Publié le 6 Dec 2019 - 21:43
AFFAIRE GUY MARIUS SAGNA ET CIE

Une histoire de vendetta !

 

Pour laver l’affront, l’Etat a décidé de faire la fête à Guy et ses amis. Il est en train de mobiliser contre lui toutes les forces disparates politiques et citoyennes qui étaient en léthargie, depuis des mois. Celles-ci promettent d’en découdre.

 

Autant la justice a été clémente dans l’affaire des fauteurs de trouble au tribunal de Louga. Autant elle s’est abattue de manière foudroyante sur Guy Marius Sagna et ses camarades. Les premiers avaient juré de faire libérer leur camarade, maitre coranique, accusé de faits graves de torture et de maltraitance sur des enfants. Les seconds voulaient simplement dire non à la hausse du prix de l’électricité devant le palais de la République. Et alors que le bourreau des talibés a été jugé et libéré, suite à une procédure expresse de flagrant délit ; Guy Marius et Cie écopent d’un séjour à durée indéterminée dans la surpeuplée prison de Rebeuss. Leur dossier ayant été renvoyé en instruction par le procureur de la République.

Le cœur serré, la voix étreinte, le chroniqueur de la RFM, Abdoulaye Cissé, trouve la décision disproportionnée. ‘’J’aimerais bien, confie-t-il avec amertume, être solidaire de l’institution judiciaire. Mais, certaines de ses décisions posent vraiment problème. Il faut, dans ce pays, arrêter de croire que tout doit conduire en prison. Honnêtement,  je ne vois pas, dans l’acte posé par Guy Marius Sagna et Cie, quelque chose qui peut motiver leur placement sous mandat de dépôt. Au même moment, que fait-on de tous ceux qui ont saccagé le tribunal de Louga ? Finalement, on est très fort avec les faibles. Mais on est des c… molles avec les forts’’.

A l’en croire, une simple mesure de garde à vue aurait pu suffire, mais pas la prison. ‘’Ce ne sont quand même pas des terroristes, ils ne sont pas des voyous, pas non plus des gangsters. Ils ont juste voulu exercer un droit que leur accorde la Constitution’’, décrie-t-il enragé. Mais qu’est-ce qui a bien pu motiver une décision aussi sévère ? Une question pourchasse l’analyste. Mais il feigne de ne point y croire. L’Etat tente-t-il de se venger de ses fils qui ont eu le toupet de braver ses ordres ? ‘’On ne veut surtout pas penser que l’Etat est dans une logique de vengeance. Il ne manquerait plus que ça. Ce serait vraiment marcher sur la tête. Qu’un Etat soit dans une logique de vengeance sur un citoyen, juste parce qu’il a eu le toupet de marcher sur le Palais -ce qui n’était pas prévu- Je me refuse vraiment de croire que l’Etat est dans cette logique de se venger, juste parce que GMS a eu l’image qu’il voulait en s’accrochant aux grilles de cette institution’’.

Une mesure disproportionnée

S’il se sent humilié, l’Etat aurait dû plutôt chercher les responsabilités ailleurs, semblent se convaincre plusieurs observateurs. L’affaire de la marche de Guy et ses camarades sur le palais soulève beaucoup d’interrogations jusque-là sans réponse. Comment les activistes ont réussi à atteindre le Palais, alors même que leur manifestation a été interdite. Ont-ils réussi à déjouer le dispositif de sécurité ? Ont-ils bénéficié de la complicité de certains agents ? Voilà des questions qui taraudent bien des Sénégalais. Mais pour le moment, c’est l’omerta. Pour Abdoulaye Cissé, ce serait très grave pour l’Etat, d’autant plus qu’il avait décidé d’interdire la marche. Il déclare sur un ton ironique : ‘’L’image est quand même forte et il faudra bien l’analyser. On veut l’empêcher de marcher devant le Palais, mais pour l’arrêter, on le fait entrer dans le Palais. Cette image est terrible pour l’Etat. Tout comme cette image d’un garde rouge qui le prend manu militari, alors même qu’il n’est pas dans le dispositif de sécurité, pour l’introduire dans le Palais. C’est terrible pour tout le monde. Et il y a là plus de soucis à se faire à mon avis’’.

