Publié le 20 Dec 2020 - 06:31
SUPPRESSION DES VILLES

Les enjeux d’une réforme

 

Au vu du grand désordre engendré dans les territoires par les différentes réformes de la décentralisation, dont la dernière en date est l’acte III, ils sont nombreux, les experts et élus, à craindre que la politique ne prenne le dessus sur les enjeux véritables que devrait susciter la sortie du ministre en charge des Collectivités territoriales.

 

La guerre de la ville aura bien lieu. Si l’opposition et une bonne partie de la société civile s’organisent déjà pour sauver cette collectivité territoriale objet de toutes les controverses, la majorité n’entend pas se laisser faire. Même s’il n’y a pas encore de position officielle, tranchée, partagée de tous.

Joint par téléphone, le député et non moins président du Conseil départemental de Rufisque, Souleymane Ndoye, déclare : ‘’Le parti va se prononcer très prochainement. Maintenant, chacun peut avoir sa propre lecture. Ce que je peux dire, c’est que dans les textes, il n’y a pas d’équivoque possible, d’un point de vue strictement juridique. L’article 1er dit clairement : il n’y a que deux ordres de collectivité territoriale. Il s’agit de la commune et du département. C’est clair ! Maintenant, il y a l’article 167 qui dit qu’une ville peut être instituée pour regrouper plusieurs communes. Au cas échéant, il a le statut d’une commune. Pour moi, il y a effectivement des incohérences à corriger.’’  

A entendre l’argumentaire du député président de conseil départemental, c’est à se demander si l’acte 3 n’a pas créé un grand bazar. Que d’incohérences relevées par l’élu local. D’abord, fait-il remarquer, quand on prend les 14 régions du Sénégal, il y en a 12 où il y a deux ordres de collectivité territoriale. Deux seuls ont trois ordres de collectivité territoriale (Dakar et Thiès). En deuxième lieu, signale le Rufisquois, il y a l’exemple de l’Agence régionale de développement. Dans l’ensemble des 13 régions, c’est le président du conseil départemental qui préside l’agence. Sauf à Dakar où c’est le maire qui assure la présidence. Or, les textes prévoient que c’est le président du conseil départemental chef-lieu de région qui doit présider cette structure. Et last but not least, il y a le cas de la région de Dakar où un seul département (Rufisque) sur quatre a un conseil départemental. Pikine, Guédiawaye et Dakar n’en ayant pas.

Et de préciser : ‘’Je pense que c’est un débat légitime et pertinent. Un débat qui se veut très large, ouvert et opportun. Il ne faut pas y aller avec des postures politiques. Ce qui doit nous guider, c’est l’intérêt des populations. Je trouve qu’il y a trop de passion et cela ne permet pas de se poser les bonnes questions, en vue d’y apporter des réponses.’’

De l’échec des villes

Comment en est-on arrivé là ? Selon certains élus, c’est le bilan même des villes qui se pose. Premier adjoint au maire de Rufisque-Nord, Abdou Ndiaye déclare : ‘’Si vous regardez la configuration actuelle, la ville a tous les moyens, mais très peu de charges. Par exemple, la mairie-ville nous a envoyé des employés que nous devions prendre en charge. Mais il n’y a pas eu de transfert proportionnel de ressources. Avec un budget qui n’a pas trop bougé, la ville n’a rien fait, en tout cas pas à Rufisque-Nord. La ville n’ayant plus de territoires, ses ressources devaient profiter aux communes.’’

Dans tous les cas, estime Souleymane Ndoye, il est trop tôt pour se faire une religion. D’autant plus que personne ne sait encore dans quel sens ira la réforme. ‘’Les gens sont en train de réfléchir sur un bon format pour que les collectivités territoriales soient des collectivités compétitives et viables. Dans la situation actuelle, les communes n’ont pas les moyens qui sont concentrés dans la ville. Si vous prenez Rufisque, toutes les communes sont déficitaires. Si l’Etat n’intervient pas, elles ne peuvent même pas payer des salaires. Ce sont des choses qu’il faut revoir. C’est pourquoi je dis qu’il faut attendre de plus amples informations pour pouvoir se prononcer, de façon objective, dans un sens ou dans un autre.’’

