Publié le 23 Aug 2019 - 21:44
RAPPORT SUR LA PRESIDENTIELLE 2019

La coalition Idy2019 dissèque sa perte

 

La coalition Idy2019 a publié le ‘‘Rapport public sur l’élection présidentielle du 24 février 2019, observations saillantes autour d’un hold-up électoral’’. Un document qui explique les modalités ‘‘frauduleuses’’ de la victoire du camp Benno Bokk Yaakaar (Bby) à la Présidentielle du 24 février 2019.

 

Au lendemain du scrutin du 24 février dernier, la coalition Idy2019 avait non seulement rejeté les résultats sans vouloir faire recours devant le Conseil constitutionnel, il avait également promis un rapport plus global sur les défaillances de la Présidentielle. Le rapport de 54 pages est parvenu hier à ‘’EnQuête’’ et ce rassemblement des forces de l’opposition favorables au candidat Idrissa Seck n’a pas hésité à noircir le tableau d’une organisation où toutes les parties prenantes ont fauté. Des observations générales qui incriminent toute la chaîne de décision.

‘‘On peut notamment relever la modification unilatérale et illégale du régime de vote le jour même du scrutin, des milliers et des milliers d’électeurs égarés en raison d’une modification forcée de leurs bureaux, centres, voire leurs régions de vote, sans oublier un phénomène inédit et triste dans l’histoire de la fraude électorale : les enfants-votants ! En réalité, ces différentes irrégularités n’auraient pas été possibles, si l’Administration électorale, dans son ensemble, n’avait pas, soit participé soit laissé passer les différentes manipulations anticipées sur le fichier électoral et la carte électorale’’, remarque le rapport sous-titré ‘‘Observations saillantes autour d’un hold-up électoral’’.

Parrainage

Les points disséqués par cette coalition de l’opposition sont nombreux et ont été presque exhaustifs. Mais le rapport a particulièrement déploré les défaillances découlant du parrainage intégral. D’après eux, ce critère rentrait dans une logique d’ ‘‘actes préparatoires du hold-up : la neutralisation systématique du principe de consensus politique’’.  Pour les camarades d’Idy, ceci procède d’un ‘‘démantèlement inattendu de l’intangibilité du mode d’élection du président de la République’’.  Le parrainage pour la Présidentielle de 2019 est un système inédit qui exigeait aux candidats à la candidature 0,8 % au minimum et 1 % au maximum des signatures d’électeurs du fichier général. Une partie de ces signatures doit obligatoirement provenir de 7 régions (sur les 14 que compte le Sénégal, à raison de 2 000 au moins par région, le reste réparti, sans quota, partout dans le pays et à l’étranger. Un paramètre qui a laissé beaucoup de candidats sur le carreau au point que seuls 5 prétendants se sont retrouvés dans les starting-blocks pour le scrutin. La motivation à appliquer le parrainage vient de l’inflation électorale pour les Législatives de 2017 où 47 listes s’étaient présentées à la députation.  Mais pour Idy2019, c’est le pouvoir qui a troublé l’eau pour pouvoir pêcher en eaux troubles. ‘‘L’expression la plus éloquente de cette instrumentalisation tient au fait que 30 des 47 partis ou coalitions de partis ayant pris part aux élections législatives du 30 juillet 2017, soit 63,82 %, ont rejoint la coalition Benno Bokk Yaakaar, la coalition au pouvoir, lors de l’élection présidentielle du 24 février 2019 (...) Le jeu démocratique a été volontairement faussé, les finances publiques indument grevées’’, relève le rapport.

Le 16 mars 2018, le médiateur Seydou Nourou Ba a remis son rapport sur le processus électoral au président de la République qui n’a jamais été rendu public, d’après l’opposition. ‘‘La recommandation du rapport en cause visait à modifier le régime de déclaration de candidature à l’élection présidentielle, notamment en appliquant la condition du parrainage citoyen, jusque-là uniquement imposée aux candidats indépendants, aux candidats investis par un parti ou une coalition de partis politiques’’.

Micmacs sur le fichier

L’opposition est dans la conviction qu’il y avait un double fichier électoral qui est même venu à bout de la vigilance des contrôles de l’Union européenne. ‘‘Le fait que le fichier électoral contrôlé par les experts de l’Union européenne n’ait révélé aucune inscription de mineurs, alors qu’il y avait eu enrôlement de mineurs à la base, montre que ces experts n’avaient pas contrôlé le bon fichier électoral. Cette situation sur l’enrôlement des mineurs confirme, à elle seule, l’existence d’au moins deux fichiers’’, fait remarquer le rapport qui explique le modus operandi qui a impliqué la complicité ou la passivité de l’Administration.

Les cartes établies sur la base d’état civil inexistant ont également été relevé par les experts de la coalition Idy 2019. ‘‘L’audit du fichier électoral par nos experts a permis de déceler plus de 106 codes d’état civil inexistants dans le document du ministère de l’Intérieur. Le tableau ci-après en présente les détails’’, détaillant par plusieurs illustrations que différents centres d’état civil sont soient fictifs ou ont logé beaucoup d’électeurs fictifs. L’inscription d’électeurs par audience foraine, les doublons sur le fichier électoral, la mention ‘‘Sénégal’’ comme lieu de naissance... sont autant de manquements qui ont servi, selon la coalition, à baliser la voie au pouvoir en place. ‘‘Ce que les rapports de la Cena et de la Mafe (Mission d’audit du fichier électoral) ne disent pas, c’est que lorsqu’une inscription sur les listes électorales s’est faite sur la base d’un faux extrait de naissance, elle donne lieu, si elle validée par la Daf, à la confection d’une pièce d’identité et, par ricochet, la création dans le fichier électoral d’électeur fictif’’, expliquent les experts d’Idy2019.

