Publié le 19 Jun 2018 - 23:31
REALITES D’ISRAEL

Les contradictions fascinantes d’un ‘’petit’’ pays

 

En Afrique au sud du Sahara, le nom d’Israël renvoie essentiellement au conflit qui l’oppose à la Palestine. Mais au-delà d’être un petit pays qui a du mal à s’entendre avec ses voisins, l’Etat hébreux est connu pour son expertise dans plusieurs domaines, notamment dans l’industrie de l’armement et la haute technologie. C’est aussi un pays avec deux visages symbolisés par Tel Aviv, ‘’la ville du péché’’ et Jérusalem la sainte. ‘’EnQuête’’ vous propose le carnet de voyage d’une visite guidée du 3 au 8 juin, sur initiative des autorités du pays.

 

‘’Venez ici, si vous voulez être étonné. Si vous voulez contempler les plus grandes ruines et vous rassasier des plus grands souvenirs. Je puis vous assurer qu’on a rien vu quand on n’a pas vu Rome’’. C’est pour moins évoquer des ruines que de l’étonnement du visiteur de l’Etat hébreux, en 2018, que se justifie la convocation de cette citation de l’écrivain et non moins diplomate français René de Chateaubriand, extraite de son livre ‘’Voyage en Italie’’ (1968).  Pour un pays au passé aussi alambiqué et lourd (holocauste), les réalisations auxquelles le peuple juif est parvenu, entre le 14 mai 1948, date de la proclamation de l’Etat d’Israël, à nos jours, suscitent l’étonnement, du moins l’inspiration pour plusieurs pays africains qui ont du mal encore à se frayer un chemin entre la charité internationale (l’aide publique au développement) et les trébuchants plans nationaux de développement. Lesquels peinent à mettre le continent sur les rails d’une véritable émergence.

Alors que plus de la moitié du territoire israélien est désertique, il est impressionnant de voir à quel point l’être humain peut, s’il a la volonté, dompter son environnement.  Comme cela fut le cas en Israël où  la main de l’Homme a transformé les dunes et les inhabitables collines en cités et vastes champs agricoles. D’ailleurs, si le Rwanda est communément appelé ‘’Pays des mille collines’’, Israël, par sa géographie physique, ne l’est pas moins dans les faits. Une traversée éclair de la ville permet de contempler les belles bâtisses érigées sur les collines qui dominent la majorité des habitations dans les différents  quartiers des  agglomérations du pays.  

Dans la ville sainte de Jérusalem, la tranquillité qui y règne laisse entendre le gazouillement matinal des oiseaux qui réveillent les populations. Cette atmosphère relativement calme s’estompe aussitôt que l’on franchit le seuil de la mégapole très agitée de Tel Aviv.  Les modes de vie contradictoires entre la vieille ville (Jérusalem) et Tel Aviv sont  telles que l’étiquette  ‘’ville du péché’’ qui a été justement trouvée,  colle bien à la capitale du pays d’où s’est tenue la Gay Pride (20e plus grande manifestation des homosexuels), le 8 juin dernier, sur l’avenue Herbert Samuel et qui s’est terminée devant la mosquée Hassan Bek. Cette maison de Dieu, qui se trouve à cheval entre la mer Méditerranée et la partie continentale, est la porte d’entrée du vieux quartier de Jaffa, 4 000 ans, l’un des plus vieux ports du monde. Ce quartier dont le nom est associé à la fameuse légende de Jonas (Younous)  qui a été avalé par la baleine, est aujourd’hui quasiment absorbé par Tel Aviv. Il garde néanmoins certaines de ses traces séculaires, à l’image de ses galeries, de ses maisons en dur. Dans cet endroit cosmopolite,  l’ambiance est unique. Le chant grégorien qui retentit dans les églises, l’appel du muezzin dans les mosquées et les régulières pratiques rituelles dans les synagogues s’ajoutent  au  climat de liberté qui frise la perversion.

Jérusalem la sainte

Dans ce ‘’petit’’ pays  de 20,770 km² et de près de 9 millions d’habitants, la centralité du fait religieux est flagrante. Dans son allure vive, il a les péotes de sa tête qui lui arrivent aux épaules. La kippa, symbolisant l’humilité de celui qui la porte et l’existence d’un être suprême, lui couvre à peine les 10 % de la tête. Les tefillins, constitués de deux petits boitiers cubiques contenant 4 passages bibliques attachés au bras et à la tête reliés par des lanières de cuir,  s’observent distinctement. Il s’agit-là d’une entrée remarquable d’un juif ultra orthodoxe à l’esplanade des Temples de Jérusalem. Lieu hautement touristique, la vieille ville de Jérusalem, explique sur carte le guide Richard Benhamou, est composée de 4 quartiers qui s’étendent sur 1 km2 : le quartier musulman (plus grand), le quartier chrétien, le quartier arménien et celui juif. Venus des quatre coins du monde, les touristes se bousculent à la ville sainte. Pendant que les musulmans se dirigent vers la mythique mosquée d’Al-Aqsa, les fidèles chrétiens se recueillent au Mur des Lamentations ainsi qu’au Saint-Sépulcre, sise à l’intérieure de la Basilique Sainte-Hélène où les différentes étapes du Golgotha leur sont expliquées, avant qu’ils ne terminent leur pèlerinage à la tombe de Jésus.  

