Publié le 14 Apr 2021 - 15:35

Y a-t-il des problèmes dans les relations économiques entre le Sénégal, la France et l’UE ?

 

Pour répondre objectivement à cette question, il nécessaire d’analyser ces relations à travers les exportations et les importations du Sénégal  avec ces deux partenaires économiques stratégiques, avant d’aborder  les conséquences pour le Sénégal, et ensuite,  les voies et moyens nécessaires pour résoudre ces problèmes éventuels

I)Analyse du commerce extérieur du Sénégal en direction de la France et de l’UE

En 2020, pour les exportations vers l’UE ont atteint  253, 9 milliards de Fr CFA, soit  14,25% du total,  contre  16,67% en 2011

En direction de la  France, elles ont été de 47, 4 milliards  De la de Fr CFA soit  2,47 %  du total,  contre 4,6% en 2011

 Pour les importations de l’UE, elles ont été de 1 629 ,2 milliards de Fr CFA soit 39,4 % contre 39,4% en 2011

 De la France, elles été de 719, 9  milliards de Fr CFA, soit  17,5% contre 20% en 2011.

Ainsi les exportations vers la France sont passées de  4,6% en 2011 à 2,47% en 2020, et vers l’UE, de 16,67% à 14,25%. 

Donc, aujourd’hui, nos exportations dépendent moins du marché Français, et du marché de L’UE.

Pour les importations, elles sont venues de France pour   20% en 2011  pour tomber à 17, 52%   en 2020, alors qu’elles ont quasi stagnées  39,4% venant de l’UE.

Ainsi, l’Economie du Sénégal en 2020 dépend moins de la France et de l’UE  pour ses exportations par rapport à 2011.

Pour ses importations, elle dépend aussi, moins de la France par rapport à 2011, pendant que sa dépendance de l’UE ne s’est pas aggravée.

Donc, ceux qui disent que notre Economie sous le Président Macky Sall dépend plus de la France que sous Wade, ont tout faux.

Mieux,  notre dépendance économique de l’UE ne s’est pas aggravée, indiquant que les autres pays  de l’UE ont grignoté sur les parts de marché de la France.

Ainsi, tant pour ses exportations que pour ses importations, l’Economie du Sénégal dépend plus des autres pays de l’UE que de la France, et dépend plus du reste du monde que de l’UE.

Sous le Président Macky Sall,  le Sénégal a  donc recouvert plus de souveraineté économique par rapport à la France, et dépend plus du reste du monde que de l’UE.

Cette situation acontrastée de l’évolution de nos rapports économiques avec la France et l’UE, est illustrée dans  notre balance commerciale qui  est structurellement déficitaire, dans laquelle en 2020, sur un déficit total de 2 173,  8 milliards,    l’UE pèse pour 63,2% de ce déficit, avec  1375,3 milliards  de Fr CFA, dont 672,5 milliards pour la France !

II) Quelles sont les causes de ce  déficit structurel ?

Ce déficit structurel est dû au poids important  des entreprises Françaises  dans l’Economie du Sénégal, qui, selon un « Communiqué officiel du Ministère français des Affaires Etrangères » à la veille  du 14 Juillet 2010, commémorant le « Cinquantenaire des Indépendances Africaines » se traduisait  déjà en ces termes :

 « Les entreprises françaises installées au Sénégal, au  nombre de trois cents (300), contribuent à 14% des exportations et à 18% des  importations du pays ».

En 2020, leur contribution aux exportations s’est effondrée à 2,47%,  et  a stagné pour les importations  à 17,5%   contre 18% en 2010.

Donc les entreprises Françaises entretiennent un déficit structurel de notre Balance commerciale,  et l’ont aggravé durant la dernière décennie.

Cette situation est entretenue par l’appartenance du Sénégal à la Zone Franc, dont la monnaie, le Fr CFA  est rattachée à l’Euro par une parité fixe.

En effet, une «  Etude de la Direction de la Prévision et des Etudes Economiques » (DPEE) intitulée : « Différentiel d’inflation dans une Union Monétaire : le cas de l’UEMOA », publiée en Août 2010,  conclut en ces termes : 

«  Le schéma actuel veut que l’U.E vende aux pays de l’UEMOA des biens à contenu de travail qualifié, tandis que ceux-ci lui fournissent des biens primaires ou de première transformation ».

Ainsi, « les biens primaires ou de premières transformation » dont la France a besoin  au Sénégal furent historiquement  les  phosphates, les produits arachidiers,  maraichers, et halieutiques.