Les soupçons d’impartialité qui ont pesé sur deux personnes centrales ne se sont pas dissipés jusqu’à la Présidentielle. Le ministre de l’Intérieur (organisateur des élections) Aly Ngouille Ndiaye et sa fameuse déclaration de vouloir travailler à la réélection de Macky Sall, le maintien d’Ibrahima Diallo à la tête de la Daf, malgré son statut de retraité, sont autant de preuves de mauvaise volonté à concourir à armes égales. C’est ce qui explique les écarts importants et le renversement de tendances notés dans certaines localités pour cette Présidentielle.

‘‘Ce qui frappe, avec les résultats de Goudiry, lors de la Présidentielle de 2019, c’est qu’alors qu’il n’y a eu que 4 973 nouveaux votants, le score de la coalition au pouvoir est passé de 13 743 à 28 756. Pire, le score obtenu par la coalition Taxawu Sénégal en 2017 (6 474), représentée à la Présidentielle de 2019 par la coalition Idy2019, a paradoxalement baissé, avec seulement 1 964 voix, soit une baisse de 4 510 voix ! Donc, l’arrivée de nouveaux votants et l’augmentation du taux de participation n’a profité qu’à la coalition au pouvoir. Ce qui suffit à montrer, à travers cet exemple de Goudiry, le caractère purement artificiel des résultats de ce département’’, dissèque le rapport.

D’après ce rapport sur le hold-up, tous ces manquements qui se sont passés en amont ont été aggravés par les violations flagrantes de la loi électorale le 24 février même.  ‘‘Le jour du scrutin, la Cena avait donc sous ses yeux deux actes administratifs qui violaient la loi électorale dont elle a la responsabilité de contrôler le respect. L’attitude de la Cena est d’autant plus suspecte et déconcertante qu’elle a eu pourtant, dans un passé récent, à intervenir contre une circulaire du ministre de l’Intérieur, laquelle supprimait la règle de la confirmation de l’inscription sur les listes électorales’’.

Le Conseil constitutionnel a vivement été critiqué pour sa tendance à faire ‘‘écarter sa compétence’’ sur les saisines chaudes de l’opposition qui souhaitait la suppression du parrainage ou sur la modification de l’article L57 par Macky Sall, qui a eu pour but de priver à Khalifa Sall et à Karim Wade, condamnés en justice, leur statut d’électeur, alors ‘‘qu’aucune décision administrative’’ ne leur interdisait d’être candidat. 

Solutions

Les médias, non plus, n’ont pas été épargnés par le diagnostic de la coalition Idy2019. D’après elle, la presse entrait dans le cadre de ce plan concocté par le pouvoir en place. ‘‘Ce qu’il convient d’appeler «plan de confiscation du suffrage du peuple souverain» trouve d’abord une expression médiatique à travers un traitement ouvertement tendancieux des résultats par les médias dominants. Ce hold-up électoral que configuraient à dessein certains médias de masse, sera par la suite, on pourrait dire définitivement, scellé tard dans la nuit du 24 au 25 février par le Premier ministre. Alors même que les urnes n’étaient pas intégralement dépouillées, et à travers une déclaration télévisée, celui qui avait acté le nombre de candidats avant le temps de la justice récidiva en proclamant la victoire du candidat sortant, dont il est le directeur de campagne, avec un score de 57 %’’, regrette le rapport.

Après ces multiples constants, l’opposition a listé 39 recommandations à toutes les parties prenantes, pour remédier le mal. La dernière étant ‘‘d’engager un procès au pénal contre l’Administration électorale pour forfaiture’’.

Selon Idy2019, cette plainte  vise à engager la responsabilité pénale des autorités administratives directement impliquées dans la modification du régime de vote le jour même du scrutin, au moyen de deux actes administratifs nommés ‘‘Message départ’’. La coalition a même cité (l’article 118 du Code pénal) qui vise cette infraction. Il dispose que : ‘‘Seront coupables de forfaiture et punis de la dégradation civique : les ministres, gouverneurs, préfets, maires, tous chefs de circonscription administrative et autres administrateurs qui se seront immiscés dans l'exercice du pouvoir Législatif (…).’’

Parmi les autres propositions, les opposants suggèrent de ‘‘sortir le régime de déclaration de candidature à la présidence de la République de son état d’inconstitutionnalité actuel’’. Les sept sages ont également reçu leur piqure de rappel. ‘‘La fraude à la Constitution opérée par le Conseil constitutionnel, dans sa décision 4C/2017 du 18 janvier 2017, doit être rapidement corrigée afin de sortir de cette incongruité juridique. Une révision de la Constitution et l’adoption d’une loi organique relative au statut du président de la République s’imposent, à cet effet’’.

S’il y une recommandation qui semble rencontrer l’assentiment de tous, c’est la n°3 qui propose la ‘‘suppression du parrainage pour les partis politiques aux élections locales, législatives et présidentielles, notamment par le retour à la situation initiale’’.

A la présentation des recueils des contributions de la société civile avant-hier, les membres de la société civile ont également demandé l’annulation de ce paramètres pour les Locales qui tardent à être programmées.  

OUSMANE LAYE DIOP

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