Publié le 27 Mar 2012 - 10:00
MEÏSSA MBAYE - CHANTEUR ET ACTEUR CULTUREL

''A l'État de réguler la diversité sénégalaise''

 

Acteur culturel original dans son approche, Meïssa Mbaye a choisi de chanter un peu contre l'avis de sa mère plus attachée aux études. Il va allier les deux en allant, après un baccalauréat littéraire dans les années 1980, en France suivre des études en administration économique et sociale, puis en médiation culturelle à la Sorbonne, sanctionnées d'une maîtrise. Ses racines griottes sont sauves. Dans cet entretien à EnQuête, Meïssa Mbaye promeut la diversité culturelle sénégalaise, gage, selon lui, du développement de l'industrie du secteur. Il retrace en outre son parcours et analyse l’environnement culturel national.

 

 

Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

 

Je suis artiste chanteur compositeur. J’ai monté entre 1987 et 1988 le groupe Kunta Kinté avec des amis sénégalais en France et mon frère Amadou Mbaye et Séga Seck. Le groupe était basé à Montpellier ; il a sorti six albums internationaux. Après le groupe Kunta Kinté, je suis monté sur Paris où j’ai poursuivi une carrière solo. J’ai sorti trois albums en France. L’avant-dernier est consacré aux écrits de Senghor ''Entre Seine et Sine''. J’ai continué mon travail artistique autour de la renaissance de poètes de Harlem, ''Back to Africa'' qui devait sortir depuis 2008. Je suis rentré cette année et l’album est mis en stand by avec ma maison de disque. On va le sortir finalement à la rentrée prochaine. J’ai aussi monté un festival en 1992 dans un village non loin de Montpellier dénommé Marcia ; j'en étais le directeur artistique. L’idée était de montrer le patrimoine culturel africain. Ces activités venaient compléter celles artistiques que je menais. J’ai aussi été professeur. J’ai appris le chant classique au conservatoire. J’ai beaucoup enseigné les techniques du chant africain en France, aux USA et un peu partout en Europe. C’est un peu cela ma spécialité.

 

 

Êtes-vous rentré en 2008 avec des projets dans vos bagages ?

 

Oui, je suis venu avec un projet. Je voulais construire un espace culturel qui promeut les musiques traditionnelles, la poésie et le conte et qui serait en même temps un lieu multiculturel. Il devait allier la diffusion culturelle à la formation. C’est ainsi que je définirais l’espace qui s’appelle ''Keur Meïssa'' et ce n’est pas par vantardise que je l’ai ainsi nommé. En fait, le premier projet que j’avais en rentrant au Sénégal est beaucoup plus ambitieux, il était question d’acquérir un terrain, de construire des studios de répétition, d’enregistrement, une école de formation, etc. Un projet vraiment très ambitieux qui a été déposé dans le cadre du FPE (Fonds de promotion économique). On a eu l’onction du FPE, mais malgré toutes les garanties reçues, on n’a trouvé aucune banque qui pouvait nous accompagner. C’est ce projet qui est aujourd’hui redimensionné en ''Keur Meïssa''. C’est une maison où je reçois des artistes, c’est aussi un souvenir de mon enfance. Je suis né à Fann Hock dans une concession. Mon père était un commerçant assez aisé. Chez moi, chaque soir, il y avait différents spectacles et mes oncles y allaient de leurs talents divers.

 

 

Le fait de n’avoir pas trouvé de banque pour financer votre projet ''très ambitieux'' ne prouverait-il pas que l'entreprise culturelle au Sénégal est hasardeuse et peu porteuse ?

 

Ça c’est clair. Les industries culturelles sont au stade de balbutiement, ici. C’est ça qui, à mon avis, est très dommageable. D’ailleurs, j’ai fait dans ce sens une contribution dans les médias que j’ai titrée : ''Un plan Marshall pour l’industrie culturelle au Sénégal''. Pour étayer mon analyse, je reviens sur une hypothèse très économique : (Ali El) Kenz dit que quand on a l’avantage comparatif de produire un bien, il faut se spécialiser dans la production de ce bien et après échanger. Nous, en Afrique, nous avons l’avantage comparatif de produire des biens culturels. Donc, aujourd’hui, Hollywood devrait être ici tout comme les grandes maisons de disque et autres. Or, tout cela se trouve dans le nord où la culture n’est pas tangible, n’est pas durable. Les industries culturelles sont des parents pauvres dans notre pays. Ce qui fait que même le ministère qui a en charge le secteur de la culture a un petit budget. Il y a tout à faire évoluer et comprendre que ces industries culturelles sont pourvoyeuses d’emplois et de revenus pouvant participer à l’enrichissement national. Les banques sont les reflets de ces difficultés-là. La seule banque qui suit, c’est la BRS (Banque régionale de solidarité). Il y a même un cautionnement des industries culturelles de Lomé (au Togo) qui travaille avec cette banque.