La responsabilité du régime socialiste dans la déstructuration de la carte territoriale

Le débat est ainsi laissé. Faut-il supprimer les anciens arrondissements et nouvelles communes de plein exercice dans les villes ? Ou plutôt les maintenir et supprimer la ville ? Les réponses divergent. Une chose est sûre : tel que les découpages ont été faits dans les villes, il y a nécessairement des communes qui seraient lésées, si les ressources mutualisées par la ville devaient revenir aux communes ‘’ayants droit’’. D’où la grande interrogation du président du conseil départemental : ‘’Est-ce qu’il faut revenir à la formule ancienne d’avant 1996 ? C’est-à-dire avoir une seule commune ou continuer d’avoir les communes avec les villes qui vont jouer le rôle d’intercommunalité ? Là, ce sont les communes qui lui donneront les moyens. Voilà les vraies questions qui se posent, à mon avis. Mais on doit les poser sans passion.’’

En tout cas, les arguments ne manquent pas au parlementaire. Il invoque l’exemple des autres régions où l’on ne trouve pas de communes dans une commune, raille-t-il, comme à Dakar, Pikine, Guédiawaye et Rufisque. ‘’Cette situation, souligne-t-il, a été créée en 1996 pour régler des problèmes politiques. Il en est ainsi de l’érection des 19 communes de Dakar comme des trois communes d’arrondissement de Rufisque. Ces dernières n’étaient pas créées dans une logique de développement. A Rufisque-Nord, par exemple, il n’y a pas d’industrie…’’.

La vie de la ville ne tient que sur un décret

Si l’émiettement a été fait en 1996 par le régime socialiste pour des raisons politiciennes, la fissure est aujourd’hui difficilement réparable. Aucune commune ne voulant disparaitre au profit de l’autre, l’alternative la plus facile à mettre en œuvre, c’est de revenir à la situation ante. C’est-à-dire l’uniformisation avec les autres régions où il n’existe pas de ville.

Par ailleurs, le moins que l’on puisse dire, c’est que malgré la levée de boucliers, la vie de la ville ne tient qu’à un fil, u plutôt qu’à un décret. Comme le rappelle si bien M. Ndoye : ‘’Il ne faut pas perdre de vue que la ville est instituée par décret. Ce n’est pas comme le département et la commune qui sont institués par une loi.’’

Ainsi, il suffit d’un décret pour que tout change. Comme quoi, les choses pourraient s’accélérer en cette veille de la nouvelle année budgétaire.

Aux nostalgiques qui tiennent à la notion de ville, il rappelle ceci : ‘’Saint-Louis est la plus historique et elle n’a pas ce statut de ville. Avant 1996, il n’y avait pas la ville de Rufisque dans l’architecture territoriale. Cela n’empêche, de fait, il y a toujours eu la ville de Rufisque, de Dakar, de Thiès, etc. Comme Saint-Louis est une ville, Kaolack est une ville, Louga est une ville.’’

De plus, a-t-il renchéri, en quoi Thiès est plus ville que Kaolack, Louga, Ziguinchor ou autre ?  

DECLARATION ONG 3D

Vers la naissance du Mouvement pour le maintien des villes

Même s’il estime qu’il y a nécessité de faire des réformes pour régler certaines ambiguïtés et incohérences, le directeur exécutif de l’ONG 3D estime qu’il est hors de question d’admettre une suppression des villes.

D’ailleurs, annonce Moundiaye Cissé, les citoyens des villes concernées sont en train de mettre en place le Mouvement pour le maintien des villes (2MV). Il s’indigne : ‘’La suppression des villes est un reniement de plus à un pan très important de notre histoire. Il faut souligner que, même si leur institution en tant que collectivité locale remonte à plusieurs décennies avant les indépendances, la notion de ville reste plus que jamais conforme à l’air du temps.’’

Plutôt que de chercher à remettre en cause les villes, souligne le membre de la société civile, l’urgence serait de penser à une véritable réforme qui va permettre la mise en place de territoires viables et compétitifs porteurs de développement.

Par ailleurs, le directeur exécutif de l’ONG 3D met en garde contre toute réforme territoriale qui remettrait en jeu la carte électorale, élément fondamental dans l’organisation des élections au Sénégal. ‘’On ne peut toucher à la carte territoriale sans bouleverser la carte électorale. Nous invitons donc le ministre en charge de la Décentralisation et le gouvernement à revoir leur position et à veiller au renforcement de la démocratie, à travers la promotion de territoires viables et compétitifs’’, soutient M. Cissé.

MOR AMAR

 

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