Publié le 9 May 2025 - 12:34
Mali

Le rassemblement du 9 mai sous haute tension

 

À la veille d’un rassemblement annoncé pour ce 9 mai à Bamako, les autorités maliennes haussent le ton. Dans un climat de plus en plus tendu, la junte au pouvoir a suspendu toutes les activités politiques, suscitant l’inquiétude des défenseurs des droits humains et la colère de l’opposition. Derrière l’argument de l’ordre public, certains voient une manœuvre d’étouffement du pluralisme politique et un verrouillage de la transition.

 

‘’Le rassemblement n'aura jamais lieu. Si vous sortez, il faudra marcher sur nos cadavres’’. La menace est signée Moulaye Keita, membre influent du Conseil national de transition (CNT) et soutien inconditionnel de la junte au pouvoir, rapporte RFI. Le ton est donné et il est glaçant.

Quelques jours avant la manifestation prévue par les partis politiques d’opposition le 9 mai à Bamako, l’atmosphère politique malienne est électrique. Mamari Biton Coulibaly, autre membre du CNT, surenchérit : ‘’Seuls ceux qui viendront avec femmes et enfants seront épargnés.’’ Filmé au palais de la Culture entouré d'hommes visiblement prêts à en découdre, il a publiquement promis d'empêcher la tenue de tout rassemblement hostile à la transition.

Dans ce climat de menaces explicites, la transition malienne, dirigée par le général Assimi Goïta, a décidé, le mercredi 7 mai, de suspendre, "jusqu'à nouvel ordre", toutes les activités des partis politiques et des associations à caractère politique sur l'ensemble du territoire. Motif invoqué : "L'ordre public."

Cette décision survient à la veille d'une mobilisation de l'opposition contre un projet de loi controversé, récemment adopté en Conseil des ministres, qui réforme en profondeur le paysage politique malien. Derrière la rhétorique officielle de "rationalisation", l'opposition dénonce un texte liberticide qui sonne le glas du pluralisme. Il abroge la Charte des partis politiques de 2005, le Statut de l’opposition de 2015, supprime le financement public et introduit une caution de 100 millions F CFA pour créer un parti politique.

Pour les détracteurs de la transition, il s'agit ni plus ni moins d’un "suffrage censitaire" qui exclut les forces démocratiques du jeu politique.

Mais l’inquiétude de l’opposition ne s’arrête pas à la réforme de la vie politique. Le projet ouvre la voie à un mandat présidentiel de cinq ans renouvelable pour le général Assimi Goïta, rejoignant ainsi le modèle de ses homologues du Burkina Faso et du Niger membres de la Confédération des Etats du Sahel (AES). Une perspective que l’opposition perçoit comme une dérive autoritaire dissimulée sous une légalité de circonstance.

Depuis plusieurs mois, les forces politiques opposées à la transition exigent un retour rapide à l’ordre constitutionnel, la libération des détenus d’opinion et le retour sans condition des exilés politiques. Le calendrier initial de la transition, qui prévoyait une fin au 31 décembre 2025, semble s’effacer derrière les manœuvres d’éternisation du pouvoir militaire.

Face à la montée des tensions, plusieurs leaders politiques avaient déjà renoncé à leur rassemblement prévu le week-end dernier, pour "ne pas être tenu pour responsables" d'éventuelles violences.

Pourtant, des accrochages ont éclaté à Bamako, notamment au palais de la Culture et à la maison de la Presse. Les autorités ont rapidement présenté ces événements comme des "réactions spontanées" de jeunes citoyens défendant la stabilité du pays.

L’opposition, elle, parle de "nervis" à la solde de la transition. Selon plusieurs témoignages, des chargés de mission de la primature – actuels et anciens – auraient participé à ces actions de terrain pour intimider les opposants. La police, elle, a appelé les manifestants à renoncer pour "préserver la quiétude".

Le climat s’est encore alourdi avec la déclaration du parquet général promettant des poursuites contre "tout individu malintentionné" appelant à la haine ou troublant l’ordre public. Une menace adressée, selon le procureur Hamadoun "Balobo" Guindo, à "tous les camps".

Pourtant, aucun responsable de la transition n’a publiquement réagi à cette montée de la contestation, la plus importante depuis le coup d’État d’août 2020.

Kadidia Fofana, responsable des Forces vives de la diaspora et du mouvement d'opposition Tous concernés, dénonce une stratégie claire : "Les appels à la violence ne sont pas seulement tolérés, ils sont entretenus et instrumentalisés par les autorités de transition." Pour elle, la transition a divisé les Maliens entre "apatrides" et "patriotes", un climat propice à une guerre civile larvée.

Malgré tout, les partis politiques ont maintenu leur appel au rassemblement du 9 mai. Un pari risqué, dans un pays où les lignes rouges se multiplient et où l’expression d’une opinion dissidente devient un acte de bravoure. La suite des événements dira si le Mali reste encore un espace de débat politique ou s’il glisse irrémédiablement vers un autoritarisme assumé.

Stratégies de contournement et montée en puissance de la société civile

Face à l’interdiction formelle de toute activité politique, plusieurs partis et collectifs citoyens envisagent des moyens détournés pour maintenir la mobilisation. Des rassemblements symboliques dans les lieux de culte, des concerts engagés ou encore des sit-in silencieux sont à l’étude. Objectif : contourner la répression sans provoquer directement les forces de l’ordre.

