Publié le 22 May 2025 - 13:39
Vision 2050

En finir avec les agences budgétivores du secteur parapublic au Sénégal

 

Le Sénégal a toujours  été marqué par un secteur parapublic aux effectifs pléthoriques, la corruption et la mauvaise gouvernance.  C’est pourquoi, Le 30 avril 2025, lors du Conseil des ministres, le Premier ministre Ousmane Sonko a clairement identifié deux priorités majeures pour l’action publique : la prise en charge des entreprises publiques en difficulté et la modernisation profonde de l’administration sénégalaise. Dans un contexte où le tissu économique national peine à atteindre son potentiel, les entreprises du secteur parapublic sont appelées à jouer un rôle déterminant dans la relance de l’investissement, la compétitivité des entreprises locales et la création massive d’emplois. Pour le chef du gouvernement, ces entités doivent devenir des leviers structurants de la transformation économique, à condition toutefois qu’elles soient assainies et placées sous une gouvernance rigoureuse et transparente.
Cette démarche s’inscrit dans une vision plus large : celle de l’Agenda de Transformation nationale et de la Vision Sénégal 2050, pour laquelle la modernisation de l’administration publique constitue un pilier incontournable.
Un appareil public figé et inefficace
Malgré les alternances politiques et les discours réformateurs, la réalité du terrain est marquée par une stagnation des pratiques. Le dispositif d’appui au secteur privé reste largement inchangé. Des structures comme l’APIX, l’ADEPME, le FONGIP, le FONSIS, la DER ou encore la BND continuent d’opérer selon des logiques similaires, avec des missions parfois redondantes, une coordination institutionnelle faible et une culture du résultat quasi absente. Les ressources financières mobilisées, souvent substantielles, sont dispersées dans une multitude de programmes sans effets visibles sur l’investissement productif ou sur la transformation structurelle de l’économie nationale.
Dans plusieurs cas, ces structures ne sont pas évaluées sur la base de leurs performances réelles, mais maintenues pour des raisons politiques ou clientélistes. Les doublons administratifs, les lenteurs procédurales et l'absence de convergence stratégique affaiblissent leur efficacité. Le diagnostic est connu depuis des années, mais les mesures de réforme ont souvent été timides ou diluées dans des plans sans suite concrète. Il est donc urgent de rompre avec cette inertie et de replacer la logique d'efficacité, de transparence et de redevabilité au cœur du secteur parapublic.

*Des entreprises emblématiques de la dérive publique*

La Poste : La crise de La Poste sénégalaise est symptomatique des défaillances de gestion dans les entreprises publiques. Marquée par le clientélisme dans l’attribution des marchés et un népotisme massif dans les recrutements, elle souffre d’un surdimensionnement des effectifs, d’une faible productivité et d’un modèle économique obsolète. Alors que le numérique et la logistique moderne offrent de nouvelles opportunités, l’entreprise peine à se moderniser et à diversifier ses services. Les nombreuses subventions de l’État n’ont fait que retarder un inévitable déclin en l’absence de réforme structurelle et de plan de transformation viable.

Air Sénégal SA et AIBD SA : Ces deux entités, qualifiées par le gouvernement de “patients au pronostic vital engagé”, concentrent à elles seules l’échec d’un pilotage stratégique déficient. Depuis sa création en 2018, Air Sénégal a reçu plus de 181 milliards FCFA, mais affiche toujours une dette supérieure à 118 milliards et des pertes cumulées de près de 150 milliards sur les deux dernières années. Le recours massif à la location d’avions (plus de 100 milliards FCFA) n’a pas été accompagné d’un modèle économique soutenable ni de mécanismes de redressement efficaces.
De son côté, AIBD SA fait face à une situation critique. En 2024, ses ressources propres ne représentaient qu’un quart de son budget prévisionnel. L’effectif a triplé en trois ans, sans justification fonctionnelle. Le recours à des contrats classés secret-défense pour un montant de 200 milliards FCFA soulève de graves préoccupations en matière de gouvernance. Le Premier ministre a ainsi ordonné des audits en profondeur, la renégociation de la concession avec LAS (Limak/AIBD/Summa) et une reprise en main stratégique progressive dans une logique de souveraineté.

