Publié le 11 May 2023 - 18:49
SITUATION POLITIQUE TENDUE AU SÉNÉGAL

AfrikaJom Center adoube le dialogue et met Macky et Sonko devant leurs responsabilités

 

L’organisation de la société, fondée par Alioune Tine, relate des faits consacrant les reculs démocratiques dont plusieurs sont imputables au régime du président de la République Macky Sall.

 

‘’Le Sénégal : un modèle démographique en déclin’’. C’est le titre du premier du genre, exclusivement porté sur la géopolitique du Sénégal, publié par le think tank Afrikajom Center. L’organisation fondée par Alioune Tine peint un tableau peu reluisant de la démocratie sénégalaise sous le régime du président Macky Sall. Et selon le document, ‘’le Sénégal traverse, à l’heure actuelle, la crise démocratique la plus grave et la plus complexe, sans doute, de son histoire politique et de son histoire électorale depuis François Carpot et Blaise Diagne en 1914’’.

Pour sortir de cette situation inconfortable et aux développements incertains, l’organisation dirigée par l’expert indépendant des Nations Unies sur la situation des Droits de l’homme au Mali a formulé plusieurs recommandations, dont la plus immédiate à appliquer est la participation de toute la classe politique à ‘’un dialogue politique sincère, inclusif pour contribuer au renforcement des institutions et mécanismes démocratiques, construire ensemble une représentation partagée de l’État de droit, de la démocratie, des droits humains, pour aller en 2024 vers une présidentielle transparente, démocratique et apaisée’’.

Bien que les précédents se soient montrés ‘’improductifs’’ sur plusieurs points politiques, Afrikajom Center reste favorable au maintien de cette vieille tradition politique sénégalaise.

Régularisation de l’éligibilité des candidats à l’élection présidentielle

D’autres recommandations sont le respect ‘’de la parole donnée’’ par le président de la République Macky Sall de ne pas briguer un troisième mandat et l’invite à Ousmane Sonko à mettre un ‘’terme à toute tentative d’insurrection qui contribuerait à aggraver la vulnérabilité du pays’’. Afrikajom Center invite également la ‘’libération sans condition de tous les détenus politiques’’, la régularisation de ‘’l’éligibilité des candidats à l’élection présidentielle’’.

À moins d’un an de la  Présidentielle du 25 février 2024, le flou total règne autour des candidats au scrutin. Les principales figures de l’opposition, Karim Wade, Khalifa Sall et le très populaire et favori Ousmane Sonko, ne sont plus éligibles suite à des décisions judiciaires et des modifications de la loi électorale. De cette situation et de la volonté interprétée du président de la République de tenter un troisième mandat, est née une crise démocratique qui ‘’a formé un nœud politique complexe et particulièrement retord qui fait que l’éligibilité et le destin de certains candidats à la Présidentielle dépend exclusivement de la volonté du président de la République’’, souligne le rapport d’Afrikajom Center.

‘’Sur les questions politiques, la justice présente des insuffisances manifestes’’

Et cette situation est grandement imputable au régime en place, selon le récit des événements fait par le document. À  différents niveaux, les reculs démocratiques soulevés par l’organisation de la société civile sont criants.

En effet, le document souligne qu’au Sénégal, ‘’tout le monde s’accorde à reconnaître aujourd’hui que, sur les questions politiques, la justice présente des insuffisances manifestes à réguler le contentieux politique au Sénégal depuis des années. La perception qu’elle n’est pas «indépendante», pas «impartiale», «qu’elle est sélective» et qu’elle est «une justice de deux poids deux mesures» est durement ancrée dans l’imaginaire des Sénégalais’’.

Cela s’illustre par l’inéligibilité consacrée par des condamnations judiciaires de Karim Wade et de Khalifa Sall avant la Présidentielle de 2019. Pourtant, dès que ses conséquences électorales ont été officialisées, les deux ont été graciés par le président de la République, comme à croire que les préjudices justifiant ces condamnations  ne deviennent subitement plus importants.

À l’image de ces mises à l’écart électorales, le principal opposant au régime pour la Présidentielle 2024, Ousmane Sonko, est en train de subir la même sentence.

Absence de reddition des comptes

Ce dernier a d’ailleurs été condamné pour diffamation contre le ministre du Tourisme, pour avoir porté des accusations sur un détournement de fonds présumé. Afrikajom Center s’interroge sur le fait que l’Inspection générale des finances (IGF), un corps de contrôle réputé sérieux et discret dans son travail, exposé sous les feux de l’actualité, est devenue aujourd’hui célèbre aux yeux du public à la suite de ‘’l’affaire du Programme national des domaines agricoles communautaires (Prodac) portant sur un montant de 29 600 536 000 F CFA’’.

‘’Malgré l’existence d’un rapport provisoire indexant et retraçant des actes d’une légalité suspecte ainsi que la rédaction d’un ouvrage par le coordonnateur du Forum civil Birahime Seck, en ce sens, aucune enquête ou poursuite n’a été déclenchée’’, souligne le rapport d’Afrikajom Center.

Dans un pays où les libertés d’expression et de manifestation sont consacrées par l’article 10 de la Constitution, l’organisation dénonce la ‘’criminalisation des opinions dissidentes et de l’opposition politique’’. Les victimes prises comme exemple sont nombreuses : Boubacar Sèye, président de l’ONG Horizon sans frontière, Guy Marius Sagna, Ousmane Sonko, Outhmane Diagne, professeur Cheikh Oumar Diagne, Nit Doff, Abdou Karim Guèye Xrum Xaax, Fadilou Keïta, jusqu’au dernier en date Bassirou Diomaye Faye, secrétaire général et n°2 du parti Pastef. La plupart  ont fait un passage en prison, certains toujours en détention pour avoir exprimé une opinion à travers les médias.

‘’Violence excessive et disproportionnée sur les manifestants pacifiques’’

Sur le terrain, les manifestants pour des acquis démocratiques ne sont pas mieux lotis. Pire, dénonce le rapport, ‘’de mars 2021 à mars 2023, on dénombre 20 morts dont au moins quatre dans le sud du pays, fief de l’opposant Ousmane Sonko. Bon nombre de ces décès est causé par des balles réelles, selon les résultats de l’autopsie’’. Ceux qui se sont retrouvés entre les mains des forces de l’ordre ‘’affirment avoir été victimes d’actes de torture et de mauvais traitements de la part des forces de l’ordre. (…) Plus de 600 personnes ont été arrêtées, dont des activistes, des membres de l’opposition et la durée de leur garde à vue a souvent dépassé le délai légal. Les forces de défense et de sécurité ont fait usage d’une violence excessive et disproportionnée sur les manifestants pacifiques au mois de mars 2021, dans différentes villes du Sénégal’’.

Des interrogations sur la reddition des comptes et l’impunité des crimes économiques des responsables proches du pouvoir sont également faites. Afrikajom Center dénonce une Inspection générale d’État (IGE) sous contrôle exclusif du président de la République, posant des questions réelles d’indépendance de cette institution considérée comme la plus haute administration. ‘’L’obligation de soumettre le rapport au président de la République avant la publication doit être réexaminée pour éviter tout retard dans la publication des rapports des institutions administratives indépendantes’’, de même que ‘’l’absence de liens contraignants entre les institutions administratives indépendantes et la justice’’ sont des fonctionnements à rectifier.

Lamine Diouf

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