Pour la sécurisation des lieux saints et des visiteurs, 800 policiers israéliens sont déployés. Ville carrefour des trois religions révélées, Jérusalem connait une affluence 12 mois sur 12. Ils sont plus 5 millions de touristes religieux à la visiter. Le tout se passe sous la vigilance de la police israélienne. Une veille quotidienne qui, selon les responsables de la police, permet à tout un chacun de vivre sa foi.   

Micky Rosenfeld, le porte-parole de la police israélienne,  rappelle la consigne donnée à ses hommes. ‘’On doit respecter ces lieux et permettre aux gens qui y viennent de prier en toute sécurité, à savoir les vendredis, samedis et dimanches plus particulièrement. Avec le ramadan, on doit assurer la sécurité des milliers de personnes qui viennent prier dans l’esplanade des Mosquées, cinq fois par jour’’, explique M. Rosenfeld. Cette fréquentation des mosquées peut atteindre un pic de 250 000 fidèles parfois.

La gestion des trois derniers jours de la semaine s’avère assez délicate pour les policiers. Le vendredi, ils sont des milliers de musulmans à se rendre sur l’esplanade des Mosquées pour prier. Le samedi, les juifs envahissent le Mur des Lamentations et le dimanche, c’est au tour des chrétiens de se rendre au Saint-Sépulcre.

‘’Nous avons 20 % des policiers qui sont en civil. En fonction de la sensibilité de la période, on renforce les effectifs avec d’autres unités. Nous sommes aujourd’hui dans les 10 derniers jours du ramadan et ce n’est pas tout le monde qui vient pour prier à l’esplanade des Mosquées’’, poursuit  Micky Rosenfeld.

Outre les effectifs de police, la ville est quadrillée par 360 caméras de surveillance qui scrutent les moindres mouvements. L’allée qui mène vers la porte de Jaffa est jugée ‘’ hautement sensible’’ par la police, parce qu’empruntée par les fidèles pour se rendre soit dans le quartier juif ou le quartier chrétien. En face, se trouve l’esplanade des Mosquées. Pour y accéder, il faut d’abord franchir une première barrière de sécurité de la police israélienne, avant de pouvoir négocier avec les ‘’gardes’’ du lieu saint. La police israélienne n’a guère le droit d’entrer dans ce lieu sacré, mais elle vérifie les mouvements, précise-t-on.

‘’Nous devons nous assurer que chaque personne qui vient prier parte à la bonne direction’’, fait remarquer le responsable de la police. Chaque année, la ville sainte accueille au moins 5 millions de visiteurs venant de tous les coins du monde. Sans compter les 40 000 personnes qui habitent dans ce petit périmètre. ‘’Dans notre travail, explique ce responsable de la police, nous n’avons pas le droit de commettre des erreurs, parce que la moindre défaillance peut avoir des conséquences sur Jérusalem et sur le reste du monde’’.

Afin de prévenir les incidents, la police travaille avec les différentes communautés juive, musulmane et chrétienne. Dans la ville sainte, selon le porte-parole de la police, la menace terroriste est de 80 % et la criminalité de 20 %. Même si, depuis quelque temps, la menace terroriste s’est dissipée, le dispositif de veille est maintenu. En prenant en compte les différents attentats qu’il y a eu lieu précédemment, la police israélienne a changé de stratégie. Aujourd’hui, le temps de réaction est d’une minute pour toute urgence signalée.

La hantise de l’Iran

Pour mieux cerner la situation d’Israël dans la région et identifier de manière précise les menaces qui pèsent sur l’Etat hébreux, le ministère israélien des Affaires étrangères dispose d’un centre de recherche en géopolitique pour établir une grille de lecture claire et fournir des informations qui doivent aider à la prise de décisions. A cet effet, le directeur du centre Goetchel établit une classification en 4 catégories des pays de la région. Le premier groupe de pays est ce qu’il désigne sous le nom du ‘’camp arabo-sunnite’’ composé des pays comme  l’Egypte, l’Arabie saoudite, la Jordanie et certains pays du Golfe. Ce camp, selon Daniel Halévy, est modéré. Avec la plupart de ces pays, Israël entretient des relations diplomatiques. Le deuxième camp est celui d’inspiration des Frères musulmans. Dans ce groupe, on cite  le Qatar, la Turquie et ses alliés. Le troisième est le camp djihadiste. Il est principalement composé de Daesh et ses organisations affiliées.

