Publié le 4 Jun 2025 - 04:48
WOODSIDE ENERGY PORTE PLAINTE CONTRE LE SÉNÉGAL

Un contentieux fiscal aux portes du Cirdi

 

C’est un nouvel épisode dans la délicate relation entre le Sénégal et l’un de ses principaux partenaires pétroliers. Le 30 mai 2025, la société australienne Woodside Energy a déposé une plainte officielle contre l’État du Sénégal auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi), une institution rattachée à la Banque mondiale et spécialisée dans les conflits entre investisseurs étrangers et États. 

 

L’affaire, qui désigne le ministère sénégalais du Pétrole et des Énergies comme défendeur, trouve son origine dans un différend fiscal remontant à août 2024. En toile de fond, des tensions autour des règles fiscales, des ambitions souverainistes de l’État sénégalais et la volonté de Woodside de défendre ses intérêts dans un projet stratégique à plusieurs milliards de dollars : le champ pétrolier et gazier de Sangomar.

Un litige d’apparence technique, mais à portée géopolitique

Le projet de Sangomar, situé au large des côtes sénégalaises, est le tout premier développement offshore pétrolier du pays. Il incarne une étape cruciale dans les ambitions énergétiques du Sénégal. Woodside Energy, qui détient 82 % de participation dans ce champ, en est l’opérateur principal. L’autre actionnaire est Petrosen, la société nationale sénégalaise, avec 18 %. Alors que la première extraction de pétrole a été officiellement lancée cette année, l’enthousiasme s’est quelque peu émoussé, à la faveur de tensions récurrentes autour de la fiscalité appliquée à l’entreprise australienne.

Le contentieux remonte à l'année 2024, lorsqu'une évaluation fiscale de l'Administration sénégalaise avait estimé à 41 milliards F CFA – soit environ 68,68 millions de dollars – le montant que Woodside devait à l’État. L’entreprise avait immédiatement contesté cette évaluation, considérant qu’elle ne reposait sur aucun fondement solide. En août 2024, elle avait saisi la justice sénégalaise pour en contester la légalité.

Selon des sources proches du dossier, des négociations ont été engagées entre les deux parties dans les mois qui ont suivi et des avancées ont été notées sur plusieurs points. Mais certaines zones d’ombre sont demeurées. C’est cette absence de résolution complète qui aurait motivé la décision de Woodside d’internationaliser le conflit en recourant à l’arbitrage du Cirdi.

‘’Woodside est fermement convaincu d’avoir agi conformément aux réglementations en vigueur… et il n’y a pas d’impôts en suspens à payer’’, a déclaré un porte-parole de l’entreprise dans un courrier adressé aux médias internationaux, dont Reuters. Ce dernier précise que l’entreprise a agi de bonne foi, tout en signalant que le dépôt de cette plainte ne doit pas être interprété comme une rupture totale avec les autorités sénégalaises, mais plutôt comme une démarche de dernier recours.

À Dakar, c’est le silence radio. Sollicité pour commentaire, le ministère du Pétrole et des Énergies n’a pas réagi dans l’immédiat. Une attitude qui, selon certains observateurs, traduit une certaine réserve de la part des autorités sénégalaises, à un moment où le gouvernement affiche sa volonté de défendre farouchement les intérêts du pays dans tous les contrats stratégiques.

Entre fiscalité souveraine et crédibilité de l’environnement des affaires

Cette plainte au Cirdi relance un débat sensible au Sénégal : celui de la souveraineté économique et de la légitimité des évaluations fiscales imposées aux multinationales. Depuis l’alternance politique de mars 2024, incarnée par le président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko, le nouveau pouvoir affiche une volonté claire de réviser certains contrats et de renforcer le contrôle fiscal sur les grandes entreprises, notamment étrangères. Plusieurs audits ont été lancés dans les secteurs de l’énergie, des mines et des télécommunications.

Dans ce contexte, certains y voient une tentative de sabotage de l’action du gouvernement par des acteurs étrangers hostiles à la rupture. D’autres, au contraire, le qualifient d’un juste rééquilibrage des rapports de force, après des décennies de contrats jugés léonins et souvent conclus dans des zones d’opacité.

Mais cette posture offensive n’est pas sans risque. Le recours de Woodside au Cirdi pourrait impacter la perception du climat des affaires au Sénégal. Si ce différend n’est pas rapidement résolu, le pays pourrait être perçu comme un État instable ou peu respectueux des droits contractuels des investisseurs, ce qui serait préjudiciable dans un contexte où le Sénégal cherche à attirer davantage de capitaux pour développer ses infrastructures énergétiques.

Le Cirdi, arbitre de dernière instance

Le Cirdi est une juridiction d’arbitrage international créée en 1966 dans le cadre de la Banque mondiale. Il est spécifiquement conçu pour trancher les litiges entre investisseurs étrangers et États signataires de la Convention de Washington. Le Sénégal, qui en est membre, est donc tenu de coopérer avec cette institution si le processus d’arbitrage est activé.

L’expérience du Cirdi dans la région n’est pas inédite. Plusieurs pays africains ont déjà été condamnés à verser de lourdes compensations à des multinationales, à la suite de litiges similaires. En cas de décision défavorable, le Sénégal pourrait être contraint de payer des indemnisations ou pire, de voir ses avoirs gelés à l’étranger. Mais à ce stade, il est trop tôt pour prédire l’issue de la procédure.

Le litige entre Woodside et l’État du Sénégal intervient à un moment charnière pour l’économie du pays. Le début de la production de pétrole à Sangomar a été présenté comme une étape décisive vers la transformation économique du Sénégal, avec l’espoir de générer des milliards de recettes fiscales et de renforcer l’indépendance énergétique. Mais si les relations avec l’un des principaux opérateurs se détériorent, les effets pourraient être dévastateurs, non seulement en termes de recettes, mais aussi sur le plan de la crédibilité internationale.

Pour beaucoup d’observateurs, la souveraineté ne se décrète pas, elle se construit dans l’équilibre entre fermeté nationale et respect des engagements internationaux. Le bras de fer qui s’annonce avec Woodside sera donc scruté de très près, aussi bien à Dakar qu’à Canberra, Washington ou Paris.

AMADOU CAMARA GUEYE 

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