité historique pour booster très fortement ce secteur et fixer les ruraux sur place ou même inverser l’exode. Il a préféré s’engluer dans la distribution ostentatoire d’argent et de vivre comme à son habitude.

Pour dire encore un mot sur les transhumants, je dois concéder que je ne crois pas à la mort politique d’un homme politique, du moins tant qu’il est en vie. Mais il y a des blessures handicapantes ; et le propre d’un handicap, c’est de ralentir la marche vers le pouvoir ou de la souiller. « doxin wu niaaw taxuta bonn waye dina taxa làmb »

Alassane K. KITANE

 

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