La DER/FJ : Présentée comme un levier de soutien à l’entrepreneuriat, la DER continue à fonctionner sur des bases peu transparentes, où les logiques politiques dominent sur les critères économiques. Les crédits sont attribués sans ciblage pertinent, ni en termes de filières stratégiques, ni en fonction de zones à fort potentiel. Aujourd’hui des femmes du 3ème âge, percevant des pensions de retraire, sont entrain de bénéficier de ses financements alors que des millions de jeunes sont dans un chômage chronique. L’absence de mécanismes efficaces de remboursement et de suivi expose le dispositif à des risques majeurs de détournement et d’inefficacité. En l’état, la DER ne remplit pas sa mission de transformation productive et reste perçue comme un instrument politique.
*Une crise enracinée dans l’histoire du secteur public sénégalais*

La crise actuelle n’est que la résurgence d’un mal ancien. Dès les années 1970 et 1980, des entreprises comme l’ONCAD ou la BNDS avaient déjà montré les limites d’un secteur parapublic mal gouverné. L’ONCAD, censé encadrer les filières agricoles, a sombré dans la corruption et l’inefficacité avant sa disparition. La BNDS, bras financier du développement, a été ruinée par les impayés et une gestion laxiste. Ces expériences ont alimenté la crise des finances publiques, ouvrant la voie aux ajustements structurels imposés par les bailleurs.

Les Industries Chimiques du Sénégal (ICS) constituent un autre exemple emblématique de l’échec du secteur parapublic. Créées dans les années 1970 pour valoriser les ressources phosphatières du pays, les ICS étaient un fleuron industriel et un moteur d’exportation. Pourtant, au début des années 2000, elles ont sombré dans une crise profonde, marquée par un endettement insoutenable, une gouvernance déficiente et une obsolescence des équipements. Les conflits sociaux, les retards de salaires et la chute de la productivité ont précipité leur faillite. Malgré leur importance stratégique, elles n’ont été ni modernisées à temps, ni efficacement pilotées. Cette faillite a eu un impact majeur sur l’économie nationale, notamment par la perte de recettes d’exportation, la détérioration du tissu industriel et la précarisation de milliers de travailleurs. Les ICS illustrent à quel point l’absence de vision stratégique et la politisation de la gestion peuvent ruiner un secteur pourtant porteur.

Le temps est venu de tirer les leçons du passé et d’engager des réformes courageuses, cohérentes et durables, appuyées par une volonté politique forte et des mécanismes rigoureux de pilotage et d’évaluation.

*Un impératif de réforme structurelle et de dépolitisation*

Pour sortir de cette spirale d’échecs, des réformes structurelles s’imposent avec urgence. Au cœur de ces réformes, une priorité absolue doit être affirmée : la dépolitisation des agences et entreprises publiques. Cela implique de rompre avec les pratiques de nominations partisanes, au profit d’une professionnalisation de la gouvernance, fondée sur des processus de sélection basés sur la méritocratie et la  transparence. Les dirigeants de ces entités doivent être choisis sur la base de leurs compétences, de leur expérience, et de leur capacité à produire des résultats mesurables.

Par ailleurs, il peut être envisagé la privatisation de la gestion de certaines entreprises ou agences publiques, à travers des partenariats public-privé rigoureusement encadrés. Ces délégations doivent se faire sur la base de cahiers des charges précis, avec des objectifs de performance, des obligations de transparence, et des mécanismes de contrôle public renforcés.

Ces réformes doivent s’articuler autour de quelques piliers fondamentaux :
- Une évaluation indépendante de toutes les agences et entreprises publiques ;
- La clarification des missions et la suppression des structures redondantes ;
- La mise en place de comités de gestion et de conseils d’administration  dotés d’autonomie, mais soumis à une obligation de résultats ;
- La digitalisation des procédures et l’amélioration de la transparence budgétaire ;
- La création d’un dispositif de suivi, d’audit et de reddition des comptes dans chaque entité.
Vers un État stratège et efficace
La Vision Sénégal 2050 repose sur une administration performante et un secteur public rénové. Cette ambition ne pourra se concrétiser sans une rupture nette avec les pratiques anciennes. Le pilotage des agences et entreprises publiques doit désormais obéir à des critères de compétence, d’efficacité et de transparence. Il s’agit de faire émerger un État stratège, capable de mobiliser ses instruments pour servir le développement, et non de les laisser dériver comme des gouffres à milliards ou des instruments politiques partisans. Le temps de l’action est venu : il faut réformer pour transformer.

Pr Amath NDiaye
FASEG-UCAD
20/5/25

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