 

 

Quel regard portez-vous sur le monde de la culture au Sénégal ?

 

C’est une question très pertinente. Je suis très partagé. Je trouve que c’est un milieu très complexe. C’est-à-dire que je remarque qu’il y a énormément de créateurs. On compte beaucoup aussi de talents chez les musiciens, j’en reçois beaucoup. Mais, la diversité culturelle ne joue pas. J’organise des concerts de musiciens diolas à ''Keur Meïssa'', on a passé des moments fabuleux, ici, avec Omar Badji. Cependant, quand il joue, ici, il y a plus de ''toubabs'' que de Sénégalais. Le format qu’on écoute souvent au Sénégal et phagocyté par les radios, c’est le mbalax. Il y a vraiment une lutte à faire pour que toutes les musiques issues de nos différentes cultures puissent s’exprimer. Et c’est à l’État de le faire. Je crois toujours au rôle régulateur de l’État. Je vous donne un exemple, il y a la fameuse loi des 50% en France ; on exige aux radios de faire passer 50% des chansons françaises. Si on faisait pareil en demandant aux radios de faire passer 50% des chansons issues de nos diversités culturelles nationales, cela aiderait à promouvoir le secteur. Moi, en tant que producteur, je serais plus enclin à produire un bassari compte tenu du retour sur financement. Mécaniquement, si l’État prenait sa place en instaurant ce quota-là, la diversité nationale serait mieux exploitée. C’est important et pas que dans la musique, mais dans tous les secteurs de la culture. Les jeunes manquent de lieux d’expression ; je suis pour la création de studios d’enregistrement et de répétition gérés par le ministère de la Culture pour accueillir de jeunes talents. Je suis même pour la création d’une banque dédiée aux industries culturelles. On n’y ferait même pas des prêts mais des avances sur remboursement des projets. Je pense aussi que pour l’exportation de notre culture, il faut des bureaux export de la culture sénégalaise. Les ambassades aussi doivent jouer leurs rôles dans l’essor de notre culture. A l’instar de la France, le Sénégal doit avoir son institut culturel sénégalais dans les grands pays du monde. Il y a, en outre, le constat de la piraterie. Il faut des solutions mécaniques pour cela.

 

 

Comment appréciez-vous la gestion des infrastructures mises en place par l’État ?

 

En ce qui concerne le monument de la Renaissance africaine, j’étais partagé au début. On peut dire qu’on est un pays pauvre, qu'il y a des priorités. Mais il faut dire que c’est un investissement qui peut être rentable dans la mesure où ça s’inscrit dans une approche de grands travaux. Nécessairement, ça peut booster l’économie du tourisme culturel. Par contre, le Grand Théâtre conçu par les Chinois a un problème de contenu. Cela montre qu’à la base, l’État n’a pas identifié les acteurs. Cet outil devait être celui des acteurs. C’est toujours le gap entre le fonctionnaire qui est au ministère de la Culture qui écrit le projet et les acteurs que nous sommes. C’est pour cela, d’ailleurs, que ces projets n’ont pas toujours l’adhésion des acteurs.

 

 

Vous faites beaucoup dans la promotion des musiques traditionnelles. Pourquoi ce choix ?

 

J’ai la chance d’être artiste et d’avoir pratiquement fait le tour du monde. Je peux vous jurer que quand je joue à Londres, par exemple, et que j’invite le joueur de ''xalam'', les Occidentaux viennent vers nous. Je lance d’abord un message aux jeunes, je les vois jouer de plus en plus l’acoustique. S’ils veulent réussir sur le plan international, il faut qu’ils soient eux-mêmes. Je n’ai jamais vu un jeune prendre une guitare, bien la jouer et bien chanter. Ils ne veulent pas prendre une ''kora'', un ''riti'' ou un ''toukourou'' et jouer. Il y a lieu de démocratiser la pratique instrumentale, qu’elle sorte de la caste, qu’elle sorte aussi du genre. Il y a peu de femmes qui utilisent les instruments. Comme disait Ali Farka Touré aux Américains : ''Moi j’ai la racine du blues, vous, vous avez les feuilles''. Ce n’est donc pas parce les jeunes singent l’autre qu’il va les accepter, il ne les acceptera que dans leur différence.

 

 

Quel est le chantier culturel le plus urgent auquel doit s’atteler le prochain locataire du Palais ?

 

Il faut faire des états généraux de la culture au Sénégal. Il faut faire une analyse des plus détaillées de la culture. Il faut se rapprocher des acteurs afin qu’ils définissent eux-mêmes leurs propres chantiers. Des personnes passionnées et qui ont une expertise, il y en a dans ce secteur.

 

BIGUÉ BOB

 

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