Publié le 25 Nov 2021 - 20:49
NOUVEAU VIRAGE DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

Macky Sall va ramener le poste de Premier ministre

 

En Conseil des ministres hier, le chef de l’Etat a annoncé son intention de redonner au gouvernement un chef.

 

Une nouvelle fois, le président de la République a surpris son monde. Comme lors de ce début avril 2016, deux jours après sa prestation de serment, suite à sa reconduction à la tête du Sénégal pour cinq ans, Macky Sall avait alors décidé de supprimer le poste de Premier ministre du Sénégal.

Deux années et huit mois plus tard, le chef de l’Etat vient de faire adopter hier, en Conseil des ministres, un projet de loi portant révision de la Constitution en vue de l’instauration du poste de Premier ministre. Une ‘’restauration qui vient ainsi adapter l’organisation du pouvoir Exécutif à un nouvel environnement économique et socio-politique’’, justifie le communiqué du Conseil des ministres.

En annonçant à l’improviste la suppression du poste qu’il occupait, Mahammed Boun Abdallah Dionne justifiait ce changement, notamment par la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans, entérinée par la révision constitutionnelle du 20 mars 2016. D’ailleurs, le projet de loi visant la modification de la Constitution à cet effet, précisait, dans l’exposé des motifs, que le président de la République disposait ‘’d’un temps plus court pour mettre en œuvre les politiques publiques’’ et en supprimant ‘’le niveau intermédiaire du Premier ministre’’, ‘’la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation des politiques publiques n’en seront que plus bénéfiques et la célérité garantie’’.  

Le ‘’Fast-Track’’ aux oubliettes ?

Lors de son discours d'investiture du 2 avril 2019, le président nouvellement réélu s’inscrivait déjà dans cette logique, en laissant entendre qu’au Sénégal, il y avait ‘’trop de routine, trop de lenteur, trop de procédures et de formalités indues qui continuent d'altérer l'efficacité de l'Administration publique. J'ai la ferme intention d'inscrire toutes les actions de l'Etat en mode Fast-Track’’. Cet anglicisme est même devenu un ‘’refrain’’ pour tous les débatteurs du gouvernement chargés de défendre l’action du président de la République.

Mais depuis l’application de cette suppression du poste de Premier ministre, pas grand-chose n’a été accéléré dans les grands projets de l’Etat. Le Train Express régional (TER), le Bus Transit Rapid (BRT), le port de Ndayane, l’université Amadou Mahtar Mbow, entre autres, n’ont toujours pas vu le jour. Les élections locales ont pris deux ans et demi de retard, si elles se tiennent en janvier 2022. Mais il y a l’influence non-négligeable de la pandémie de coronavirus qui est passée par là, depuis mars 2020.

Cette dernière, qui sévit toujours dans le pays, est sûrement à l’origine de la nouvelle situation économique invoquée par le chef de l’Etat pour justifier le retour du poste de Premier ministre.  Selon l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), en 2020, 24,7 % des entreprises sénégalaises ont fait face à un arrêt momentané de leurs activités.

Au plan socio-politique, la crise de mars 2021 a fini d’installer un climat de méfiance entre l’opposition et le pouvoir en place. Les tensions ont nécessité l’intervention des chefs religieux pour le retour d’un climat social plus apaisé.

Toutefois, à deux mois de la tenue des élections départementales et municipales du 23 janvier 2022, la violence a déjà pointé le bout du nez dans la sphère politique. Avec le rejet de plusieurs listes de l’opposition et les recours introduits par certains préfets sur instruction du ministère de l’Intérieur, la situation est loin d’un apaisement.

Réduire l’exposition du président de la République

Au plan politique, le retour d’un Premier ministre pose beaucoup de questions. Qu’est-ce qui motive ce changement de cap du président de la République, à deux mois des élections locales ? Macky Sall cherche-t-il un intermédiaire entre lui et l’opposition, lui qui est la cible directe de tous ses adversaires ? Allant vers des Locales et surtout des Législatives de tous les dangers en 2022, Macky Sall souhaite peut-être s’affranchir de plusieurs des attributions initialement dévolues au Premier ministre ou à son gouvernement.

En l’état actuel, le président de la République est détenteur du pouvoir réglementaire et dispose de l’Administration. S’il perd sa grande majorité aux prochaines élections législatives, il s’expose à une situation inédite de cohabitation entre l’Exécutif et le parlementaire. Surtout face à une opposition aussi radicale que celle incarnée par Ousmane Sonko et la nouvelle vague.

De ce fait, la modification ayant mené à la suppression du poste de Premier ministre va également enlever certaines dispositions consacrant l’équilibre entre les pouvoirs Législatif et Exécutif de l’actuelle Constitution. Le gouvernement n’est plus responsable devant l’Assemblée (abolition du vote de confiance et de la motion de censure) et, à l’inverse, le président de la République ne dispose plus du droit de dissoudre celle-ci. C’est ainsi que le communiqué des ministres a précisé que la restauration du poste de Premier ministre ‘’s’accompagne d’une nécessaire requalification des rapports entre l’Exécutif et le Législatif, notamment la réintroduction de la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale et le pouvoir de dissolution de celle-ci dévolu au président de la République’’.

Qui sera le nouveau Premier ministre ?

Une autre question essentielle : qui sera le nouveau Premier ministre ? Homme de confiance du président de la République, Mahammed Boun Abdallah Dionne est celui qui a le plus duré à ce poste sous Macky Sall. Il a même dirigé le projet de suppression de son propre poste. Depuis, il s’est surtout fait remarquer par la discrétion dans les fonctions de Ministre d'État, Secrétaire général de la Présidence de la République.

Après son rapprochement avec le chef de l’Etat, un Idrissa Seck tiendrait-il la corde ?

C’est au sein de son propre bord politique que le président Macky Sall risque de faire des émules. Cette décision est un véritable ballon de sonde politique envoyé à ses partisans. Plusieurs profils se sont dégagés pour incarner un éventuel n°2 du président de la République. Si des noms comme celui de l’ancien ministre de l’Economie et des finances Amadou Ba reviennent, son successeur depuis 2019 au département de l'Économie, du Plan et de la Coopération internationale, Amadou Hott est également cité. Toutefois, les résultats réalisés par les membres du parti présidentiel aux prochaines élections locales seront sans doute très importants, dans la perspective de la nomination du nouveau chef de gouvernement. A moins qu’il ne soit nommé avant ces joutes électorales.

Lamine Diouf  

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