Poursuivis pour ‘’participation à une manifestation interdite, rébellion, provocation à un attroupement et actions diverses’’, Guy et Cie vont devoir braver les rigueurs carcérales. Le secrétaire général de la Ligue sénégalaise des droits de l’homme, Alassane Seck, condamne avec la dernière énergie une mesure ‘’injuste’’ et attentatoire à la liberté des concernés. ‘’Guy Marius est encore victime de l’Etat policier. Il n’y a pas ici de quoi fouetter un chat. Il n’y avait aucun danger, je ne vois pas pourquoi on le traduirait à Rebeuss. Il faut que l’Etat apprenne à être moins frileux. L’Etat est devenu extrêmement frileux, extrêmement répressif et cela ne se justifie pas’’. L’arrêté Ousmane Ngom, rappelle-t-il, ne peut être au-dessus des dispositions de la Constitution.

‘’Il faut que le régime revienne à la normalité. D’autant plus que la justice a donné raison aux organisations de défense des droits de l’homme. La base légale de ces interdictions en cascade ne se justifie plus. Il faut que les gens continuent à mener le combat ? Ce qui se passe dans ce pays est scandaleux. Et vraiment, je voudrais saluer le courage de Guy Marius Marius qui est un idéaliste, prêt à tout pour le triomphe de la justice. C’est dommage que les 15 millions de Sénégalais pour lesquels il se bat ne le comprennent pas encore’’.

L’appel à l’unité d’action

Il urge, selon le défenseur des droits de l’homme, de faire bloc pour faire face à l’arbitraire. Comme en 2011, quand plus de 100 associations se mobilisaient sans cesse, pour faire face aux dérives du régime d’alors. ‘’Aujourd’hui, regrette-t-il, il est difficile de voir six associations ensemble. Voilà pourquoi on assiste à beaucoup de dérives’’. A l’instar de Monsieur Seck, Sidya Ndiaye de la FGTS, aussi, a du mal à comprendre l’inertie des forces sociales, face à la situation actuelle. Pour lui, si les manifestants ont été arrêtés, c’est juste parce qu’ils sont minoritaires. Or, les motifs de leur marche interpellent au premier chef les travailleurs et les syndicats.

Il en appelle à l’unité d’action : ‘’Il faut que l’on comprenne que toutes les générations qui veulent lutter doivent se mettre ensemble, pour avoir des résultats. Il ne s’agit pas de parler. Il s’agit d’agir. Les organisations syndicales, les consuméristes, tout le monde est interpellé’’. Le syndicaliste se veut même plus concret. Il invite ‘’à une manifestation nationale de protestation et éventuellement même une journée ville morte’’, car, souligne-t-il, les gouvernants ne comprennent que les actions. ‘’Que le gouvernement comprenne que la ligne rouge a été franchie. Mais si chacun veut mener des actions solitaires, on n’arrivera pas à grand-chose. Ailleurs, il suffit d’une petite augmentation pour que les gens descendent dans la rue. Ici, on a l’impression parfois que les gens sont tétanisés. Quand on appelle à des manifestations, ils restent chez eux. Il faut donc bien préparer les manifs, ne pas faire dans la précipitation. Il ne faut pas non plus attendre longtemps. C’est maintenant qu’il faut agir. Sinon la spirale des augmentations va continuer’’.

