Publié le 17 Nov 2018 - 21:31
ABDOU GUITE SECK (ARTISTE MUSICIEN)

‘’J’essaie de surfer sur le ‘’good buzz’’

 

Il fait partie des valeurs sûres de la musique sénégalaise ; son talent n’est plus à démontrer, mais Abdou Guité Seck a encore du mal à s’imposer.  Présent à Dubaï dans le cadre de la 3e édition du Forum de la diaspora sur l’habitat et l’investissement tenue les 9 et 10 novembre derniers, l’enfant de Saint-Louis a offert un spectacle inédit aux nombreux Sénégalais qui avaient  fait  le déplacement.  Dans cet entretien avec ‘’EnQuête’’, l’auteur de  ‘’Denkaane’’ (le titre de son nouveau single) parle de sa carrière, de ses projets  et des sujets de l’heure comme la polémique sur les ressources minérales et la prochaine présidentielle.

 

 

Vous avez assisté à la 3e édition du Forum habitat et diaspora. Peut-on avoir vos impressions ?

Merci infiniment de me donner l’occasion de dire quelques mots à l’endroit de ces braves personnes qui ont eu cette très belle initiative. C’est le vœu de tout émigré de se sentir chez lui au Sénégal et, pour cela, je pense qu’il est important de mener des actions de ce genre afin que les émigrés puissent avoir leur chez eux, dans ce beau pays que nous partageons. Rien que pour cela, je dis bravo à Mme Absatou Kâne Diop que j’appelle ‘’Madame Diaspora’’. Elle ne ménage aucun effort et je la vois à l’œuvre, tous les jours, pour que nos frères émigrés puissent être dans de bonnes conditions. C’est un honneur pour moi de participer à une initiative de cette envergure. Ce n’est pas aujourd’hui que j’ai commencé à chanter le mérite des émigrés. Je leur ai dédié ‘’Modou-Modou’’ et je prépare la sortie d’une autre chanson en leur honneur, bientôt. Les voir ici, aujourd’hui, ne fait que me renforcer dans mon désir de leur rendre hommage.

Pourquoi cet intérêt pour les Sénégalais de l’extérieur ?

Nous avons vu et constaté l’apport des Sénégalais dans l’économie sénégalaise. Ils participent au développement du pays. Ils sont des soutiens de familles. Je ne suis pas le seul à l’avoir remarqué. Tous les Sénégalais savent que les ‘’modou-modou’’ jouent un rôle fondamental dans l’économie sénégalaise. Sans eux, on n’en serait peut-être pas là aujourd’hui. Je ne peux donc que les encourager. Je suis musicien et j’ai le devoir d’honorer tous ceux qui accomplissent de bonnes œuvres au Sénégal.

Malgré le rôle important que jouent les ‘modou-modou’’, ils ont quand même du mal à se réinsérer, après leur retour au Sénégal. A votre avis, qu’est-ce qui explique cela et que doit faire le gouvernement pour résorber ce problème ?

Je pense que la meilleure chose à faire est de prêter main-forte à ces personnes sensibles à la cause des ‘’modou-modou’’. Je pense qu’Absatou Kâne en est un parfait exemple, parce que c’est quelqu’un qui a vécu à l’étranger et qui a tout lâché pour venir soutenir les Sénégalais de l’extérieur. Il n’y a pas mieux placé qu’elle pour venir en aide aux émigrés. Même si l’on sait que le gouvernement a la volonté d’aider et de soutenir les ‘’modou-modou’’, je pense tout de même qu’il y a des personnes qui ont l’expérience et qui savent beaucoup de choses sur leurs problèmes et difficultés. Ils échangent avec ces Sénégalais de l’extérieur tous les jours. Les initiatives que mène Mme Kâne Diop sont d’une haute portée et on n’a jusque-là pas mieux que ce qu’elle fait. Donc, Absatou Kâne, Mme Diop, est à soutenir pour qu’à travers elle, tous les ‘’modou-modou’’ puissent se retrouver au sein de la politique de leur pays.

Avec la crise qui sévit partout dans le monde, pensez-vous que partir est toujours la solution pour les jeunes Sénégalais ?

Il est toujours mieux de rester et de servir son terroir. Le Sénégal a besoin de ses fils, mais je ne dirai jamais que partir n’est pas une solution. Partir, des fois, est une des solutions. Je pense que chaque personne a besoin de voyager, de découvrir ce qui se passe dans le monde. C’est ainsi qu’il peut souvent être plus utile à son pays. Il va voir comment les choses évoluent ailleurs et s’en inspirer, à son retour. On ne peut les cloisonner chez nous. Cela ne ferait que participer à briser le rêve de certains. Les Africains ont le droit de voyager, comme les Chinois ont le droit de venir. Nous avons ce droit d’aller tenter notre chance et de venir renforcer notre économie nationale.

Le chômage et le sous-emploi sont souvent indexés. Qu’est-ce que le gouvernement doit faire pour maintenir les jeunes au pays ?

Le gouvernement doit aider les jeunes à croire en eux et en leurs capacités. Aujourd’hui, nous avons le potentiel requis pour nous développer. Nous avons des ressources, de la matière première et le potentiel pour développer tout cela. Tout le monde sait et reconnaît que l’homme noir a du talent. Pourquoi on ne peut pas faire montre de ce talent pour développer notre pays ? Nous nous laissons envahir par des étrangers. Et tant que c’est ainsi, ni le talent ni la volonté, rien ne peut nous faire décoller. C’est à cet égard que j’exhorte notre gouvernement à soutenir et à aider ses fils. Il est temps qu’on le fasse. Il est temps qu’on agisse.

Du pétrole et du gaz ont été découverts chez vous à Saint-Louis. Etes-vous de ceux qui craignent la malédiction de ces ressources naturelles ?

Bien sûr ! Parce que dans certains pays africains, on a vu ce que cela a causé comme dégâts. Nous devons nous inspirer de cela pour savoir quelle posture adopter pour bien gérer et distribuer ces ressources. Il faut que tout le monde y trouve son compte. Que Dieu nous bénisse et nous épargne des problèmes.

 Que doit faire le gouvernement pour que cette malédiction du pétrole ne tombe pas sur le Sénégal ?

Je leur dis juste de prendre exemple sur les autres pays d’Afrique que l’Occident a déchiquetés à cause de leurs ressources. Ils peuvent également prendre exemple sur des pays comme  les Émirats arabes unis ou l’Arabie saoudite. Dieu leur a donné la chance de bien gérer leurs ressources. Ils font partie des pays les plus visités au monde et qui ont réussi à tirer profit de ces ressources.

Parlons de votre carrière musicale. Parlez-nous du maxi que vous venez de sortir ?

Il est intitulé ‘’Denkaane’’. Il est composé de deux titres. A part le morceau éponyme, il y a ‘’Awa Ndiaye’’. J’ai choisi le titre parce que nous allons vers des échéances électorales. Je pense qu’il est bon de rappeler aux Sénégalais certaines de nos valeurs. Car, qui dit politique, surtout en Afrique en général, dit tensions, dérapages. Nous devons éviter cela chez nous. Il ne faut pas que l’on pense que les guerres, tensions et conflits notés en Afrique ne peuvent pas se passer chez nous. Je crois que l’Afrique est une proie et celui qui la guette est toujours là. L’équilibre de ce continent ou l’avenir de nos enfants, il ne s’en soucie pas. Ce qu’il veut, c’est diviser pour mieux régner et, en général, nos autorités tombent dans leur piège. Il est temps d’ouvrir les yeux.

Peut-on donc dire qu’à quelques encablures de la présidentielle, Abdou Guité Seck tire la sonnette d’alarme ?

Oui, je tire la sonnette d’alarme et je n’ai pas commencé aujourd’hui. Parce que, nous artistes, sommes des visionnaires et composons en perspective. Je pense que la musique joue un rôle fondamental dans l’équilibre même du Sénégal. C’est pour cela que nous devons toujours nous inspirer du quotidien des Sénégalais pour mieux répondre à leur attente. ‘’Denkaane’’ est là pour dire attention. ‘’Awa Ndiaye’’ est une chanson dédiée à une digne fille du pays qui vit à Lomé. Elle est une femme extraordinaire qui mérite d’être promue. Elle est une amie, une tante qui nous épaule et nous soutient, et c’est grâce à elle que nous gardons une force inouïe pour mieux persévérer.

Vous avez du talent, mais peinez à être leader dans le champ musical. Où est-ce que ça bloque ?

Je ne sais pas. Abdou Guité marche à son rythme. Je me contente de ce que Dieu me donne et je me dis que demain sera meilleur. Je sais que je suis une valeur sûre de la musique sénégalaise. Rien que pour cela, nous continuerons à persévérer pour participer au rayonnement de la musique sénégalaise et montrer les meilleures facettes de notre culture. Il y a musique et musique. Je pense que, quand on parle de recul ou de destruction de notre musique ou des valeurs, nous y avons une part de responsabilité. C’est pourquoi je ne m’empresse pas à occuper le devant de la scène avec un contenu très léger. J’essaie toujours de surfer sur ce qu’on appelle le ‘’good buzz’’ et non sur ‘’le bad buzz’’. Quand on veut de la qualité, il est normal qu’on soit rare. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas qu’on me voit tout le temps, mais que je serve de la qualité aux mélomanes. Avec de l’endurance, on arrivera peut-être là où souhaiteraient nous voir nos fans. Il n’est pas trop tard. Je suis jeune, tout de même.

Nous avons découvert une autre facette d’Abdou Guité, lors de ce forum. Nous ne savions pas que vous aviez une troupe théâtrale. Parlez-nous-en ?

C’est le forum qui demandait cela. Le lieu est approprié pour accueillir cette troupe.  Les gens qui étaient présents ici avaient besoin d’être sensibilisés sur le contenu même du forum. J’ai commencé au théâtre. Cela fait partie de notre culture. Nous avons le devoir de faire voyager cela. L’occasion d’inviter mes frères du théâtre de Saint-Louis m’a été offerte. Je l’ai fait. La pièce a été appréciée, je dis ‘’Alhamdoulilah’’. Je n’en demandais pas plus. C’était une bonne occasion pour moi de sensibiliser les gens. Le message est bien passé. On a pris du temps pour monter le spectacle.

La troupe va continuer à exister ou c’était juste monté le temps de ce forum ?

La pièce a été montée exprès pour le forum. Mais la troupe, elle, va continuer son bonhomme de chemin. La troupe interprète des pièces suivant les lieux et la demande. C’est pour cela qu’on répète quotidiennement pour qu’à chaque manifestation à laquelle on est invité, qu’on puisse offrir un spectacle qui cadre avec le thème de la rencontre.

Les gens critiquent la musique sénégalaise, tant sur le plan contenu que celui de la composition. Qu’est-ce qui explique ce nivellement vers le bas ?

Il n’est pas simple, pour moi, de parler de cette question, parce que je suis moi-même acteur de cette musique sénégalaise. Je crois fort que parmi les musiciens, il y en a qui ne travaillent que pour sortir des titres de qualité. Au sein du public qui nous suit, il y en a qui ne veulent que de la musique de qualité. S’il y a des responsabilités dans cette situation, elles sont partagées entre les acteurs qui surfent sur la légèreté et le public qui ne fait que consommer cette musique et les animateurs qui promeuvent cette musique. La responsabilité est donc partagée entre tous les acteurs, le public y compris. C’est à nous de revoir notre copie. Il faut que les musiciens redoublent d’efforts, que le gouvernement soutienne la qualité. C’est ce qui va leur permettre de renforcer leurs créations. On n’a presque plus de sortie d’albums. Les créateurs ne sont plus motivés.

Les gens ne sortent plus d’albums, mais organisent des soirées au Grand Théâtre, par exemple. Pourquoi vous n’êtes pas dans cette dynamique ?

Je pense que les gens organisent ces soirées d’anniversaire pour pouvoir vivre de leur art. Là, je suis à Dubaï. Je vais après rentrer au Sénégal pour la promo de mon maxi ‘’Denkaane’’. Après, je dois me rendre à Paris pour une prestation. Je reviens au Sénégal ensuite, parce qu’au cours du mois de décembre, j’ai beaucoup de sollicitations. Les sociétés trouvent que les enfants aiment ma musique et m’invitent au cours des arbres de noël. Je fais mon petit bonhomme de chemin et je m’en sors. J’ai à côté d’autres activités qui n’ont rien à voir avec la musique. Je ne me plains vraiment pas.

Vous retrouvez vous dans la gestion de la Sodav ?

Personnellement, je suis très content de la mise en place de la Sodav.  Mais, actuellement, je ne vois pas, au plan économique, l’apport de la Sodav. Je gagnais plus avec le Bsda. C’est valable pour tous les autres artistes du Sénégal. On ne sait pas où se situe le problème. Depuis huit ou neuf mois, nous n’avons rien perçu, alors que les gens qui sont là-bas voyagent et sont rémunérés au moment où les artistes galèrent. Je ne vois pas l’apport de la Sodav. Elle n’a fait que perturber un ancien système qui marchait bien.

Avez-vous saisi les autorités de la Sodav ?

Non, du tout. Je ne critique pas, parce que je reste persuadé qu’ils sont en train de faire des efforts pour que les choses changent.

Ibrahima Khalil Wade

 

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