Etant donné que le Soja s’est substitué aux produits arachidiers pour satisfaire la demande intérieure en produits oléagineux,  et les phosphates du Maroc, à ceux du Sénégal, Les exportations des entreprises Françaises vers la France se sont littéralement effondrées, et  elles durent partager les produits maraichers et halieutiques avec les autres  entreprises européennes installées au Sénégal à la faveur de l’arrimage du CFA à l’Euro.

C’est cela qui explique l’effondrement de la part des entreprises Françaises dans nos exportations, et la substitution de celles-ci par les autres entreprises des pays de l’UE, qui ont grignoté  leurs parts de marché vers l’Europe, tout en ne  parvenant pas à augmenter leurs parts par rapport à leurs concurrents du  reste du monde, du fait de la sur évaluation de  l’Euro par rapport aux autres monnaies.

L’agressivité des autres entreprises européennes est handicapée par leur insuffisance de     compétitivité  par rapport au reste du monde, d’où la stagnation de la part de l’UE  dans les importations du Sénégal durant la décennie écoulée.

La croissance de l’Economie  du Sénégal durant  la décennie a  donc  surtout profité au reste du monde, notamment à la Chine,  qui est favorisée entre autre, par la faiblesse de sa monnaie par rapport à l’Euro, constituant une aubaine pour  les entreprises sénégalaises, qui déjà, selon le sondage de  Performance Group, SAARA 2013-2014, portant  « Baromètre des rémunérations  des entreprises du secteur moderne au Sénégal »  représentaient 36%   du nombre des entreprises locales,  contre 64% des entreprises  qui sont des filiales étrangères, notamment européennes, avec une présence dominante d’entreprises Françaises.

C’est cette configuration de notre Economie et des entreprises du secteur moderne qui font, que le Fr CFA Franc rattaché à l’Euro, donne l’opportunité aux entreprises européennes localisées au Sénégal, d’importer d’ Europe des   produits semi fins pour leurs entreprises et des produits finis pour le marché local et dans l’ UEMOA, tandis que  les entreprises  sénégalaises , trouvent, avec l’ Euro, un puissant pouvoir d’achat dans le reste du monde, contribuant ainsi  à libérer notre Economie de l’emprise de la France et de l’UE.

Il n’est donc pas étonnant, que celles – ci soient  les grandes absentes du débat sur le retrait du Sénégal de la Zone Franc, le laissant aux activistes et autres Universitaires qui ne sont impliqués ni de près ni de loin dans les relations économiques entre le Sénégal, la France et l’UE.

III)  Conséquences d’une telle configuration de l’Economie 

Les conséquences de cette configuration de notre Economie, sont défavorables à nos exportations,  donc à nos capacités d’endettement extérieur,  dont le Service de la dette est plafonné à 25% des recettes d’exportations,  mais aussi,  et surtout, à toute politique d’industrialisation pour créer les conditions de progression vers une Economie émergente.

Il est donc nécessaire pour les pays de l’UEMOA qui  connaissent une Balance commerciale structurellement déficitaire vis-à-vis de la France et de l’UE, en attendant l’avènement de la monnaie sous régionale l’Eco, de la CEDEAO, de prendre les mesures politiques nécessaires pour compenser ce handicap pour leur développement.

Aux Etats Unis, pour compenser  le handicap que constitue le déficit commercial excessif par rapport à la Chine et à l’UE, à cause des  délocalisations,  le Président Donald Trump  avait tourné le dos  au libre -échange, pour prendre des mesures protectionnistes sévères et des mesures  de baisse de la fiscalité sur les entreprises de 33% à 21 %, pour créer les conditions de la relance forte de son Economie et  de création d’emplois.

Trump  a ainsi démontré,  que le ré équilibrage de la  Balance commerciale est un facteur important pour la relance de l’Economie.

 

Mais au Sénégal, il ne s’agit pas de créer des conditions, par de telles mesures protectionnistes, pour ramener des entreprises délocalisées, mais il s’agit pour l’Etat, de créer des conditions pour  disposer de capacités d’investissement afin de créer des conditions de croissances forte et durable, porteuse d’emplois décents en vue de réduire le chômage et la pauvreté.

C’est pourquoi,  dès son accession au pouvoir, le Président Macky  Sall  avait  pris le contre- pied de la voie choisie par Trump,  en augmentant  la fiscalité sur les Entreprises de 25%, où le Président Wade l’avait ramenée à partir de 33%, pour la porter à 30% !

