Publié le 10 Jun 2020 - 01:35
‘’BAADOOLA LIVES MATTER’’

Guy Marius Sagna explique ‘’le manque d’empathie des présidents africains’’

 

Le Collectif pour la justice et contre les violences policières a profité des moments de protestation de la mort de George Floyd aux Etats-Unis, pour lancer un hashtag dénommé ‘’Badoola Lives Matter’’. Le leader de Frapp, Guy Marius Sagna, a apporté plusieurs détails sur les questions qui tournent autour de ce sujet.  
 
 
La mort de George Floyd résonne dans le monde. Mais, en Afrique, les dirigeants africains n’ont pas affiché leur soutien au peuple noir américain. Selon le leader de Frapp/France dégage Guy Marius Sagna, au moins trois raisons expliqueraient ‘’le manque d’empathie’’ des dirigeants africains sur cette tragédie. La première, d’après lui, est qu’ils encouragent les violences policières dans leur pays. Et que prendre position serait une moquerie pour les familles des victimes de violences policières chez eux. Donnant l’exemple du Sénégal, le leader du Frapp, qui a lancé le hashtag ‘’Badoola Lives Matter’’ déclare : ‘’On parle de George Floyd aux Etats-Unis, mais ici aussi au Sénégal, les forces de défense et de sécurité posent leur coude sur des citoyens sénégalais qui finissent par mourir. Nous avons, nous aussi, toute proportion gardée, nos George Floyd.’’ La seule différence, dit-il, c’est que le racisme n’est pas la cause des violences policières au Sénégal. 
 
‘’Le président Macky Sall, qui était ‘Charly’ n’a pas le courage d’être George Floyd, car c’est sous son magistère qu’il a laissé tuer Elimane Touré, Abdoulaye Timéra, Pape Sarr et Seck Ndiaye. C’est lui qui a laissé violenter par des éléments appartenant aux forces de défense et de sécurité la famille Gningue, les manifestants de Cap Skirring… jusqu’au jeune Aliou Diouf le 2 juin dernier à Kaolack. En effet, en ne jugeant pas, en ne sanctionnant pas les coupables de violences sur les citoyens, l’Etat du Sénégal les encourage et délivre de ce fait un permis de tuer les citoyens aux forces de défense et de sécurité’’, a-t-il martelé. 
 
Il estime, d’ailleurs, que si rien n’est fait, bientôt chaque jour de l’année sera un jour d’hommage à une victime tombée sous les balles d’un policier, d’un gendarme, d’un militaire, d’un douanier ou d’un agent des eaux et forêts.
 
La deuxième raison, pour le membre du Collectif pour la justice et contre les violences policières, s’expliquerait par le fait que dire ‘‘Je suis George Floyd’’, ‘’est une manière de dire à leurs populations de faire comme les Afro-Américains et ceux qui les soutiennent, si jamais ils ont des problèmes (de ce genre)’’.  La situation actuelle, dit M. Sagna, est un malaise pour les dirigeants africains.
La dernière raison évoquée par l’activiste, serait une peur de frustrer Donald Trump.
 
‘’Nos présidents soumis, aplatis à plat ventre, ont peur de Donald Trump. C’est lui qui a le chéquier. S’ils disent ‘Je suis George Floyd’, il risque d’avoir des représailles’’, estime-t-il. Dans la même veine, il a traité le communiqué de la CEDEAO sur la question de ‘’n’importe quoi’’. Il demande aux présidents africains de dégager et de céder leur fauteuil à d’autres, s’ils n’ont pas le courage de dire ‘’Je suis George Floyd’’ à Donald Trump. D’ailleurs, cette histoire va beaucoup plus loin, selon Guy Marius Sagna. ‘’Le policier américain pose son genou sur lui, mais l’image nous interpelle beaucoup plus profondément. Ne restons pas sur un raisonnement superficiel. Les pays impérialistes posent leur genou sur nos pays, sur notre continent, sur nos peuples. George Floyd, en mourant, disait ‘Je ne peux pas respirer’. Mais les peuples africains n’arrivent pas à respirer à cause de l’impérialisme, du néocolonialisme, du morcellement issu du Congrès de Berlin. Et donc, nous aussi, nous aspirons à respirer. Nous aspirons à sortir des genoux de l’impérialisme’’, a-t-il déclaré.  
 