Le dernier camp est l’axe iranien avec les mouvements chiites, composé du Yémen et de la Syrie voisine, avec à sa tête l’Iran dont ‘’les missiles à longue portée et son bras armée au Liban’’ (Hezbollah) créent une hantise en Israël.  Pour les autorités israéliennes, il est clair que l’Iran, à travers son programme nucléaire, a des visées hégémoniques dans la région qu’il faut stopper. Pour l’Etat hébreux, la présence iranienne dans le conflit syrien est certaine et dangereuse. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que la frontière israélo-syrienne fait l’objet d’une surveillance particulière. Au point culminant du plateau du Golan (1 156 m), territoire jadis syrien et annexé en 1967 par Israël, lors de la guerre des 6 jours, est érigé un bunker où les gardes-frontières israéliens cohabitent avec deux casques bleus des Nations Unies qui orientent leurs jumelles sur le territoire syrien en vue de suivre attentivement les différents groupes qui se battent dans ce pays voisin.

Il y a trois semaines, ‘’des missiles ont été envoyés en Israël par des milices chiites. En réponse, nous avons détruit 50 positions iraniennes en Syrie. Aujourd’hui, les villes laissées par Daesh sont occupées par les milices chiites. Quand je regarde cette frontière, je vois l’Iran construire des industries militaires, des aéroports pour arriver à un nettoyage ethnique en Syrie afin de se battre contre Israël et les pays sunnites de la région’’, s’alarme Ilan Shulman, un parachutiste de l’armée israélienne à la frontière avec la Syrie.  Pour ce garde-frontière, la paix en Israël dépend de la neutralisation de l’influence iranienne dans la région.  D’où l’urgence, selon lui, de la formation d’une coalition internationale entre pays sunnites et occidentaux. A ses yeux, l’Iran est aujourd’hui le plus grand destructeur du Moyen-Orient. La ‘’menace iranienne’’ est redoutée au point que ce titulaire d’un Master sur la géopolitique au Moyen-Orient affirme que l’Imam Khomeini, guide de la révolution iranienne, a réussi là où Al Baghdadi a échoué en Irak et en Syrie.

L’interminable conflit israélo-palestinien : ce qu’en pensent les Israéliens

Le conflit israélo-palestinien intéresse-t-il les citoyens israéliens ? Ou bien pensent-ils que ce problème ne concerne que les politiques ?  Passage obligé pour tout visiteur à Tel Aviv, le supermarché Souk à Harmel ne désemplit pas. Trouvés sur place, des citoyens israéliens apprécient diversement le conflit. ‘’C’est un conflit qui ne m’intéresse pas. Je m’occupe de mes problèmes personnels. Ces grandes questions, je les laisse aux autres, aux politiques’’,  coupe ce commerçant qui se montre plus intéressé par son client.  En face de lui, un autre vendeur. La quarantaine sonnée, il estime que si le Hamas se retire, les Palestiniens vivraient mieux. ‘’En Israël, nous avons le savoir et en Palestine, ils ont l’engagement. Quand on s’associe, ce sera formidable. Mais tant qu’il y aura la haine contre le Juif, le conflit ne sera jamais résolu’’, croit Paul.  Scotché sur son appareil, une sexagénaire se montre pessimiste. ‘’Je n’ai pas d’espoir quant à la résolution de ce conflit. Car il y a une implication des grandes puissances. S’y ajoute le système économique et financier mondial qui nous a transformés en esclaves du monde moderne. Les enjeux financiers sont tellement importants que beaucoup n’ont pas intérêt à que ce problème finisse un jour’’, se résigne-t-elle.

Contrairement à cette personne, certains jeunes s’y intéressent. ‘’C’est important de résoudre ce conflit. Car, des deux côtés, il y a la souffrance. Nous aimerions bien avoir une solution, mais il n’est pas possible, en l’état actuel, de faire la paix avec le Hamas qui est une organisation terroriste’’, charge ce jeune pressé. Quant au gouvernement israélien, il affirme qu’il n’y aura jamais la paix tant que les Palestiniens continueront ‘’à refuser la légitimité de l’Etat d’Israël et le droit de son peuple de vivre sur cette terre’’.

A noter que ce voyage en Israël de la presse ouest-africaine, du 3 au 8 juin 2018, sur initiative des autorités du pays, intervient à un moment où la répression des manifestants palestiniens par l’Etat hébreux a fait une centaine de morts et des milliers de blessés en moins de deux mois.

MAMADOU YAYA BALDE (ENVOYE SPACIAL EN ISRAEL)

 

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