 En effet, dans une Economie comme celle du Sénégal, où la création de richesse dans le secteur moderne, est fortement  concentrée entre les mains des grandes entreprises qui ont un chiffre d’affaires de deux milliards et plus  de    Fr CFA,  cette mesure fiscale  a permis d’augmenter nos capacités d’endettement  pour faire face aux besoins d’investissement dans son «Programme de Sénégal Emergent » (PSE), et  de remboursement du Service de la dette extérieure, qui est mesurée à 35% des recettes fiscales.

Cette forte concentration est illustrée en 2018 par le fait que ces grandes entreprises  qui représentent  que 5,2% des unités répertoriées  dans le secteur moderne, sont celles qui ont le plus contribué à cette création de richesse  avec une part de 89,4%.

Mais cette relance de la croissance par la fiscalité a atteint ses limites d’efficacité dès 2019, où le taux de croissance de l’Economie a commencé a flanché.

C’est ainsi que la croissance économique du Sénégal est  ressorti  à 4,4% en 2019, après 6,2% en 2018.

Cette situation est donc  le résultat de  notre appartenance à la Zone Franc, dont les effets sur notre commerce extérieur ont été aggravés  par l’arrimage du Fr CFA à l’Euro avec une parité fixe.

Dans une telle situation, où le Sénégal devrait avoir plus d’opportunité à exporter vers l’ UE, et à importer du reste du monde avec le puissant pouvoir d’achat que lui offre l’ Euro,  l’  Economie nationale vit le contraire, en entretenant un  énorme déficit structurel avec la France et  l’UE.

 Il est donc important de considérer que, tant que la Zone Franc reste en vigueur, que le second levier à la disposition des pays de l’UEMOA comme le Sénégal, outre que la fiscalité,  consiste à définir une  politique d’emprunt sur le marché des capitaux, basée sur nos exportations,  afin  de  subvenir aux besoins de financement de l’investissement  public pour une croissance forte et durable de l’Economie nationale.

Ces besoins de financement vont au-delà de ce que peuvent procurer les économies budgétaires sans plomber le fonctionnement de l’Etat et des services sociaux de base dans l’Education et la Santé,  et la lutte contre la corruption,  dans lesquelles,  le FMI, la Banque mondiale et l’UE ont enfermé nos Etats, dans le cadre de «critères de convergence budgétaire », pour qu’ils laissent la place au privé dans nos Economies nationales.

Pour aller au-delà de ces recommandations d’économie budgétaire et de lutte contre la corruption, qui devraient continuer d’être menées avec vigueur,  il est indispensable pour le Sénégal, comme pour les pays de l’ UEMOA dans cette même situation,   de mener une forte politique  visant à lever tous les obstacles structurels qui plombent nos exportations, dont 25% du montant peuvent servir de référence pour pouvoir  assurer le Service de la dette extérieure, qui est au fondement, pour les pays en développement, de leur accès dans le marché des capitaux.

 Ainsi se pose, l’impérieuse nécessité de trouver les voies et moyens les plus appropriés pour  compenser ce déséquilibre de  notre balance commerciale vis à vis de la France et de l’UE, dans un contexte où nos exportations vers elle,  sont structurellement bloquées.  

D’où la nécessité d’exiger de la France et de l’UE, une compensation du blocage structurel de ses exportations à leur destination, qui entravent grandement notre capacité d’endettement pour faire face aux besoins d’investissement dont souffre énormément notre Economie, et l’emploi, et partant,  toute politique de réduction de la pauvreté.

IV) Quels voies et moyens pour s’en sortir ?

Ainsi, en 2020, l’Union Européenne a amputé  du  Sénégal  25% de ses recettes d’exportation correspondant à son déficit commercial de 1 375 milliards de  Fr CFA,  soit 348, 83 milliards, dont la France, avec  168,12 milliards, qui sont autant de réduction de notre potentiel à faire face au Service de la dette extérieure, donc, de nos capacités d’emprunt.

Cela constitue donc un handicap majeur  qui devrait être  surmonté,  en ouvrant une ligne de crédit auprès de la BCE,  pour le compte du Sénégal, pour un montant égal aux 25% du déficit de sa balance commerciale avec l’UE de l’année précédente, qui ne serait pas un « Don », mais un crédit remboursable aux mêmes conditions que la BCE offre à ses pays membres, c’est-à-dire,  Zéro pourcent de taux d’intérêt, et cela,  durant toute la période où la Zone Franc reste en vigueur.

Cette ligne de crédit, qui n’est que justice rendue au peuple Sénégalais, du fait du déficit structurel historique de sa balance commerciale que lui imposent les relations économiques avec la France et l’UE, va permettre d’augmenter notre endettent pour faire face à nos besoins de financement de nos Investissements, sans alourdir le Service annuel de la dette extérieure du Sénégal.

