Publié le 18 Jun 2015 - 14:19
PROFESSIONNALISATION

Comment faire de la culture une industrie

 

Les acteurs culturels veulent désormais cotiser et contribuer à l’avènement de l’économie du pays. Les associations veulent se professionnaliser et générer des revenus. Une réflexion sur la professionnalisation du secteur s’est ouverte le 16 juin. Des problèmes sont soulevés et des propositions faites.

 

On parle beaucoup d’une industrie culturelle au Sénégal. Mais une question demeure : les bases de sa mise en œuvre sont-elles jetées ? Car, depuis que les acteurs culturels en parlent, cela reste à l’état de projet. Certains d’entre eux, réunis autour de l’association des diffuseurs artistiques et festivals du Sénégal (ADAFEST), ont compris que cette industrialisation ne peut se faire qu’avec une professionnalisation du secteur culturel. C’est pourquoi avec l’UNESCO, ils ont décidé d’organiser un symposium sur le thème : ‘’Misons sur la culture : de la réglementation à l’entrepreneuriat’’, au siège de l’institution à Dakar. Et ceci ‘’n’est pas qu’un slogan’’, assure le président d’ADAFEST Ousmane Faye. Au contraire, il ‘’marque un pas de plus vers l’affirmation du secteur de la Culture dans le processus de développement du Sénégal’’, explique la présidente du comité d’organisation du symposium Gacirah Diagne. ‘’C’est également un appel à une prise de conscience de l’urgence de  concrétiser toutes les bonnes résolutions préconisées par les diverses institutions publiques et privées culturelles, depuis toutes ces années’’, ajoute-t-elle.

Par ailleurs, une professionnalisation du secteur de la culture permettrait aussi aux artistes de pouvoir vivre de leur art. ‘’Nous sommes fatigués des téléthons et des cotisations au crépuscule de nos vies’’, s’indigne le modérateur du jour, le conteur et professeur de français Dr Massamba Guèye. Ousmane Faye lui, réclame ‘’le clap de fin de ce film qui n’a que trop durer’’. Ainsi, les artistes et acteurs tournant autour de la culture ne veulent plus tendre la main. ‘’On veut cotiser et contribuer’’, plaide Ousmane Faye. Et ce ne sont pas les opportunités qui manquent, parce que, comme le souligne l’artiste plasticien Viyé Diba : ‘’La culture légitime l’économie.’’

Aussi, elle est un levier de développement et de cohésion sociale, selon le directeur de la cinématographie Hugues Diaz. En outre, ‘’tant que (les acteurs) ne changent pas le regard de (leurs) Etats, des investisseurs et (leur) propre regard sur le secteur culturel, il sera difficile de libérer et d’utiliser de manière productive tout ce potentiel créatif dont regorgent (leurs) sociétés’’, constate la directrice du bureau régional de l’UNESCO pour l’Afrique de l’ouest, Anne Thérèse Ndong-Jatta. Par conséquent, il y a des écueils à résorber avant d’arriver à un certain stade. Dans certaines sociétés, l’on considère que la culture n’est pas une chose sérieuse ou encore n’est pas un levier de production, donc pas de développement encore moins d’émergence. Elles ne voient que le caractère jouissif de ce secteur. Ce qu’il faut démonter. Car, cela est tellement vrai que les artistes ou les associations d’acteurs culturels ont du mal à avoir des financements auprès des banques.

‘’Cela s’expliquerait par le fait qu’économiquement parlant, la culture n’est pas un secteur’’, analyse le représentant du FONGIP à cette rencontre, Brahim Sakho. ‘’Dans la culture, on est dans la mode associative, alors que ce sont les entreprises qui produisent’’, remarque-t-il. C’est pourquoi, ajoute-t-il, il faut ‘’la production d’une valeur ajoutée’’, pour espérer avoir un financement. Le Président d’ADAFEST, Ousmane Faye, adhère à cette idée et considère que les associations doivent se muer en entreprises. D’autant plus que tel que déclaré par le représentant du ministère de la Promotion des Investissements, des Partenariats et du Développement des Téléservices, Sada Ndongo, il y a des mécanismes de financement que pourraient exploiter les acteurs culturels. Parmi ceux-ci, l’ADPME. ‘’Il faut oser les affronter’’, pense-t-il. Encore que le FONGIP est prêt à les aider dans leurs recherches de fonds. ‘’Le FONGIP peut ouvrir un fonds de garantie pour la culture. Mais, il faut des projets banquables, suggère M. Sakho.