Des responsables politiques ont par ailleurs annoncé qu’ils participeront au rassemblement du 9 mai 2025 non pas en tant que représentants de parti, mais comme citoyens ‘’préoccupés par l’avenir du Mali’’. Cette requalification discursive vise à déjouer les sanctions juridiques tout en affirmant un droit fondamental à l’expression publique.

Les associations professionnelles et les syndicats, longtemps silencieux, commencent également à prendre position. Des avocats, des journalistes, mais aussi des enseignants et des médecins ont dénoncé dans des tribunes la ‘’confiscation de la démocratie’’ par les militaires. Le Syndicat autonome de la magistrature (SAM) a exprimé son inquiétude quant à l’instrumentalisation de la justice et a appelé à une ‘’stricte neutralité’’ dans le traitement des manifestations.

Dans les réseaux sociaux, des mots-clés comme #MaliDébat, #DroitDeManifester ou #TransitionSansFin rencontrent un large écho. La diaspora, particulièrement mobilisée, annonce des rassemblements de soutien à Paris, à New York, à Montréal et à Dakar. L’objectif est de faire pression sur les institutions internationales et de montrer que la voix de la société civile malienne reste vivante, malgré les entraves.

Enfin, plusieurs organisations de défense des droits humains, nationales et internationales, ont été saisies pour documenter les violations potentielles du droit de réunion pacifique. Amnesty International, Human Rights Watch et la FIDH ont toutes alerté sur un ‘’climat d’intimidation systémique’’ à l’encontre des voix dissidentes au Mali. Le Conseil des Droits de l’homme de l’ONU pourrait être amené à se prononcer sur une mission spéciale dans les prochaines semaines.

Dans ce contexte d’étau politique, la société civile apparaît comme l’ultime espace de résistance. Si les partis politiques sont muselés, si la presse est sous pression, alors ce sont les citoyens, les artistes, les religieux et les intellectuels qui prennent le relais. Une dynamique fragile, mais résolue, qui pourrait bien redessiner les contours de la contestation dans le Mali d’aujourd’hui.

L'alerte de l’ONU et les tensions géopolitiques croissantes

Au moment où le Mali se prépare à vivre une journée décisive sous haute tension, les condamnations internationales pleuvent. Ce jeudi 8 mai 2025, trois experts indépendants des Nations Unies ont appelé à l’abrogation immédiate du décret présidentiel suspendant les activités politiques. Dans un communiqué commun, ils dénoncent une ‘’violation grave des droits fondamentaux’’ et expriment leur vive préoccupation quant à la dérive autoritaire du régime de transition.

Le rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des Droits de l’homme au Mali ainsi que ses collègues chargés de la liberté d’expression et du droit de réunion pacifique ont rappelé que ‘’le droit à la participation politique est une liberté fondamentale garantie par les textes internationaux’’. En suspendant les partis politiques et en envisageant leur dissolution de facto par un nouveau projet de loi, le gouvernement malien viole ses engagements internationaux, affirment-ils.

Ces experts n’agissent pas au nom de l’ONU, mais sont mandatés par le Conseil des Droits de l’homme pour surveiller et alerter sur les dérives institutionnelles. Ils estiment que le texte en question – fruit des concertations nationales d’avril – constitue un retour en arrière majeur pour les libertés démocratiques. La caution de 100 millions F CFA exigée pour créer un parti est qualifiée de ‘’barrière économique injustifiable’’, qui exclurait de fait les couches populaires et les jeunes.

Le rejet par les experts onusiens de l’argument gouvernemental selon lequel ces réformes seraient issues d’un dialogue national jette une lumière crue sur la perception internationale de la transition. D’autant plus que la junte malienne se heurte déjà à une détérioration de ses relations diplomatiques avec plusieurs partenaires historiques.

L’Algérie, médiateur historique dans la crise malienne et parrain de l’Accord d’Alger de 2015, a récemment accusé Bamako de manquer à ses engagements. Le retrait progressif du Mali de certains cadres multilatéraux, notamment du G5 Sahel, et la mise à l’écart des acteurs politiques du Nord ont contribué à refroidir les relations. Cette crispation avec Alger, au moment même où le nord du pays reste instable, complique davantage la posture diplomatique malienne.

Quant à la CEDEAO, autrefois moteur de pression sur la transition, elle semble aujourd’hui marginalisée. Depuis la création de la Confédération des États du Sahel (AES) en septembre 2023, regroupant le Mali, le Burkina Faso et le Niger, les trois pays ont progressivement tourné le dos à la logique d’intégration ouest-africaine. Le rejet de la médiation de la CEDEAO, conjugué à l’adoption de réformes politiques unilatérales, contribue à isoler davantage Bamako sur la scène régionale.

Dans ce contexte géopolitique tendu, l’avertissement de l’ONU apparaît comme un signal fort à destination non seulement du pouvoir malien, mais aussi de ses voisins et partenaires internationaux.
Si le rassemblement du 9 mai devait dégénérer, la responsabilité des autorités de la transition serait largement pointée du doigt.

Le Mali joue ainsi une partie à haut risque : en verrouillant l’espace politique intérieur, le régime tente d’assurer sa pérennité. Mais ce faisant, il risque de rompre avec les derniers garde-fous diplomatiques qui le relient encore à la légalité internationale.

Plus que jamais, l’avenir politique du Mali semble suspendu entre autoritarisme assumé et résistance citoyenne. Alors que les lignes de fracture se creusent au sein du pays et que les signaux d’alerte se multiplient à l’international, le rassemblement du 9 mai pourrait marquer un tournant : ultime sursaut démocratique ou prélude à une répression durable. À Bamako comme ailleurs, les regards sont tournés vers la rue.

Amadou Camara Gueye

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