Publié le 2 Jun 2025 - 15:05
Plaidoyer pour un Acte 4 de la Décentralisation

Pour des Territoires Résilients, Autonomes et Transformateurs

 

Introduction : Repenser la territorialisation du développement

Au Sénégal, la décentralisation a toujours été perçue comme un vecteur stratégique de démocratisation, de développement local et de cohésion nationale. Du Code des collectivités locales de 1996 à l’Acte 3 de la décentralisation initié en 2013, de nombreuses avancées ont été enregistrées : communalisation intégrale, promotion de la gouvernance locale, transfert de compétences et création de nouveaux échelons territoriaux.

Mais malgré cette volonté politique affirmée, les résultats restent mitigés. Les territoires sont encore perçus comme de simples exécutants de politiques centralisées, peinant à mobiliser les ressources nécessaires pour répondre aux besoins croissants des populations.

Dans un contexte marqué par l’urgence climatique, l’accroissement des inégalités sociales, l'exode rural, l’urbanisation rapide et la pression sur les ressources naturelles, le Sénégal a besoin d’une nouvelle génération de politiques territoriales. D’où l’urgence d’un Acte 4 de la décentralisation, orienté vers la résilience, l’autonomie réelle et la capacité transformatrice des collectivités territoriales.

I. Des Territoires Résilients : Mieux préparer, mieux répondre, mieux rebondir

La résilience territoriale consiste à doter chaque collectivité de la capacité d’anticiper les crises, de les gérer efficacement et de rebondir rapidement. Les défis sont nombreux : inondations, sécheresses, migrations forcées, insécurité alimentaire, tensions sociales.

Un territoire résilient est un territoire

Doté d’un système d’alerte et de planification adapté à ses risques spécifiques.

Capable de gérer les urgences en mobilisant rapidement des ressources humaines, techniques et financières.

Ancré dans une gouvernance participative, où les communautés locales jouent un rôle dans la prévention et la réponse.

Investissant dans les infrastructures durables, l’agriculture intelligente face au climat, la gestion intégrée des ressources naturelles.

> Exemple : une commune sahélienne doit pouvoir élaborer et financer un plan local de résilience climatique et disposer de ressources pour le mettre en œuvre.

II. Des Territoires Autonomes : Vers la souveraineté locale

L’autonomie locale ne signifie pas l’indépendance politique, mais plutôt la capacité de décision, de gestion et de mobilisation de ressources propres, dans un cadre réglementaire clair.

L’Acte 4 doit renforcer cette autonomie par :

Une fiscalité locale rénovée, fondée sur la digitalisation des recettes (impôts locaux, taxes foncières, droits de marché), la simplification des procédures et l’élargissement de l’assiette.

La réforme des dotations budgétaires de l’État (FDD, FECL) pour plus d’équité, de prévisibilité et de performance.

L’accès à des financements alternatifs : crédits concessionnels, fonds d’adaptation climatique, partenariats public-privé locaux, mobilisation de la diaspor

Une plus grande marge de manœuvre réglementaire pour adapter les politiques aux réalités locales.

> Un territoire autonome est un territoire qui n’attend pas le soutien central pour agir, mais qui le complète par des dynamiques internes.

III. Des Territoires Transformateurs : Catalyseurs de l’émergence endogène

Le développement ne peut être uniquement impulsé par l’État central. Les territoires doivent devenir des espaces d’innovation, de transformation et de création de valeur.

Un territoire transformateur est :

Un laboratoire d’expériences locales, soutenant les initiatives communautaires, les startups rurales, les coopératives agricoles ou artisanales

Un centre d’apprentissage, misant sur l’éducation, la formation professionnelle et la valorisation des savoirs locaux.

Un acteur du développement durable, intégrant les ODD dans ses plans de développement et favorisant l’économie circulaire, l’énergie renouvelable, la gestion durable des terres.

Un employeur et un investisseur, capable de générer des emplois, de gérer un budget conséquent, et de porter des projets structurants.

Cela nécessite :

Des cadres compétents (économistes territoriaux, urbanistes, ingénieurs, planificateurs).

Des outils de planification modernes (budgétisation sensible au genre, évaluation participative, SIG, tableaux de bord territoriaux).

Une gouvernance axée sur la performance et la redevabilité sociale.

> Exemple : une région comme Ziguinchor peut devenir un pôle agro-industriel transformateur si elle capte les investissements, valorise ses ressources, forme sa jeunesse et maîtrise sa planification territoriale.

IV. Vers un nouveau pacte territorial

Ce nouvel Acte 4 doit faire l’objet d’un véritable contrat social et fiscal entre l’État, les collectivités et les citoyens :

L’État garantit la péréquation nationale, soutient les territoires fragiles et définit les normes d’équi

Les collectivités locales prennent leur destin en main, investissent dans leurs priorités et rendent compte aux citoyens.

Les citoyens participent, surveillent, contribuent fiscalement et deviennent acteurs du développement local.

Il est aussi indispensable de mettre en place :

Un Haut Conseil de la Décentralisation, organe consultatif réunissant tous les acteurs.

Une Charte des Territoires, définissant les droits et devoirs réciproques.

Des indicateurs de résilience, d’autonomie et d’impact transformateur, intégrés dans le suivi national des politiques publiques.

Conclusion : L’Acte 4, une exigence de justice territoriale et de souveraineté partagée

Un Acte 4 de la décentralisation, audacieux, inclusif et bien financé, est une condition sine qua non pour bâtir un Sénégal solidaire, juste et émergent. Ce n’est pas un luxe, mais une exigence de justice territoriale, de cohésion nationale et de souveraineté partagée.

À l’heure où l’on parle de transformation systémique, d’émergence durable et de refondation du contrat social, les collectivités territoriales doivent être au cœur de l’action publique, comme co-architectes du futur.

Donner aux territoires les moyens d’agir, c’est donner au Sénégal les moyens de réussir.

 

Alioune Cheikh Anta Sankara Ndiaye

 Expert en développement international

 Écrivain

 Militant de la Transformation Nationale

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