Des panafricanistes de pacotille
 
Guy Marius Sagna demande à ses frères africains de se soucier d’abord de ce qui se passe chez eux, ‘’de leurs victimes’’ au Kenyan, en Sierra Léone, au Nigeria et en Mauritanie ‘’où il y a toujours l’esclavage’’. ‘’Je dis aux Africains d’arrêter d’attendre qu’il ait quelque chose à Notre Dame de Paris pour dire ‘Je suis Notre Dame de Paris. Oui, nous devons nous soucier du racisme aux Etats-Unis. Mais quelle hypocrisie nous ferions, si nous fermons les yeux sur ce qui se passe ici à côté’’, dit-il. Et d’ajouter : ‘’Ne s’intéresser qu’au racisme aux Etats-Unis, pour moi, c’est suspect. Ce sont des panafricanistes de pacotille qui ferment les yeux dans leurs propres enclos néo-coloniaux pour partir en France dire ‘Justice pour Adama’. Il faut arrêter ce deux poids, deux mesures qui traduisent un manque de sérieux.’’
 
‘’Les forces de défense et de sécurité aussi sont opprimées’’
 
La violence policière est intrinsèquement liée à la gouvernance politique. Malgré toute sa bravoure reconnue par bon nombre de ses concitoyens, Guy Marius Sagna a pourtant ‘’peur’’ pour sa vie de militant et surtout pour ses camarades.  Comme pour affirmer que le chemin de ceux qui disent la vérité est souvent dangereux, semé d’embûches, il déclare : ‘’Nous sommes inquiets. De 2014 à nos jours, nous avons eu à être victimes de plus d’une centaine d’arrestations.’’ Guy Marius Sagna d’ajouter : ‘’Ça veut dire qu’on connait les arrestations et les répressions de manifestations, les gardes à vue et les emprisonnements. Nous avons vu la violence dans les manifestations, dans les cellules de commissariat et de gendarmerie.’’
 
Mais ce n’est pas la peur qui va le faire reculer. Les expériences que le leader du Frapp a vécues semblent lui permettre de savoir là où le bât blesse. Lui et ses camarades ont lancé une campagne appelée  ‘’Ci nga boku’’ (Tu en fais partie). Le but est de dire aux forces de défense et de sécurité ‘’qu’elles font partie des éléments qui doivent conduire la révolution’’. Mais aussi pour leur rappeler, comme disait Thomas Sankara, ‘’un homme de tenue sans formation politique est un criminel en puissance’’.  
 
D’après le leader du Frapp, ’’Ci nga boku’’ permet ainsi au Collectif pour la justice et contre les violences policières de faire savoir aux policiers qu’ils se battent aussi ‘’pour améliorer leurs conditions’’. Il dit : ‘’On sensibilise nos forces de défense et de sécurité pour leur dire que si on se bat, c’est pour que les ressources du pays soient gérées de telle manière qu’au lieu d’un policier pour 5 000 habitants, qu’on ait un policier pour 1 000 habitants. Pour qu’il y ait suffisamment de moyens pour que les policiers aient des effectifs suffisants, pour que leur surcharge de travail diminue, pour qu’ils aient de bonnes conditions de travail, de bons salaires’’. 
 
Ainsi, de la même manière qu’il dénonce les violences policières, Frapp défend, dans ses mêmes communiqués, les préoccupations des forces de défenses et de sécurité. C’est ce qui est à l’origine de la création de la campagne ‘’Pour la justice et contre la violence policière au Sénégal’’. Guy Marius de détailler : ‘’Dans nos communiqués, nous disons aussi que les forces de défenses et de sécurité doivent avoir des syndicats pour pouvoir prendre en charge leurs préoccupations. Nous dénonçons l’oppression dont elles sont victimes. Parce qu’elles aussi sont opprimées comme nous. Elles sont victimes de la même oppression. Il faut peut-être même revoir leur formation. Elles sont formées pour être séparées des populations. Nous devons éveiller leur conscience.’’
 
Il n’empêche, M. Sagna a annoncé que le Collectif pour la justice et contre les violences policières va continuer à se battre ‘’pour exiger que justice soit rendue aux familles des victimes.’’ Dans cette perspective, des hommages seront rendus à Seck Ndiaye et à Pape Sarr dont les dates de commémoration de leur assassinat approchent.
 
BABACAR SY SEYE

 

Section: