Entre abondance de CV et rareté de compétences

Le recrutement au Sénégal évolue à grande vitesse, porté par des transformations économiques, technologiques et juridiques profondes. Si les candidatures affluent pour chaque poste publié, les profils vraiment qualifiés se font de plus en plus rares.
Dans ce contexte, comment les recruteurs peuvent-ils adapter leurs pratiques pour relever les défis de 2025 ? Éclairage.
Un marché du travail sous tension
Selon les dernières données de l’ANSD, le taux de chômage élargi s’est établi à 20 % au quatrième trimestre 2024, une légère amélioration par rapport à l’année précédente.
Toutefois, ce chiffre masque une réalité plus préoccupante : près de 30 % des jeunes actifs sont au chômage, malgré des efforts massifs en matière de formation et d’insertion professionnelle.
Cette situation crée un paradoxe : les entreprises croulent sous les CV pour chaque poste ouvert, mais peinent à trouver les bons profils. Le tri devient plus complexe, les processus plus longs, et les erreurs de recrutement plus coûteuses.
Des secteurs qui recrutent… mais sur profil
L’espoir réside dans les pôles de croissance. Trois secteurs dominent les intentions d’embauche pour 2025 :
Pétrole, gaz et énergies renouvelables : avec l’entrée en production du champ Sangomar et la poursuite du projet Grand Tortue Ahmeyim, le secteur énergétique pourrait générer jusqu’à 25 000 emplois directs et indirects.
Numérique et services IT : développement d’applications, cybersécurité, data science... Les compétences technologiques sont en forte demande.
Agro-transformation : portée par la stratégie nationale de souveraineté alimentaire, cette filière valorise les profils d’agronomes, de logisticiens et de techniciens qualité.
Les entreprises de ces secteurs recherchent des talents immédiatement opérationnels, maîtrisant aussi bien les compétences techniques que les outils digitaux. Mais ces profils sont rares et très convoités, au Sénégal comme à l’international.
La digitalisation du recrutement : opportunité ou mirage ?
En 2025, plus de 60 % des recrutements passent par le digital. Les plateformes comme emploisenegal.com, senjob.com ou emploiDakar.com sont devenues incontournables. Les grandes entreprises utilisent des ATS (Applicant Tracking Systems) pour automatiser le tri des candidatures.
Mais LinkedIn s’est imposé comme un levier stratégique majeur. Recruteurs, chasseurs de têtes, candidats et travailleurs indépendants y interagissent quotidiennement. Ce réseau n’est plus réservé aux cadres ou aux profils internationaux. De plus en plus de jeunes diplômés et de professionnels sénégalais y construisent leur image, partagent leurs expériences et sont repérés via leurs publications ou leur activité.
Pour les entreprises, c’est une vitrine de leur culture, mais aussi un vivier de talents actif et réactif.
Les candidatures par WhatsApp, les formulaires Google Forms, les entretiens en visioconférence et la signature électronique complètent ce virage digital.
Reste à éviter un écueil : ne pas exclure les candidats moins à l’aise avec ces outils, souvent à cause d’un manque de formation ou de connectivité.
Un déficit de compétences persistantes
L’un des freins majeurs au recrutement au Sénégal reste le manque de compétences spécifiques. On note un déficit dans des domaines clés comme :
la maîtrise de l’anglais professionnel ;
les logiciels de gestion (SAP, Sage Paie) ;
la gestion de projets (méthodes agiles, outils collaboratifs) ;
les normes HSE et la conformité réglementaire.
La solution ? Miser sur la formation continue, les partenariats université-entreprise et l’alternance. Mais cela nécessite une vision à moyen terme, que toutes les entreprises ne peuvent pas toujours s’offrir.
Un nouveau Code du travail en vue : quels impacts pour le recrutement ?
La réforme du Code du travail en cours promet d’introduire plusieurs évolutions majeures :
Télétravail encadré ;
Allongement du congé de maternité ;
Assouplissement de l’usage des CDD dans certains secteurs.
Pour les recruteurs, cela implique :
la révision des modèles de contrats de travail ;
l’adaptation des procédures RH au travail à distance ;
une meilleure planification RH pour anticiper les nouvelles contraintes légales.
Ces ajustements impliquent une montée en compétences des équipes RH et une veille juridique renforcée.
5 pratiques gagnantes pour recruter en 2025
Voici quelques leviers concrets pour optimiser son processus de recrutement :
Soigner la marque employeur locale : Témoignages de salariés, vidéos en wolof ou en français simple, transparence sur les conditions de travail.
Simplifier le processus de candidature : moins de pièces demandées, candidatures par mobile, réponses rapides.
Évaluer les soft skills : Mises en situation pratiques, entretiens collectifs, simulations métiers.
Maintenir le lien avec les candidats non retenus : un simple retour personnalisé améliore votre réputation.
Créer un vivier de talents :
Stagiaires, anciens collaborateurs, candidatures spontanées, diaspora sénégalaise.
Conclusion : un recrutement plus stratégique que jamais
Recruter au Sénégal en 2025 ne se résume plus à diffuser une annonce et trier des CV.
Il faut identifier des potentiels, évaluer des savoir-être, intégrer les nouveaux enjeux juridiques et technologiques, tout en renforçant l’attractivité de son entreprise.
Les professionnels RH sont désormais au cœur de la performance des organisations. Face à la concurrence pour les talents, ils doivent innover, écouter, anticiper. Car c’est dans la qualité du recrutement que se joue une grande partie de la compétitivité à venir.
PAPA ABDOULAYE NDIAYE