Publié le 27 Feb 2016 - 23:26

Wiri Wiri, les raisons du succès 

 

Joué par la troupe ‘’Soleil Levant’’ de Thiès, Wiri Wiri, qui en est à sa première saison, marque une évolution sensible dans la construction du récit.  Même si la bande à Saa Neex exploite la recette immuable qui fait le succès des télénovelas sud-américaines : amour, revanche, trahison.

 

Wiri Wiri (détours et contours, en wolof) relate les déboires d’une jeune et belle femme, Soumboulou. Son mari émigré, elle vit sous le même toit qu’une belle-mère odieuse. Elle quitte le domicile conjugal pour retourner dans sa maison familiale. Là, elle doit subir les cruautés d’un homme, (Saa Neex), le mari de sa mère, qui ne le supporte pas.  Désemparée, elle  tente  de se suicider.  

Avec des visages qui sont familiers aux téléspectateurs sénégalais depuis une dizaine d’années sur les écrans, Wiri Wiri s’est imposé parmi les rendez-vous télévisuels les plus suivis. Soumboulou Bathily, silhouette généreuse, mannequin, animatrice de télé à l’occasion, est le principal personnage de ce feuilleton autour duquel se déroule la trame. Saa Neex et sa troupe Soleil Levant ont laissé le registre du gag comique et de la comédie pour une écriture plus soutenue qui mêle, dans un savant dosage, amour, haine et trahison.

 L’histoire ? Soumboulou est à la croisée des haines. Honnie de sa maison familiale et détestée dans son foyer conjugal, elle vit une double misère.  Mariée à un émigré (Cheikhouna),  elle subit les affres de sa belle-famille. Privée de nourriture, maltraitée, elle perd sa grossesse suite à un coup de poing  fatal au ventre lors d’une altercation avec son beau-frère. Sa grossesse  fait l’objet de supputations malveillantes d’adultères.  Et on lui trouve une coépouse. Elle doit partager son homme avec la petite fille qu’elle a élevée. Manipulé par sa mère, Cheikhouna répudie sa femme au bout du fil.

Ayant accumulé toutes ses souffrances, elle pense, assez naïvement,  à se suicider. Etendue sur les rails, elle attend que le train lui passe dessus, elle est sauvée de justesse par un homme Jojo (Cheikh Ndiaye), décidé à être son bienfaiteur…

Il la tire de l’enfer. Mais c’est un court moment de répit.  Soumboulou ressemble à un sans-papier au pays du bonheur. Les scènes qu’elle joue mieux, c’est sans doute celles où elle pleure. Elle est très vite rattrapée par son divorce litigieux et hâtif. Son ex-mari, Cheikhouna, refait surface dans sa vie, réclame presque un droit de propriété sur elle. Le passé de son nouveau mari également, très probablement mêlé à des histoires de crime. Que cache du reste ce surnom loufoque  Jojo ?

Le scénario de Wiri Wiri est dans le style purement mélodramatique avec des effets de suspense.

Pourquoi ‘’Saa Neex ‘’ voue-t-il une haine si terrible à sa belle-fille Soumboulou ? Pourquoi celle-ci n’est guère mieux supportée dans sa belle-famille,  notamment par sa belle-mère ? Les supputations les plus audacieuses prédisent une relation amoureuse entre Saa Neex et la mère de Cheikhouna, un amour de jeunesse qui aurait mal tourné. En tout cas, le nom du feuilleton, Wiri Wiri, inspiré d’un dicton wolof,  évoque la fatalité et annonce une sentence finale qui retentira comme une vérité définitive.  Le titre promet un dénouement  qui se fera au grand jour, ce qui crée une  situation d’attente. Ce qui captive le public également, c’est  que Wiri Wiri joue sur les confusions et usurpations, dont le téléspectateur est conscient, à l’insu des protagonistes eux-mêmes.

Ce qui donne au téléspectateur le sentiment de détenir les clés de l’intrigue. Par exemple,  pendant plusieurs épisodes, Cheikhouna s‘est démené comme un beau diable pour récupérer sa femme remariée à un autre homme. Il est  activement aidé en cela par son ami et patron Jojo, qui va jusqu’à lui payer un avocat pour arracher Soumboulou à son nouveau mari. Or, il se trouve que ce mari en question, c’est… Jojo lui-même.  Wiri Wiri évoque des chemins de contournement, mais où toutes les voies mènent à la même issue. Un scénario à tiroirs où les choses s’imbriquent.

 Les personnages sont parfois manichéens, stéréotypés. Le bon d’un côté, le méchant de l’autre. Les  hommes sont animés par une volonté de conquête de puissance  (femmes et argent). Les  personnages féminins courent derrière le bonheur conjugal. Soumboulou, l’héroïne, est l’incarnation de la soumission maritale. Son salut ne passe que par les liens du mariage.

 Le bon accueil du public doit beaucoup à la proximité. Les histoires racontent en langue locale le vécu des Sénégalais. Le film mélange savamment les thèmes traditionnels (rapports familiaux) aux  problèmes de société. La série Wiri Wiri met bien en exergue la souffrance des femmes mariées à des émigrés qui vivent dans la solitude, dans l’attente  du mandat postal ou de western union, soumises aux desiderata de la belle-famille. En filigrane, la série aborde de façon sibylline la question de la polygamie, mais du point de vue des femmes. Juridiquement, Soumboulou est  bigame, puisqu’elle est mariée à deux hommes.

L’envers de la médaille, c’est que la recherche du succès fait que les télénovelas sénégalaises misent à fond sur des thématiques sentimentales, mais souvent avec une esthétique assez pauvre. D’où les difficultés à les exporter sur les chaînes étrangères. 

ABDOU RAHMANE MBENGUE

 

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