Revenant sur la hausse et l’omerta des centrales syndicales, il dénonce : ‘’Les centrales syndicales ne doivent pas se débiner. Elles doivent réagir. On ne peut pas se taire dans ces conditions. Tout silence est coupable. Si nous revendiquons notre responsabilité de leader, nous ne pouvons continuer à garder ce silence assourdissant. Où est ce qu’elles sont ces centrales ? Je pense qu’il est temps qu’on se retrouve tous autour de l’essentiel et qu’on s’occupe des populations. Si nous ne pouvons plus le faire, je me demande quelle est notre raison d’être’’.

La justice : une indépendance en question

Pour lui, la hausse du prix de l’électricité est une rupture unilatérale de l’accord passé entre le gouvernement et les organisations syndicales sur les denrées de 1ère nécessité. Les centrales doivent en tirer toutes les conséquences, puisque la baisse des prix des denrées de première nécessité, y compris l’électricité et l’eau, faisait partie des conditions du pacte de stabilité sociale. Monsieur Ndiaye appelle toutefois à une attitude responsable et républicaine.

Sur cette question de l’inertie des citoyens face aux multiples scandales, le journaliste chroniqueur en arrive à penser que les Sénégalais ont perdu leur capacité d’indignation. ‘’Il y a quelque chose qui me gêne dans ce pays, dit-il avant d’enchainer : ‘’J’ai l’impression qu’on a éteint notre capacité d’indignation. Tout passe ! On n’a plus de capacité d’indignation. Dans d’autres pays, pour beaucoup moins que ça des gens se sont mobilisés. Et même dans ce pays, de par le passé, pour beaucoup moins que ça, les gens se mobilisaient. Aujourd’hui, j’ai l’impression que plus rien ne mobilise les citoyens. Et c’est dangereux quand un pays en arrive à une telle situation’’.

Toutefois, tente-t-il de se consoler sans grand optimisme, ‘’Attention quand même. Il y a des limites à ne pas franchir. Maintenant, honnêtement, cette ligne, je ne peux plus la définir. J’ai l’impression que cette ligne a été franchie. Et je ne sais plus ce sera quoi l’élément déclencheur qui va pousser les gens à dire : Enough ! Assez ! Ça suffit ! Pour terminer, il invite les magistrats à se réveiller et à ne pas s’aplatir devant aucun pouvoir. ‘’La justice, c’est quand même le dernier rempart quand tout fout le camp dans un pays. Que le pouvoir exécutif soit dans un parti pris, que le législatif soit partisan, la presse dont on dit qu’elle est un troisième pouvoir… Mais la justice ne peut pas et ne doit pas se le permettre. Le citoyen lambda veut compter sur cette justice, quand ses droits sont bafoués. Et c’est ce qui nous manque manifestement dans ce pays. Nous ne généralisons pas, mais il y a des magistrats qui sont aux vraiment ordres et il faut y remédier’’.

Le FRN sort de sa torpeur et bande les muscles

Par ailleurs, en voulant coute que coute faire payer à Guy Marius Sagna et Cie leur témérité, l’Etat risque peut-être de sortir les forces sociales de leur torpeur. En plus des appels à l’unité, elles sont nombreuses les voix qui s’élèvent pour demander la libération de Guy et Cie. Dans cette perspective d’ailleurs, plusieurs structures dont Y en a Marre, Aar Linu Bokk, Frapp France Dégage, Forum social sénégalais, les mouvements d’étudiants… ont appelé à une marche nationale le 13 décembre prochain. Ils pourront également compter sur les forces politiques de l’opposition, réunies autour du FRN (Front de résistance nationale).

Dans un communiqué publié, hier, ces partis politiques affirment : ‘’La Commission sociale du FRN dénonce les répressions contre les manifestations, l’arbitraire, l’injustice et les obstacles à la libre expression. Elle engage les leaders et les populations à soutenir la manifestation du 13 décembre contre la vie chère, l’injustice, la corruption. La Commission invite les leaders à redoubler d’ardeur pour l’unité des forces démocratiques, républicaines et progressistes….’’

MOR AMAR

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