DÉPARTEMENT DE MBOUR
Au cœur des réseaux de vol de bétail

Le vol de bétail continue de hanter le sommeil des éleveurs du département de Mbour. Et ceci malgré les moyens mis en place par l’État du Sénégal pour venir à bout de ce fléau.
En décidant de corser les peines qui sanctionnent les délits de vol de bétail qui sont désormais comprises entre 5 et 10 ans de prison ferme, l'État du Sénégal a envoyé un signal fort aux bandes de voleurs qui écument les zones sylvo-pastorales. Malgré cette volonté affichée, le combat est loin d'être gagné. Dans la mesure où les réseaux constitués sévissent depuis trop longtemps. Dans la région de Mbour, ils étendent leurs tentacules de la communauté rurale de Ndiagagniao à celle de Malicounda. Ici, une véritable mafia s'est installée.
Les propriétaires de bétail donnent de l'argent aux voleurs qui en retour évitent de s'attaquer à leurs troupeaux. ''Les propriétaires donnent de l’argent à ces voyous dès qu’ils les rencontrent. En retour, ces gens évitent de prendre leurs biens. Et si d'aventure ils sont victimes de vol, les voyous se chargent de suivre les pistes pour retrouver les bêtes volées.''
Le réseau est constitué de jeunes, âgés de 18 à 30 ans, qui volent le bétail pour le vendre aux bouchers. Les bêtes dérobés sont abattues clandestinement. Lorsqu'il s’agit d’un troupeau, les bandits repèrent d'abord un bâtiment en construction dans lequel ils vont cacher le butin. Ainsi, chaque nuit, ils viennent procéder à l’abattage.
Les animaux non consommables, comme les ânes et les chevaux, sont plus compliqués à voler, parce que ces animaux laissent des traces et ne sont utilisés que pour les travaux champêtres. Par contre, il est plus facile de faire disparaître les animaux destinés à la consommation. Les malfaiteurs les vendent aux bouchers qui les abattent la minute qui suit, puis la viande est mise sur le marché.
''Les voleurs représentent une véritable menace. Au début, ils n’opéraient que de nuit. Mais de plus en plus, ils volent le bétail en plein jour. Avant-hier, on m’a volé une chèvre, et la semaine dernière, c’est le troupeau de chèvres de mon cousin Béli Sow qui a été emporté par les voleurs'', raconte Mamadou Sow, un ''djarga'' (propriétaire d’un grand troupeau), du village de Roff. L'éleveur espère que la nouvelle loi va décourager les malfaiteurs.
LE VILLAGE DE BALLABOUGOU
Un îlot inquiétant

À ce propos, il raconte cette anecdote : ''Un jour, je me suis rendu dans la région de Fatick. Le crépuscule venu, j’ai demandé au chef d’une concession la permission de dormir chez lui. Mais, dès que j’ai dit que j’habitais Ballabougou, les villageois se sont concertés et ont menacé de me tuer si jamais ils constataient un vol». Toutefois, Tieradio renseigne qu'il est devenu rare que des habitants de Ballabougou soient accusés de vol. Le villageois renseigne qu'avec le retour de la pluviométrie, la plupart des jeunes s'occupent d'activités maraîchères».
Le fils du chef du village Abdou Bam Ka rappelle la longue et pénible lutte contre le vol. Pour venir à bout du fléau, il explique que le village avait mis en place un comité dirigé par Hamadi Ndiaye. ''En cas de vol, cette commission convoquait tous les villageois, sous le manguier, pour tabasser les auteurs''. Abdou Bam Ka propose donc que ''la nouvelle loi autorise la gendarmerie à tabasser les malfrats''.
Isma Diouf, le baron
Même si certains villageois disent qu’il y a un recul net du vol de bétail, les faits restent têtus. En novembre dernier, Mbaye Seck, le chef de brigade de la gendarmerie de Mbour, a réussi à mettre le grappin sur Isma Diouf considéré comme l'un des plus dangereux voleurs de bétail. Le jeune habitant de Ballabougou est accusé d'avoir dérobé, rien que l'hivernage dernier, plus de 70 têtes de bœufs. À l'annonce de son arrestation, la brigade avait été envahie de monde venu de toutes les localités. Sa capture n’avait pas été de tout repos. Des sources indiquent que sa tête avait été mise à prix par le commandant Seck. Car ces dernières années, il était la personne la plus crainte.
Les Ndeyu Sacc, les parrains des voleurs
Les Ndeyu Sacc sont des voleurs qui ont pris leur retraite. Ils prennent sous leur coupe les jeunes débutants et ont une connaissance approfondie des réseaux de voleurs. Ils sont de ce fait au cœur du système, même s'ils sont de moins en moins nombreux. Souvent lorsqu'un jeune vole du bétail d’autrui, il appelle un Ndeyu sacc, son protecteur, pour l’en informer. Ce dernier l'aide à écouler la marchandise volée et obtient une part du butin.
Ces ndeyu sacc fonctionnent comme des parrains de la mafia. Les propriétaires de troupeaux leur versent des sommes d'argent, en contrepartie, ils leur assurent une certaine immunité. Lorsqu'un propriétaire est victime de vol, il fait appel à l'un d'eux qui essaie de retrouver les bêtes volées. Souvent ce sont eux qui négocient avec les propriétaires pour éviter les plaintes. Mais ce réseau s’affaiblit de plus en plus. Notamment, depuis l’arrestation de Ndiougnane, un ndeyu sacc, habitant le village de Soussane.
LES LOUMAS DE SANDIARA ET NGUÉNIÈNE
Carrefours de partage et de planification

Les marchés hebdomadaires de Sandiarra et Nguèniène, dans le département de Mbour, sont connus pour être les lieux de rencontre des voleurs de la localité. Ils se retrouvent dans ces milieux pour partager leur butin. Puis, ils dilapident leur argent dans l’alcool et les femmes. Dans ces milieux, une fois soûls, la plupart des voleurs se mettent à se targuer d’avoir commis tel ou tel délit pour montrer leur bravoure. C’est la raison pour laquelle la plupart d'entre eux finissent par se faire identifier. Cela se termine souvent par des batailles à l'arme blanche.
TRAFIC DES ARMES À FEU
Éleveurs et voleurs sont armés
Avec les vols de bétail récurrents, c’est la ruée vers les armes à feu. C’est un secret de polichinelle que tous les éleveurs et même ceux qui n’ont pas de troupeaux détiennent des armes à feu, pour assurer leur propre sécurité, face à l’inefficacité de l’État. «Les voleurs sont très souvent armés de pistolet, à plus forte raison nous qui sommes des propriétaires de bétail», déclare un éleveur.
L’arme à feu n’est pas une denrée rare dans la campagne. Le pistolet se vend entre 5 000 et 15 000 F, tandis que le fusil coûte entre 50 000 et 250 000 F. Il y a deux gammes de fusil : ceux de fabrication locale et les étrangers. Le fusil local peut coûter entre 50 000 et 100 000 F. Par contre, les prix des fusils étrangers grimpent jusqu'à 150 000 F voire 250 000 F. Les prix des cartouches varient entre 250 et 500 F, renseigne une source qui a requis l’anonymat.
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André BAKHOUM