Publié le 17 Feb 2020 - 18:37
STATUT PARTICULIER POUR DAKAR

Les relents d’une proposition rétrograde

 

De la sortie du Dr Cheikh Diallo, à la proposition institutionnelle aux relents politiciens d’Aminata Mbengue Ndiaye (présidente du HCCT), le débat autour d’un probable statut particulier pour Dakar est parti pour ramener le pays 56 ans en arrière.

 

Agitée dans un premier temps par le Dr en science politique Cheikh Diallo, l’idée de doter Dakar d’un statut particulier prend progressivement forme, avec tout le débat qu’il charrie, depuis lors. Les positions tranchées des uns et des autres sur la question témoigne de l’enjeu politique qu’a toujours suscité la capitale sénégalaise. Sous contrôle des socialistes, pendant plus de quarante ans, elle a échappé au joug libéral en 2009, avec l’avènement de Khalifa Sall à la tête de la ville de Dakar sous la bannière de la coalition Benno siggil Senegaal.

Arrivé au pouvoir en 2012, le Président Macky Sall n’a pas jusqu’ici eu la moindre chance de mettre la main sur la capitale. En dépit de son alliance avec les Socialistes, il a toujours entretenu un rude bras de fer avec Khalifa Sall pour s’emparer de la mairie. Mais ses tentatives sont restées vaines jusqu’ici. Tenu en échec à deux reprises par l’édile socialiste en 2014, lors des Locales, et en 2016, à l’issue de l’élection des hauts conseillers des collectivités territoriales, ses coups d’éclat de 2017 et de 2019, n’ont pas jusqu’ici suffi à renverser complètement la tendance. Tout comme Touba, Dakar résiste toujours au Président Macky Sall, après près de 8 ans de règne.

Devant l’échec des relents politiciens de l’Acte 3 de la décentralisation, qui a complètement dépouillé la ville de Dakar de la quasi-totalité de ses prérogatives et isolé Khalifa Sall des autres maires de Benno Siggil Senegaal, le régime semble changer de fusil d’épaule. En entretenant le débat sur un hypothétique statut particulier pour Dakar qui prend une tournure institutionnelle, avec la délibération récente du Haut conseil des collectivités territoriales (HCCT) avec à sa tête l’ancienne mairesse de Louga Aminata Mbengue Ndiaye, théoricienne de ladite proposition. Cette proposition n’est, en effet, que du réchauffé. Une formule expérimentée par le Sénégal en 1964, mais qui, n’ayant pas donné les résultats escomptés, a été tout bonnement supprimée par l’ancien président Abdou Diouf, en 1990.

Direction bicéphale

En effet, de 1960 à une époque récente, le Sénégal n’a cessé d’approfondir sa politique de décentralisation. Notre pays, qui a pris l’option d’une décentralisation progressive avec les actes un, deux et même trois, a, en 1964, à côté des communes de plein exercice, créé des communes à statut spécial qui dérogeaient au droit commun. Parmi ces communes à statut spécial, figurait, en premier lieu, Dakar. Ce statut spécial se traduisait par l’existence d’une direction bicéphale avec un fonctionnaire nommé par l’Etat qui administrait la commune et qui en était l’ordonnateur du budget, et un président du conseil municipal, autorité politique qui ne disposait pas de pouvoir d’administration et de gestion. Les communes à statut spécial furent supprimées, en 1990, par la loi du 8 octobre, parce que n’ayant pas produit les résultats escomptés.

Pays de longue tradition démocratique, le Sénégal est, aujourd’hui, à la croisée des chemins. Entre les réformes déconsolidantes héritées de la précédente gestion libérale et celles taillées sur mesure du régime de Macky Sall, la démocratie sénégalaise en a pris un sacré coup. Mais le fameux débat entretenu sur un probable statut particulier pour Dakar, serait la goutte de trop.

Si toutefois il venait à se concrétiser, il porterait un coup dur non seulement à la démocratie, mais à la décentralisation. Celle-ci précède même l’Etat sénégalais, bâti avec les indépendances en 1960. Or, la décentralisation au Sénégal a, en effet, des fondements séculaires. Elle remonte à la période coloniale, avec les premières expériences observées déjà à partir de Saint-Louis où existait le poste de maire en 1764. Le 10 août 1872, Saint-Louis et Gorée furent érigées en institutions municipales de plein exercice par un décret qui sera promulgué le 20 septembre de la même année. Le 12 juin 1880, le décret portant érection de Rufisque en commune est pris et sera promulgué le 7 septembre 1880. Sept ans plus tard, c’est-à-dire en 1887, plus précisément le 17 juin, le décret érigeant Dakar en commune est pris et est promulgué cinq mois plus tard, le 17 octobre 1887.

En 1972, l’acte de la décentralisation fut consacré. S’ensuivirent l’acte 2 en 1996, qui consacre la régionalisation, et l’acte 3 qui a opté pour une communalisation intégrale. Mais celui-ci a plus contribué à dépouiller les villes au profit des communes d’arrondissement, qu’à asseoir une véritable politique de décentralisation à même d’impulser un développement durable du pays à partir de la base que constitue la commune.

Doter Dakar d’un statut particulier permettrait au régime du Président Macky Sall, de contourner l’obstacle Khalifa Sall sans grande difficulté. Dès lors que le président de la République aura la latitude, de prendre un simple décret et de nommer directement le maire de la capitale.

Cette idée, si elle venait à se concrétiser changerait complètement la donne surtout en perspective des prochaines élections locales prévues au plus tard en juillet 2021. Le Président Macky Sall qui contrôle déjà la quasi-totalité des 557 collectivités territoriales du pays, aura désormais les coudées franches pour conquérir Dakar en perspective de 2022 et de 2024.

ASSANE MBAYE

 

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