Le Sénégal ne peut plus  se contenter de « l’Aide Publique au Développement » (APD) pour compenser l’insuffisance de ses recettes fiscales,  dont on demande d’élargir les bases vers le secteur informel ; ce qui n’est possible que dans le long terme, alors que nos problèmes d’investissement pour réduire le chômage et la pauvreté par une croissance forte et durable,  se posent en termes de court et moyens termes !

D’ailleurs, «l’Analyse à partir des statistiques du Comité d’aide au développement de l’OCDE »,  entreprise par FERDI  Chaire Sahel, et publiée en Décembre 2018,  fait découvrir que, « en  Côte d’Ivoire et  au Sénégal, l’aide transférable ne représente respectivement que 55,7% et 63,6% de l’APD ». !

Ainsi,  sur 100 d’APD promis, 44,3% ne sont pas parvenus en Côte d’Ivoire, et  36,4% au Sénégal !

L’APD est donc  grandement détournée par ceux –là eux-mêmes qui la fournissent aux pays en développement, alors que dans  le discours ambiant,  ce sont  les Chefs d’Etat de pays récipiendaires à qui  l’on veut faire porter  la responsabilité, en les faisant passer pour des corrompus aux yeux de leurs opinions publiques !

 Donc, la France et l’UE devraient   comprendre une bonne fois pour toute, que le statut quo dans nos relations économiques  et commerciales, ont un coût, qu’elles devraient accepter de supporter, pour l’avènement d’un véritable commerce  équitable «  gagnant – gagnant » avec le Sénégal, et avec tous les pays de l’UEMOA qui souffrent de ce même déficit structurel vis  à vis d’elles.

C’est cela qui est occulté dans les tentatives de  faire croire,  que nos peuples sont victimes des subventions des productions agricoles destinées aux agriculteurs européens, et au dumping commercial, qui empêchent notre développement, notamment dans l’agriculture !

Cette vision des problèmes de relations économiques  entre l’Europe et l’Afrique, qui nous est servie depuis des décennies,  est inopérante, notamment au Sénégal, où les exportations Européennes ne dominent plus le marché local, et peinent à se maintenir face à la concurrence qui occuperait toute part de marché laissée par elle, sans incidence positive dans la relance de la production locale de substitution.

Le problème avec cette vision, c’est qu’elle est basée sur une approche des exportations de l’Europe vers l’Afrique, alors qu’il s’agit, notamment pour les pays de la Zone Franc comme le Sénégal, d’un véritable problème structurel d’importation des produits de ces pays  par  l’UE.

Il est ainsi du devoir de tous les patriotes panafricanistes des pays membres de l’UEMOA,  de se rassembler autour de nos Chefs d’Etat, pour les amener à livrer cette seconde bataille de l’Indépendance, qui se joue sur le terrain économique, notamment de l’exportation vers l’UE.

C’est pourquoi,  les « Accords de Partenariats Economiques »(APE)  que propose l’UE à l’Afrique,  jouent sur le problème d’accès à son marché en contrepartie d’un désarmement tarifaire de nos pays en sa faveur, pour compenser, dans nos marchés locaux, le manque de compétitivité de ses produits,  face à ceux du reste du monde, à cause de la sur évaluation de l’Euro face aux autres devises de pays concurrents. 

C’est pour cette raison qu’elle a imposé des « APE intérimaires » aux pays africains comme la Côte d’Ivoire et le Ghana, dont les exportations dépendent historiquement du marché européen, sans pouvoir le faire pour les autres pays de l’ UEMOA comme le Sénégal, ou comme le Nigéria,  dont les exportations dépendent de son pétrole destiné au marché mondial, et dont bénéficie principalement le Sénégal, pour devenir un pays  producteur et exportateur de produits pétroliers sans produire du pétrole.

  Donc,  l’exigence de l’ouverture de cette ligne de crédit compensatrice, devrait mettre la France et l’UE devant leur responsabilité historique dans la situation de non développement de nos pays, et de l‘aggravation du chômage et de la pauvreté de nos populations.

Nos Chefs d’Etat devraient faire de la satisfaction de cette exigence, une condition incontournable,  pour refonder nos rapports avec la France et l’UE,  en perspective  de la monnaie sous régionale, l’Eco, dont l’avènement est reportée à un avenir incertain.

                                    Ibrahima SENE PIT/SENEGAL

                                           Dakar le 12 avril 2021.

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