Monétiser les produits et services culturels

L’autre pari du financement est la monétisation des produits et services culturels. Dans une société où la gratuité est la règle, il est difficile pour les acteurs culturels de passer à ce stade. Pour y arriver, ils peuvent parier sur le rapport qualité/prix. Pour cela, il faut un investissement substantiel. Les différentes associations gagneraient à mutualiser leurs efforts autour de projets culturels innovants, pour y arriver. Le duo Keyti et Xuman, pour le journal rappé avec level studio, en est un parfait exemple. ‘’On a donné l’illusion de financer la culture’’, remarque l’un des experts invités à ce symposium, Hamidou Hanne, au regard de l’argent distribué à des artistes qui avaient tel ou tel autre évènement à organiser. Egalement, on a ‘’institutionnalisé’’ la politique de la main tendue chez l’artiste. Mais tout a commencé avec les politiques d’ajustement structurels. La culture étant considérée ‘’comme un secteur non productif, des coupes extraordinaires ont été opérées sur les budgets’’, affirme Hamidou Hanne. Ce qui  a ‘’tué’’ le secteur.

Aujourd’hui, l’absence de cadre juridique est un handicap pour ce secteur. Une réglementation s’impose. L’érection d’un statut de l’artiste réclamé depuis tant d‘années serait un premier pas considérable à franchir.

Le numérique, une belle opportunité

Avec le passage de l’analogie au numérique, le téléspectateur aura désormais beaucoup plus de convenances. Mais ce changement peut être aussi bénéfique pour les acteurs culturels. ‘’Le défi est sur la télévision numérique terrestre’’, croit savoir le chargé du numérique au niveau de la télévision Futurs médias, Adama Sow. Avec le basculement dans le numérique, les télévisions sont obligées de faire dans la diversité. Et il leur est imposé de proposer 60% de contenus locaux. Certaines ont déjà commencé, en mettant en avant les séries sénégalaises au détriment des télénovelas. Cependant, ce ne sont pas vraiment les réalisateurs professionnels qui en profitent. C’est pourquoi Adama Sow leur a lancé un appel, afin qu’ils viennent occuper la place qui leur sied.

Mais ce n’est pas faute d’avoir essayé. ‘’Ce n’est pas par manque de volonté’’, indique le directeur de la cinématographie, Hugues Diaz. Parce que les films réalisés sont destinés aux télévisions. Le problème est que les conditions que posent les diffuseurs n’arrangent pas les réalisateurs. ‘’On demande à diffuser gratuitement’’, relève Hugues Diaz. Ce que ne peuvent accepter certains. Par ricochet, ‘’la petite sœur du cinéma qui est à la télé nous pose beaucoup de problèmes’’, se désole M. Diaz. Les choses pourraient trouver solution dans la mise en place de ‘’senliwood’’. Le comité national de la transition de l’analogique  au numérique (CONTAN) aurait réfléchi sur la question. A l’instar du Nigeria, le Sénégal pourrait avoir son industrie cinématographique à grande échelle.

Il n’y a pas que la communauté cinématographique qui peut profiter des opportunités qu’offrent le numérique. Tout acteur culturel peut y trouver son compte. ‘’Il faut remplir les espaces numériques’’, conseille d’ailleurs Adama Sow. Et surtout ‘’les plates-formes payantes’’, ajoute l’un des experts du CONTAN, Ousseynou Dieng. Cela peut même se faire à distance. Toujours est-il que l’artiste peut récupérer ses dividendes numériques. Ainsi, par exemple, ‘’les musiciens peuvent gagner des droits digitaux’’, selon Adama Sow.

BIGUE BOB

 

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