Publié le 14 Jul 2022 - 15:14
UEFA

La Superligue a passé son grand oral

 

Lundi et mardi, les représentants de la Superligue européenne sont venus défendre leur projet devant les juges de la Cour de justice de l’Union européenne. L’instance devra ensuite donner un avis sur la légalité d’une telle compétition. Quitte à remettre en cause 65 ans de football européen.

 

Depuis avril 2021 et l’annonce de la Superligue européenne, tout s’est un peu déroulé en coulisses. Alors que l’idée n’avait perduré que 48 heures, ses représentants et défenseurs ont joué des coudes pour tenter de faire passer la pilule et s’éviter les sanctions de l’UEFA. De fait, l'institution européenne de football a tout mis en œuvre pour bloquer ce projet et l’annihiler. Depuis plus d’un an maintenant, quasiment toutes les réformes et les communications sont tournées contre la Superligue, jugée inique, inégalitaire, anti-sportive et surtout illégale. C’est sur ce point précis que l’European Super League (ESL), la société chargée de l’organisation de l’évènement, a soulevé la question, considérant que les traités européens donneraient raison à une liberté d’entreprendre et d’organisation, contre le monopole détenu depuis 1955 par l’UEFA.

C’est par l’intermédiaire du tribunal de commerce de Madrid que les choses ont commencé. Les juges de cette cour ont déposé une question auprès de la CJUE : l’UEFA bafoue-t-elle les traités et les normes juridiques européennes en s’arrogeant un monopole d’organisation dans les compétitions continentales de football ? Et c’est ces lundi 11 et mardi 12 juillet que les plaidoiries ont commencé, et les juges de la Cour de justice de l’Union européenne donneront leur réponse au plus tard le 15 décembre prochain. Officiellement dite non contraignante, elle pourrait néanmoins, si elle venait à donner raison à l’ESL, marquer à tout jamais l’écosystème du football international.

Combat de juristes à coups d’articles de traités européens

Durant les auditions et les plaidoiries, Fernando Irurzun, avocat du cabinet Clifford Chance qui représente l’ESL, a mis en avant l’article 101 du traité de fonctionnement de l’Union européenne, votée en 2009, qui affirme le strict respect de la concurrence et interdit toute forme de monopole non naturel. À ce titre, il apparaîtrait donc, juridiquement parlant, que l’UEFA n’aurait pas le droit d’organiser seule une compétition sportive, voire de sanctionner toute équipe ou tout joueur qui participerait à une compétition dissidente. Face à cet argument, le représentant de l’UEFA, Donald Slater, confronte l’article 101 à l’article 165, du même traité de fonctionnement de l’UE, et rappelle « la spécificité du modèle sportif européen » . Cet article assure aux modèles sportifs une certaine spécificité, car ils assurent partage, redistribution et bien-être, et n’auraient pas à respecter les règles économiques standards. Entendez par là la concurrence, le libre-marché et la liberté d’entreprendre.

Slater rappelle le partage permanent de l’UEFA, qui via ses dotations financières issues des recettes commerciales et des droits télé, redistribuerait la quasi-intégralité de ses gains aux clubs européens, qu’ils participent ou non à la Ligue des champions ou aux Ligue Europa et Ligue Europa Conférence. Il a d’ailleurs plusieurs fois répété, lors de son passage à l’oral, le terme de « développement soutenable du football pour tous » ( « sustainable development of football for all » en VO). Aucune logique spéculative ou lucrative, seul compterait, aux yeux de l’UEFA, la solidarité et l’équité. Un modèle spécifique qui entrerait alors totalement en principe avec l’article 165 et qui empêcherait qu’une entité privée mue par des objectifs de lucrativité et de profit s’arroge le droit de faire concurrence.

L’UEFA : une bizarre​rie juridique ?

Sauf que là, il y a bien eu un combat de juristes. Selon Fernando Irurzun, « le traité de l'UE parle de la dimension européenne du sport et ne parle pas du modèle sportif européen. L'ESL, organisme privé, est engagée à organiser des compétitions pleinement cohérentes avec la dimension européenne du sport. Est-ce que le Tour de France cycliste ou les VI Nations sont contraires à ces idéaux simplement parce qu'ils sont organisés par des sociétés privées ? La plupart des compétitions sportives professionnelles sont dans la situation opposée à celle de l'UEFA et de la FIFA. En rugby, vous avez un tournoi international organisé par une société dans laquelle un fonds d'investissement (CVC Capital Patrners, NDLR) a une participation » . De plus, Irurzun affirme, contrairement à ce qui a pu être dit depuis un an, que sa compétition sera ouverte, qu’elle accueillera des clubs qui auront gagné leur place sportivement, et que des centaines de millions d’euros de gains seront redistribués à des clubs dans le besoin, professionnels comme amateurs. Vraiment ?

L’autre point d’achoppement concernait les prérogatives contradictoires de l’UEFA, qui serait à la fois l’instance régulatrice du football et l’instance organisatrice. Un mélange des genres soulevé par les représentants de l’ESL. L’UEFA serait juge et partie, elle s’appliquerait les règles qu’elle se serait elle-même fixées. Au contraire, pour eux, il faudrait un organe de régulation international du football et des entités commerciales organisatrices, respectueuses des règles fixées en amont.

Interrogés en coulisses, deux membres de la CJUE auraient déjà admis que l’UEFA disposait d’un monopole contraire aux traités de l’Union européenne et qu’il fallait le remettre en cause. Néanmoins, pour que l’ESL ait aussi une légalité et une légitimité d’existence, elle devra aussi se plier aux desiderata de la cour, qui pourrait lui imposer un respect des modèles spécifiques du sport européen, faits de partage et de solidarité. Parce que même si juridiquement, une réponse sera apportée, rien ne dit qu’elle soit acceptée par les supporters européens. Certains d’entre eux ont même lancé une pétition - Win It On The Pitch (Gagner sur le terrain) – visant à mettre définitivement fin à la Superligue. Les choses se décanteront d’ici le 15 décembre, date de la réponse de la CJUE. Affaire à suivre...

 

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